Mariage : choisir de s’aimer malgré l’infidélité

Mariage : choisir de s’aimer malgré l’infidélité

Je promets de te rester fidèle dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, pour t’aimer tous les jours de ma vie. Comme tous les époux au jour du mariage, Alice et Gabriel prononcent ces paroles en se regardant droit dans les yeux, follement amoureux. Au moment de se donner l’un à l’autre, les jeunes mariés ne pèsent pas le poids des mots. Ils n’imaginent pas davantage comment Dieu leur sera fidèle quand tout sera sur le point de basculer.

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial Printemps 2023. Cliquez sur la bannière pour y accéder en format Web.

Alice et Gabriel célèbrent cette année trente ans de mariage. Par écrans interposés, je devine une complicité certaine, une transparence qui atteste une relation murie. Avouer devant son partenaire son infidélité suppose une confiance reconstruite, le passage de la honte à l’acceptation, le gage d’une humilité qui surpasse le tabou.

Impliqués depuis plusieurs années dans les cours de préparation au mariage, les époux témoignent de leur combat pour demeurer fidèles à leurs vœux, alors que la séparation semblait tout indiquée.

«Tout le monde parle du divorce comme étant la solution quand ça va mal, mais nous voulons dire aux couples qu’une autre solution existe. On ne la voit pas au moment où l’épreuve arrive, alors on a tendance à s’aligner avec la culture. Il faut commencer dès le début à créer la relation avec Dieu parce que c’est lui qui va faire en sorte que le mariage tient. Ça ne dépend seulement pas des affinités. Ça, ça part en l’air dès la première crise», explique Gabriel aux côtés de son épouse, qui acquiesce.

La lune de miel

Des affinités, ils en avaient dès le début, bien sûr, pour que la relation d’amitié perdure malgré la distance durant six ans. Elle est originaire de la Suisse; lui de Colombie. Deux cultures aux antipodes, deux langues différentes, mais une attraction qui dépasse les frontières et une même foi les unissent. Ils s’étaient connus brièvement en Belgique, dans un cours d’été. C’est seulement des années plus tard que leurs destinées vont se croiser à nouveau, cette fois pour de bon, ou presque.

«Quand on s’est rencontrés en vrai, après tout ce temps, c’était un peu comme un conte de fées. Gabriel m’a proposé le mariage», raconte Alice. S’ils sont séparés à nouveau pour le temps des fiançailles, Alice est prête à donner son oui définitif à Gabriel, qui l’attend en Colombie.

«Alice a quitté son pays, son emploi, son logement, avec sa valise et une robe de mariée. Au départ, elle vivait ça comme un voyage exotique dans un pays chaud, où l’on danse la salsa et on mange des mangos. On a eu une fête de mariage extraordinaire», se souvient Gabriel. «Je sentais que c’était l’homme que Dieu avait choisi pour moi», renchérit son épouse.

Expatriés

Le conte de fées se termine plus rapidement que prévu. Au début des années 2000, la Colombie entre dans une période d’instabilité politique. Le changement de régime coïncide avec l’arrivée de leurs deux enfants.

«Je venais d’un pays démocratique, économiquement et politiquement stable. Je me retrouvais dans un endroit où il y avait de grandes inégalités entre les riches et les pauvres et beaucoup de violence. Le danger d’être kidnappé ou menacé dans le métro, dans les rues, le jour comme la nuit, était toujours présent», se remémore Alice.

Dans ce nouveau pays où tout est si différent, elle est souvent seule à la maison. Absent du foyer, Gabriel travaille avec acharnement pour subvenir aux besoins de la famille.

Le premier piège est de se dire que c’est forcément mieux avec quelqu’un d’autre. C’est l’origine de l’infidélité.

«Les tensions se sont accentuées, c’est devenu insupportable. Il y a eu des tueries dans notre rue. On est rentrés en Suisse, chez les parents d’Alice, dans un environnement contraignant et difficile, parce que je ne parlais pas la langue», raconte Gabriel.

Avec leurs enfants d’un an et trois ans, le couple tente un nouveau départ en Angleterre, pour repartir sur des bases différentes. Mais le fossé continue à se creuser. Gabriel mène des études exigeantes. Alice s’étonne de constater qu’elle est mieux quand son mari n’est pas à la maison. C’est le premier signal d’alarme.

Regarder sa valise

Mariage infidélité 2
Illustration:
Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Avec l’attente désespérée de trouver une vie meilleure, ils s’envolent pour le Québec. Alice connait l’émancipation. Elle a un travail stimulant, dont les journées se prolongent dans des soirées bien arrosées. Toujours aux études, Gabriel, lui, joue le rôle du parent à la maison.

«On est entrés dans une crise très profonde. On a passé presque deux ans sans se parler, sans se toucher», constate Gabriel. «On ne pouvait même pas faire chambre à part… Il n’y avait pas d’autre chambre dans notre 4 et demi!» lancent tout bonnement les époux en ricanant. Mais c’était loin d’être drôle à l’époque.

«C’est moi qui m’occupais de tout; Alice arrivait tard le soir. Les enfants se souviennent de cette époque comme le temps où ils ont eu du fun avec papa. Je voyais que la relation se finissait et j’étais très préoccupé. Tout un projet de vie s’écroulait.»

