On retrouve avec délice Bernard Guennebaud à la manœuvre, cette fois pour nous raconter comment le BCG obligatoire, ce vaccin français qui a toujours fait beaucoup rire les Américains, a pu prolonger sa survie d’une quarantaine d’années dans l’Hexagone malgré une évidence d’inutilité démontrée par tous les autres pays du monde, Allemagne en tête. Le dogme vaccinal ne vacille jamais en France, pays de Pasteur disent-ils… Première partie de la saga ici, merci Bernard… Bonne lecture.
Dr Vincent Reliquet
***
Un éditorial de choc
par Bernard Guennebaud
Début 2003, le professeur Élisabeth Bouvet venait de diriger un groupe de travail sur la tuberculose en France. L’InVS va alors publier le 18 mars 2003 un important numéro thématique sur la tuberculose dans notre pays. Il reviendra tout naturellement à É. Bouvet (qui deviendra en 2017 présidente de la Commission Technique des Vaccinations, la CTV) l’honneur d’ouvrir ce numéro spécial par un éditorial qui à l’époque et même aujourd’hui encore « déménage ». Le voici in extenso car il le mérite !
« Les articles présentés dans ce numéro spécial consacré à la tuberculose démontrent avec clarté que la tuberculose ne justifiera bientôt plus une politique de vaccination généralisée des enfants par le BCG en France, avec pour première étape proposée la suppression de la revaccination. En effet, le bénéfice de la vaccination généralisée par le BCG paraît faible.
En dehors des coûts considérables engendrés par la vaccination (coût du vaccin lui-même et surtout coût en personnel et en organisation) et par les tests tuberculiniques post-vaccinaux, le BCG présente d’autres inconvénients. Il donne l’illusion que tout est fait pour prévenir la tuberculose en France quand la population est vaccinée par le BCG. Il conforte dans l’inconscient collectif des populations l’idée que le problème de la tuberculose est résolu puisque la vaccination par le BCG est généralisée.
La présentation d’une épidémie de tuberculose dans un foyer de migrants africains à Paris illustre bien cette composante de l’épidémie actuelle et les difficultés de sa gestion. La nécessité de réaliser des enquêtes de terrain avec dépistage actif des cas est rappelée. La recherche de cas secondaires peut aussi conduire à des enquêtes dans les hôpitaux, lorsqu’un soignant est lui-même atteint de tuberculose.
L’application à toute la population d’une politique de prévention uniforme néglige le fait que cette maladie affecte des populations à risque très bien identifiées, comme nous le constatons à la lecture des articles consacrés à l’épidémiologie de la tuberculose en France. Ainsi, le travail sur tuberculose et sida montre que la tuberculose est la première infection opportuniste chez les migrants d’Afrique subsaharienne. Il y a ici une inadéquation entre la mise en œuvre de moyens importants et peu efficaces pour toute une population dont dans la très grande majorité présente un risque très faible et une épidémie de plus en plus marquée dans la population migrante vis-à-vis de laquelle aucune mesure spécifique n’est mise en œuvre.
On peut espérer que l’abandon de la vaccination généralisée permettra d’impulser une attitude active de lutte contre la tuberculose par des interventions de terrain ayant pour objectif le dépistage des cas d’infection et leur traitement afin d’éviter la survenue de nouveaux cas de tuberculose contagieuse. On peut aussi espérer qu’il permettra l’indispensable modernisation des structures départementales de lutte contre la tuberculose en leur donnant des moyens d’intervention efficaces, utilisant des outils performants en matière d’épidémiologie d’intervention, de communication et de recueil d’information. C’est véritablement un changement complet de stratégie qui est à prévoir. »
Un événement historique
Quatre ans plus tard, 17 juillet 2007, un décret suspend l’obligation de la vaccination BCG pour les enfants. Ainsi, selon la loi, cette vaccination ne sera plus exigible pour placer un enfant en crèche, garderie, école, …Cette loi sera aussitôt renforcée et précisée dans son application par une circulaire ministérielle où la DGS (Direction générale de la santé) explicitait ainsi à des fonctionnaires quelle allait être la marche à suivre pour mettre en œuvre la nouvelle politique et en particulier pour que le BCG ne soit plus exigé pour l’entrée en collectivité.
