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par Pepe Escobar
Le G7 est stupéfait par la progression dynamique de l’ordre multipolaire incarné par l’INSTC dirigé par la Russie et la BRI dirigée par la Chine, le port stratégique iranien de Chabahar étant désormais sur le point de jouer un rôle transformateur.
Ne vous méprenez pas sur le contenu du communiqué d’Hiroshima du G7.
Le cadre : une ville du Japon, néo-colonie, bombardée il y a 78 ans par les États-Unis, qui n’ont pas cherché à s’excuser.
Le message : le G7, en réalité le G9 (augmenté de deux eurocrates non élus), déclare la guerre – hybride et autre – aux BRICS+, qui comptent 25 nations sur leur liste d’attente.
L’objectif stratégique clé du G7 est la défaite de la Russie, suivie de la soumission de la Chine. Pour le G7/G9, ces puissances – réelles – sont les principales « menaces mondiales » pour « la liberté et la démocratie. »
Le corollaire est que le Sud mondial doit suivre la ligne – ou bien. Il s’agit d’un remix du « vous êtes avec nous ou contre nous » du début des années 2000.
Pendant ce temps, dans le monde réel – celui des économies productives – les chiens de guerre aboient tandis que les caravanes des nouvelles routes de la soie passsent.
Les principales Nouvelles Routes de la Soie de la multipolarité émergente sont l’ambitieuse initiative Ceinture et Route chinoise (BRI), de plusieurs milliards de dollars, et le Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) Russie-Iran-Inde. Ces initiatives ont évolué en parallèle et peuvent parfois se chevaucher. Ce qui est clair, c’est que le G7/G9 ira jusqu’au bout du monde pour les saper.
Tout sur Chabahar
Le récent accord de 1,6 milliard de dollars entre l’Iran et la Russie pour la construction du chemin de fer Rasht-Astara, long de 162 km, change la donne pour l’INSTC. Le ministre iranien des Routes et du Développement urbain, Mehrdad Bazpash, et le ministre russe des Transports, Vialy Saveliev, ont signé l’accord à Téhéran, en présence du président iranien, Ebrahim Raisi, et du président russe, Vladimir Poutine, par vidéoconférence.
Il s’agit du mariage du « regard vers l’Est » de l’Iran et du « pivot vers l’Est » de la Russie. Les deux sont désormais des politiques officielles.
Rasht est proche de la mer Caspienne. Astara est à la frontière avec l’Azerbaïdjan. Leur connexion fera partie d’un accord entre la Russie, l’Iran et l’Azerbaïdjan sur le transport ferroviaire et le transport de marchandises, ce qui consolidera l’INSTC en tant que corridor de connectivité clé entre l’Asie du Sud et l’Europe du Nord.
L’INSTC multimodal emprunte trois itinéraires principaux : l’itinéraire occidental relie la Russie à l’Azerbaïdjan, à l’Iran et à l’Inde ; l’itinéraire médian ou transcaspien relie la Russie à l’Iran et à l’Inde ; et l’itinéraire oriental relie la Russie à l’Asie centrale, à l’Iran et à l’Inde.
La route orientale comprend le port extrêmement stratégique de Chabahar, situé dans le sud-est de l’Iran, dans la province instable du Sistan-Baloutchistan. Il s’agit du seul port iranien ayant un accès direct à l’océan Indien.
En 2016, l’Iran, l’Inde et un Afghanistan encore sous occupation américaine ont signé un accord tripartite dans lequel Chabahar a miraculeusement échappé aux sanctions unilatérales américaines de « pression maximale ». Il s’agissait d’un tremplin pour faire de Chabahar la porte d’entrée privilégiée des produits indiens en Afghanistan, puis, plus loin, en Asie centrale.
La Russie, l’Iran et l’Inde ont signé un accord INSTC officiel en mai 2022, détaillant un réseau multimodal – navire, rail, route – qui passe par les trois axes susmentionnés : Ouest, Moyen ou Transcaspien, et Est. Le port russe d’Astrakhan, situé au bord de la mer Caspienne, est crucial pour ces trois axes.
L’axe oriental relie la Russie orientale et centrale, via le Kazakhstan et le Turkménistan, à la partie méridionale de l’Iran ainsi qu’à l’Inde et aux pays arabes situés sur la rive méridionale du golfe Persique. Des dizaines de trains empruntent déjà la voie terrestre entre la Russie et l’Inde via le Turkménistan et l’Iran.
Le problème est qu’au cours des dernières années, New Delhi, pour des raisons complexes, a semblé dormir au volant. Cela a conduit Téhéran à s’intéresser de plus près à l’implication des Russes et des Chinois dans le développement de deux ports stratégiques de la zone industrielle de libre-échange de Chabahar : Shahid Beheshti et Shahid Zalantari.
La Chine passe à l’action
Chabahar n’est pas une mince affaire. L’Iran a investi massivement pour en faire un centre de transit régional incontournable. L’Inde, en théorie, a dès le départ considéré Chabahar comme un élément clé de sa stratégie du « collier de diamants », faisant contrepoids au « collier de perles » chinois, c’est-à-dire aux ports reliés par la BRI à travers l’océan Indien.
Chabahar joue également le rôle de contrepoint au port pakistanais de Gwadar dans la mer d’Arabie, le joyau de la couronne du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC).