C’était un fait: Alice préférait sa vie loin de la maison. Plus douloureux encore: elle n’éprouvait plus de sentiments pour Gabriel. Elle s’était éprise d’un collègue de travail gentil et attentif, qu’elle voyait tous les jours.

«J’ai pensé avoir une relation nouvelle. On veut être dans une relation heureuse, qui fonctionne. Le premier piège est de se dire que c’est forcément mieux avec quelqu’un d’autre. C’est l’origine de l’infidélité. Mes sentiments romantiques pour mon collègue ne se sont finalement jamais matérialisés. Mais que tu ailles jusqu’au bout ou que tu sois au début, c’est la même blessure. Le dommage est déjà fait. Est-ce que Gabriel savait que j’avais des sentiments pour un autre homme? On le devine. Ça se sait.»

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Rester malgré tout

«Je vivais une lutte intérieure. J’étais en dialogue avec Dieu. Pourquoi avais-je attendu le grand amour durant sept ans avant de me marier, pour finalement tomber amoureuse de quelqu’un d’autre?»

Alice n’ose pas entreprendre une nouvelle relation tant qu’elle ne met pas fin à la première. Mais le quitter définitivement, elle s’en sent incapable. Combien de temps durerait sa nouvelle idylle si la première avait échoué, malgré la passion des débuts? Qu’adviendrait-il de sa relation avec Dieu dans l’eucharistie si elle choisissait le divorce, sachant son premier mariage valide? Voulait-elle laisser cette marque sur ses enfants, pour le reste de leur vie?

Pour Gabriel, les choses ne sont pas plus simples. Ses amis et ses parents tentent de le persuader de quitter sa femme. Un ami moine est le seul à lui prodiguer un autre conseil.

«À cette époque, c’était la seule personne qui me parlait d’autre chose. Il m’a ramené d’abord à un point où je pouvais me questionner sur moi-même, pour faire un bilan. Quand il y a une infidélité, on se dit que celui qui est infidèle, c’est lui qui est dans le tort. Mais je n’étais pas parfait non plus. Ce n’était pas entièrement la faute d’Alice.»

Le moine lui propose une démarche inusitée: souligner en grande pompe les quarante ans de sa femme, dont l’anniversaire approche. «On ne se parlait plus depuis un an, ce n’était pas le moment. Qui allait venir à cette fête? Ses collègues de travail, que je ne connaissais pas? C’était vraiment une démarche de foi, mais je l’ai faite quand même.»

Sushi, champagne à profusion, fleurs: si Alice est pantoise, elle est aussi en colère contre son mari, dont l’affection s’exprime tardivement. Malgré tout, ce geste concret amorce un changement.

Revenir chez soi

Toujours aussi déprimé, Gabriel participe à une retraite monastique. C’est un moment décisif. Il se met à faire de l’exercice, change ses habitudes de vie, retrouve l’espérance perdue. On le met en contact avec un conseiller matrimonial, un prêtre à la retraite, qui lui offre un accompagnement.

«Je voyais le changement en Gabriel. Il n’y avait plus les paroles d’accusation, et tout à coup, il me dit: “Je suis aussi responsable de tout ça. Je veux que tu saches que tu es libre de faire ce que tu veux, mais moi je reste, même si ça prend vingt ans. Parce que tu es mon épouse. Si jamais tu veux faire du counseling avec moi, je suis là.” Ce geste généreux m’a fait considérer l’accompagnement de couple, car de toute façon je n’allais nulle part. Mais la première rencontre, c’était terrible!»

Je souhaitais avoir une relation nouvelle avec quelqu’un d’autre. Et cet autre, c’était le même homme que je connaissais depuis ma jeunesse, avec qui j’avais des enfants!

Ils se croisent dans la rue avant d’arriver, marchent sur des trottoirs différents. On ne croirait pas qu’ils vivent toujours sous le même toit. Devant le conseiller, ils exposent tour à tour leur version des faits et se chicanent.

Au fil des rencontres, l’un se surprend à découvrir des aspects méconnus de l’autre. Comme des étrangers qui se découvrent, ils finissent parfois par casser la croute au café du coin.

«Notre dixième anniversaire de mariage approchait. On est allés au restaurant pour l’occasion. C’était comme une date. Les rencontres avec le conseiller conjugal sont devenues moins fréquentes et la relation s’est reconstruite, c’est devenu quelque chose d’autre. Je souhaitais avoir une relation nouvelle avec quelqu’un d’autre. Et cet autre, c’était le même homme que je connaissais depuis ma jeunesse, avec qui j’avais des enfants! Les sentiments romantiques envers l’autre homme ont complètement disparu», constate Alice.

«L’infidélité qui a été vécue demeure quand même une blessure. Nous avons eu une démarche de pardon mutuelle à faire. Mais la relation, parce qu’on l’a presque perdue, est devenue plus précieuse. Dieu a construit quelque chose de nouveau», s’émerveille Gabriel.

Les jeunes amoureux se sont retrouvés, après dix ans d’errance. Mais cette fois, ils ont choisi la durée. Ils en témoignent, des décennies plus tard.

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À propos de l'auteur Le Verbe

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