Il s’agit de la circulaire n°DGS/RI1/ 2007/318 du 14 août 2007 relative à la suspension de l’obligation de vaccination par le BCG des enfants et des adolescents avec entête de la ministre et signée du Directeur général de la santé Didier Houssin. Elle dit explicitement, en gras dans le texte officiel originel[3] :
« La vaccination par le BCG des enfants et des adolescents est dorénavant de l’ordre de la recommandation pour ceux d’entre eux qui sont les plus exposés au risque de tuberculose. Son indication relève d’une évaluation médicale et ne doit pas interférer dans la décision d’inscription en collectivité. »
Comme pour toute circulaire il s’agit d’une instruction donnée par une administration à des fonctionnaires. Les destinataires directs étaient les préfets de régions et de départements ainsi que les directions sanitaires et sociales des régions et départements pour diffusion et application immédiate à tous les responsables concernés dans les domaines scolaires, sociaux, sanitaires et de tous les services, établissements et structures susceptibles d’être impactés par cette mesure. Pourtant, il arrivera encore souvent par la suite que des crèches ou garderies diront aux familles que le BCG était obligatoire pour l’inscription de leur enfant et l’exigeront …
La vaccination BCG n’est pas interrompue pour autant, les recommandations formulées par le ministère étaient les suivantes :
« La vaccination BCG est fortement recommandée chez les enfants à risque élevé de tuberculose, qui répondent au moins à l’un des critères suivants :
- enfant né dans un pays de forte endémie tuberculeuse,
- enfant dont au moins l’un des parents est originaire de l’un de ces pays,
- enfant devant séjourner au moins un mois d’affilée dans l’un de ces pays ;
- enfant ayant des antécédents familiaux de tuberculose (collatéraux ou ascendants directs) ;
- enfant résidant en Île-de-France ou en Guyane ;
- enfant dans toute situation jugée par le médecin à risque d’exposition au bacille tuberculeux notamment enfants vivant dans des conditions de logement défavorables (habitat précaire ou surpeuplé) ou socio-économiques défavorables ou précaires (en particulier parmi les bénéficiaires de la CMU, CMUc, AME, …) ou en contact régulier avec des adultes originaires d’un pays de forte endémie.
Chez ces enfants à risque élevé de tuberculose, la vaccination BCG doit être réalisée au plus tôt, si possible à la naissance ou au cours du premier mois de vie, sans nécessité d’IDR à la tuberculine préalable. Chez des enfants appartenant à l’une de ces catégories à risque élevé et non encore vaccinés, la vaccination doit être réalisée jusqu’à l’âge de 15 ans. L’intradermoréaction (IDR) à la tuberculine préalable à la vaccination doit être réalisée à partir de l’âge de 3 mois afin de rechercher une infection liée à une contamination après la naissance.
Le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, dans son avis du 9 mars 2007, recommande que lors de la consultation de prévention du 4ème mois de grossesse, l’évaluation du risque de tuberculose et l’indication de la vaccination BCG soient systématiquement abordés avec les parents, et que lors de la consultation du 8ème jour après la naissance, une discussion sur l’indication du BCG ait lieu avec mention de la décision dans le carnet de santé (pages relatives à la surveillance médicale). »
Mais pour en arriver là, que d’embûches, d’embrouilles et de contre-temps !!! Dès 1974 la suppression progressive du BCG était déjà envisagée. Oui dès 1974 !!! Un long article du Concours Médical du 20 avril 1974 était consacré au problème avec 2 intervenants de poids, le Dr Coudreau président du Comité de lutte contre la tuberculose qui travaillait avec l’union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires (UICTMR) dont le siège est à Paris et le Professeur Parienté de l’hôpital Laënnec :
« Si nous voulions être strictement économistes, nous négligerions certains aspects du problème. Nous sommes dans une situation donnée de législation, de mentalité du public et des médecins ; nous sommes obligés de procéder par étapes. »
Cet entretien de plus de 10 pages avec ces deux spécialistes de la lutte contre la tuberculose avait été suscité par l’affirmation dépourvue d’ambiguïté d’un expert allemand :
1974 : « Il n’existe plus d’indication pour une vaccination par le BCG en Allemagne Fédérale ».