Du point de vue de Téhéran, ce qu’il faut faire rapidement, c’est achever son réseau ferroviaire oriental, soit 628 km de voies entre Chabahar et Zahedan. Dans les meilleures conditions, ce réseau pourrait être achevé d’ici mars 2024, dans le cadre de l’axe ferroviaire Mashhad-Sharkhs reliant le sud-est de l’Iran à son nord-est, à la frontière avec le Turkménistan.
Pour l’instant, les marchandises de l’INSTC sont acheminées vers l’Asie du Sud à partir du port iranien de Bandar Abbas, dans le détroit d’Ormuz, à 680 km de Chabahar. À toutes fins utiles, Chabahar rendra le transit de l’Inde vers l’Afghanistan, l’Asie centrale et le sud de la Russie plus court, moins cher et plus rapide.
Mais une fois de plus, les choses se sont enlisées parce que l’Inde n’a pas proposé les arrangements financiers escomptés. Cette situation a fini par susciter des doutes à Téhéran, surtout lorsque l’on observe les investissements massifs de la Chine à Gwadar.
Il n’est donc pas étonnant que l’Iran ait décidé d’attirer la Chine en tant qu’investisseur majeur, dans le cadre de leur partenariat stratégique de plus en plus étendu. Il se pourrait donc que Chabahar fasse également partie de la BRI chinoise, en plus de son rôle de vedette dans l’INSTC.
La Russie, quant à elle, est aujourd’hui confrontée à l’impasse ukrainienne, à l’hystérie des sanctions occidentales et à de sérieuses restrictions commerciales à l’égard de l’Europe de l’Est. Tout cela alors que Moscou ne cesse d’accroître ses échanges avec New Delhi.
Il n’est donc pas étonnant que Moscou soit désormais beaucoup plus attentif à l’INSTC. En décembre dernier, un accord clé a été conclu entre les chemins de fer russes et les compagnies nationales du Kazakhstan, du Turkménistan et de l’Iran, et les Russes ont proposé une réduction de 20% pour les conteneurs d’import-export passant par la frontière entre la Russie et le Kazakhstan.
Ce qui importe le plus à la Russie, c’est que Chabahar, fonctionnant à plein régime, réduise de 20% le coût du transport des marchandises en provenance de l’Inde. Les Iraniens ont parfaitement compris le jeu et ont commencé à promouvoir fortement la zone industrielle et de libre-échange de Chabahar afin d’attirer les investissements russes. Cela a abouti à l’accord Rasht-Astara.
Le spoiler Zangezur
La BRI de la Chine, pour sa part, joue un jeu parallèle. Pékin investit massivement dans la route de transit est-ouest, également connue sous le nom de Corridor du Milieu.
Ce corridor va du Xinjiang au Kazakhstan, au Kirghizistan, à l’Ouzbékistan et au Turkménistan, puis traverse la Caspienne pour rejoindre l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et, plus loin, l’Europe de l’Est – soit un total de 7000 km, avec un voyage de marchandises de 15 jours maximum.
La BRI met l’accent sur de multiples corridors d’est en ouest afin de lutter contre d’éventuelles nouvelles perturbations des chaînes d’approvisionnement dictées par l’Occident. Le transit Chine-Asie centrale vers l’Europe en contournant la Russie et l’Iran est l’un des principaux paris. Le corridor BRI passant par la Russie, en raison de la guerre par procuration de l’OTAN en Ukraine, est pour l’instant en suspens. Et les Chinois testent toutes les options pour contourner la route de la soie maritime par Malacca.
La Turquie, avec la possibilité sérieuse que son président de longue date, Recep Tayyip, soit réélu ce week-end, a également joué son va-tout.
Le chemin de fer Bakou-Tblisi-Kars, inauguré en 2018, était un élément clé du plan directeur d’Ankara pour se configurer comme une plaque tournante incontournable du fret par conteneurs entre la Chine et l’Europe.
Parallèlement, la Chine a investi dans la construction d’une voie ferrée reliant Kars à Edirne, sur la rive européenne du Bosphore, tandis que la Turquie a investi 3,8 milliards de dollars dans la modernisation du port de Mersin et 1,2 milliard de dollars dans celle du port d’Izmir. D’ici 2034, Pékin espère que ce corridor sera la pièce maîtresse de ce qu’il appelle la Route de la soie de fer.
La concurrence du corridor dit de Zangezur – de l’Azerbaïdjan à la Turquie en passant par l’Arménie – constitue un véritable obstacle pour l’INSTC. Ce corridor, privilégié par l’oligarchie européenne et britannique, est apparu au grand jour lors de l’armistice de 2020 au Nagorno-Karabakh.
Londres identifie Bakou comme un partenaire privilégié et souhaite dicter ses conditions à Erevan : accepter une sorte de traité de paix dans les plus brefs délais et renoncer à toute velléité sur le Karabakh.
Le corridor de Zangezur serait le principal jeu géopolitique et géoéconomique occidental reliant les centres logistiques de l’UE à la Transcaucasie et à l’Asie centrale. Et si l’Arménie était mise à l’écart ? Après tout, l’Arménie est membre de l’Union économique eurasiatique (UEE) dirigée par la Russie, que l’Occident collectif s’acharne à saper.
Attachez vos ceintures : un nouveau grand jeu géoéconomique centré sur l’INTSC est sur le point de commencer.
source : The Cradle
traduction Réseau International
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