Elle sera suivie d’effets 2 ans plus tard en 1976 par la suppression totale de cette vaccination en Allemagne. La France allait-elle faire de même ? On aurait pu le penser à l’époque mais cette orientation fut rapidement enterrée. À l’audition publique des 13-14 novembre 2006 Christian Perronne, alors président du CSHPF et du CTV, y fera allusion : « Dans les années 70 il y avait une équipe au ministère qui travaillait sur la levée de cette obligation. »
Vous noterez que si pour les experts et décideurs allemands « il n’y avait plus d’indication pour vacciner par le BCG en Allemagne (de l’Ouest) », ce n’était pas du tout le cas en France en 2007 où des experts zélés multipliaient les arguments pouvant paraitre en faveur de cette vaccination que certains continueront d’imposer plus tard dans leur sphère d’influence, en opposition avec la loi de l’État.
Il faudra attendre fin 2005 avec la décision de Sanofi d’abandonner le Monovax par multipuncture au premier janvier 2006, transférant ainsi la vaccination des enfants français au vaccin intradermique beaucoup plus réactogène du laboratoire danois SSI (Serum Statens Institut) pour mettre le feu aux poudres. « Nous sommes obligés d’avancer l’épée dans les reins » commentera Pierre Bégué de l’Académie de médecine. Une épée symbolique dans les reins des experts mais l’aiguille intradermique du vaccin dans les bras des enfants …
Par une saisine de février 2006, le DGS Didier Houssin demandera aux parties prenantes de trouver un accord sur l’évolution de la politique vaccinale par le BCG et de remettre leur copie en juin. Aucune entente ne sera possible. La situation paraît bloquée. Je ne suis pas trop surpris de cela car 6 ans auparavant un membre du CTV m’avait informé du problème : « Nous allons encore avoir une réunion dans 8 jours sur la question. La moitié de la salle est pour la suppression du BCG. L’autre moitié nous dit « ne faites pas cela tant que je serai vivant, je ne veux pas avoir sur la conscience la mort d’un enfant par méningite tuberculeuse ! ». Pour 15 méningites ! (contre 12 bécégites disséminées mortelles selon l’estimation de [5 ; page 272 ] NDLR). Nous leur proposons alors de faire du BCG ciblé sur les enfants à risque. « Vous allez faire de la ségrégation sociale ! », nous répondent-ils.
Avec de telles obstructions il sera impossible d’avancer ! Alors, pour tenter de lever les blocages, le DGS Didier Houssin va proposer au président de la SFSP (Société française de santé publique) François Bourdillon d’organiser une audition publique sur la levée de l’obligation du BCG pour les enfants. Elle aura lieu les 13-14 novembre 2006 dans les locaux de la CNAM. J’y ai assisté. De nombreux experts y seront entendus par une commission d’audition constituée d’une vingtaine de personnes et présidée par Jean-Louis San Marco, professeur de santé publique à Marseille. Elle rendra son verdict un mois plus tard.
La SFSP va faire un formidable travail car non seulement toutes les communications des intervenants seront publiées dans un ouvrage papier avec la reproduction de leurs projections mais aussi toutes les interventions depuis la salle, dont les miennes au nombre de 4. L’ouvrage est ainsi devenu un remarquable outil de travail qui sera en particulier exploité pour une étude sociologique un an plus tard :
« Du débat à la décision : discours croisés d’experts, de praticiens, de citoyens »
« La construction de la décision : entre expertise épidémiologique et expertise publique » par Joëlle Kivits sociologue et Françoise Jabot »
«… le pôle des experts s’est élargi avec l’intégration des praticiens, qui, du fait de leur présence dans la phase finale, exercent une influence majeure dans le choix des propositions, l’expertise savante ayant joué la fonction de conseil. Le pôle des sujets est caractérisé, par sa non-spécialité, sa non-participation aux recommandations et sa faible relation au décideur. Sans les praticiens, les sujets-citoyens sont simples témoins : ils assistent aux échanges entre les représentants des trois autres pôles avant de redevenir des « bénéficiaires », destinataires de la décision finale. »
« Cette audition publique avec les recommandations de la commission d’audition montre que le critère qui permet de participer à la décision n’est pas tant l’expertise – un savoir spécifique pour l’action –, que l’appartenance de l’acteur qui revendique l’expertise. L’audition publique l’illustre bien : la reconnaissance de l’expertise peut se construire dans le débat mais elle n’est pas pour autant, dans tous les cas, légitime. Elle doit s’accompagner d’une reconnaissance d’appartenance afin d’installer dans le débat public l’acteur en tant qu’expert. »
Cette dernière analyse me paraît très pertinente car j’ai souvent observé que ce qui arrachait la décision n’était pratiquement jamais la qualité de l’argumentation mais l’autorité, le prestige, le pouvoir pourrait-on dire dont jouissent ceux qui formulent les recommandations et les arguments qui les soutiennent.
C’est toute la différence entre l’expert et le chercheur. L’expert est nommé par une autorité qui en plus le rémunère. C’est la compagnie d’assurances qui demande à un expert d’aller expertiser un sinistre. S’il n’est pas suffisamment favorable à la compagnie qui l’a sollicité, le téléphone ne sonnera plus…Le chercheur, du moins le chercheur dans l’âme, est un passionné qui n’a pas besoin d’être sollicité pour chercher et qui dit ce qu’il trouve contrairement à l’expert qui dit ce qui ne sera pas trop défavorable à l’autorité qui l’a sollicité. L’expert est ainsi auréolé par ce que représente l’autorité qui l’a choisi. Le mot expert est souvent considéré comme synonyme de « doter d’une grande compétence ». En fait un expert est nommé, choisi par une autorité comme par exemple un expert judiciaire. Voici comment Marie-Dominique Furet caractérisait l’expert en santé publique dans un rapport remis à la DGS en juin 2008 :
« L’expert dit l’état des connaissances. Sa fonction sociale est l’héritière de celle des mages de l’Antiquité. Il a longtemps bénéficié d’une autorité naturelle d’extraction quasi divine. Sa science était immaculée. »
L’expert en santé publique est perçu comme étant « d’extraction quasi divine !!! » Pendant ces 2 journées d’audition, il sera possible d’entendre une foule d’arguments allant dans un sens ou dans l’autre, d’une nature ou d’une autre. Mais si la levée de l’obligation s’impose avec l’arrivée du BCG dit SSI beaucoup plus réactogène que le Monovax (« qui n’est pas une fantaisie de l’industrie, il a permis d’appliquer la loi » dira Pierre Bégué de l’Académie de médecine) il existe un argument dominant qui va arracher l’impérative conclusion de conserver une place importante à cette vaccination. Ce sera l’estimation du nombre de cas de tuberculose évités chez les enfants par une vaccination BCG généralisée. Ce nombre de cas a été estimé comme étant tellement important qu’il serait impensable de supprimer totalement le BCG et que même une simple réduction de la voilure demanderait de s’entourer de sérieuses garanties comme la mise en place par le gouvernement d’un plan tuberculose conséquent demandant un budget…
Estimation des cas de tuberculose évités par le BCG
Ce sera D. Lévy Bruhl, épidémiologiste expert à l’InVS qui va se charger de cette estimation. Cette évaluation avait déjà été publiée en novembre 2004 dans une expertise collective INSERM. Elle va être présentée au cours de l’audition. Elle s’appuie sur la règle de trois de l’école primaire.
« Kevin, rappelle-nous le principe de la règle de trois. 3 choux coutent 3€, combien coutent 10 choux ? »
« Facile m’sieur, 10€ ! »
« Kevin, les 10 choux que j’ai devant moi coutent 13€ car il y a 7 choux à 1€ et 3 à 2€. »
« Les maths ça sert à rien, ça donne jamais le bon résultat ! »
« Les maths ne disent pas que les 10 choux coutent 10€, Kevin ! Elles disent que si tous les choux sont au même prix, alors ils coutent 10€. Par contre, si ce n’est pas le cas alors on fait comme les grands-mères qui vendaient leurs choux au marché et qui faisaient leur addition sur un bout de papier : 3 choux à 1 franc soit 3 francs et sur la ligne en dessous, 2 choux à 1,50 soit 3 francs et elles faisaient l’addition. »
Les données étaient celles de 6 années consécutives de 1997 à 2002. Il disposait du nombre de cas de tuberculose et du pourcentage global moyen de vaccinés. Il attribuait en plus une efficacité posée a priori de 50% par exemple. Je vais décrire le calcul avec 300 carottes et un produit destiné à les empêcher de pourrir, ce produit ayant aussi une efficacité de 50%.
Ayant traité 240 carottes, il y en aura 120 qui seront protégées et donc 120+60=180 qui seront non protégées parmi les 300 carottes. On trouvera plus tard 60 carottes pourries, soit le tiers des non protégées. Formant la règle de trois 60/180×300=100, on en déduit que sans le traitement on aurait eu 100 carottes pourries parmi les 300. Le traitement aura donc évité à 40 carottes de pourrir.
En réalité, les 240 traitées avaient été stockées au grenier en milieu sec et aucune n’avait pourri. Par contre, les 60 autres avaient été entreposées à la cave où toutes avaient pourri. Que vaut la règle de trois ? Rien du tout ! Le risque de pourrir n’est pas du tout le même pour celles stockées au grenier et celles qui sont à la cave. Pour faire des calculs plus corrects il faut former 2 groupes. Pour les carottes stockées à la cave le nombre de carottes pourries évité par le traitement est nul. Pour les 120 carottes traitées mais non protégées il a été constaté nul et pour les 120 protégées et stockées dans les mêmes conditions il sera donc estimé nul. Mais que se passe-t-il quand on ne dissocie pas entre la cave et le grenier ?
Répartition des 100 carottes pourries en l’absence de traitement selon une modélisation homogène :
Répartition des 60 carottes pourries qui ont été observées :
En dissociant le grenier de la cave :
Grenier : 240 carottes, 120 protégées, 120 non protégées, 0 carottes pourries parmi elles :
règle de trois : 0/120×120=0 Cas évités : 0
Cave : 60 carottes pourries avec 0 traitées donc 0 évitées.
Le calcul de Lévy-Bruhl :
Il a posé a priori pour le BCG une efficacité moyenne de 75% pour les formes graves -miliaires et méningites tuberculeuses- et de 50% pour les autres formes. Il a aussi utilisé une couverture vaccinale (Cv) de 80% pour les [0 4] ans et de 95% pour les [5 14] ans. Ainsi, la formule de calcul donnant le nombre de cas évités par le BCG avec 50% d’efficacité sera :
0,5Cv/[1-0,5Cv]x(nombre de malades observés)
Pour une efficacité autre, par exemple 75%, il suffira de remplacer 0,5 par 0,75.
Ainsi pour Cv=80% le nombre de cas évités sera les 2/3 du nombre de malades observés et pour Cv=95% ce sera 47,5 /52,5 =90,476 fois le nombre de malades.
Si D.Lévy-Bruhl a judicieusement pensé à dissocier selon l’âge en raison de couvertures vaccinales notablement différentes ou selon les formes très graves ou autres en raison d’efficacités vaccinales très différentes, il a totalement oublié de dissocier selon le risque d’exposition à la maladie. C’est pourtant très important comme le montre mon histoire de carottes qui pourrissent beaucoup plus facilement à la cave qu’au grenier ! Sur cet exemple numérique l’utilité du traitement est nulle même si son efficacité potentielle est de 50%.
Comme tout vaccin, le BCG est d’une utilité nulle sur les enfants non contaminés. Ce devrait être une incontournable lapalissade ! Une vérité aussi élémentaire que fondamentale qui ne devrait jamais être oubliée quand on tente d’évaluer l’impact d’une campagne de vaccination. Il y a deux facteurs qui vont conduire à surévaluer grandement le nombre de cas évités quand on néglige de dissocier, ce sont :
1- La plupart des cas de tuberculose se produisent parmi les enfants à haut risque.
2- Les vaccinations les plus nombreuses sont réalisées sur les enfants à faible risque.
Pendant les 2 jours d’audition, il sera répété à chaque instant qu’en France il y avait une importante population d’enfants très peu exposés et une autre population beaucoup plus restreinte mais très exposée. Pour réaliser cette évaluation il fallait former au moins 2 groupes pour tenir compte des risques très différents comme pour les choux qui ne sont pas tous au même prix. L’évaluation présentée par D.Lévy-Bruhl était donc dépourvue de toute valeur. Pourtant elle va jouer un rôle décisif dans la construction de la nouvelle politique de vaccination BCG à partir de juillet 2007 avec la levée de son obligation pour les enfants mais aussi les recommandations fortes associées à cette levée comme la vaccination de tous les enfants naissant en Île-de-France…
Pour y voir clair dans les calculs de Lévy-Bruhl le plus simple va être d’écrire la formule de calcul proposée et présentée à l’audition (et tant pis pour ceux qui n’aimeraient pas les formules, mais c’est le plus simple !) :
Formule donnant le nombre de cas estimés en l’absence de vaccination
Soit une population de taille N avec Co cas observés après la vaccination. La couverture vaccinale étant notée Cv et l’efficacité vaccinale Ev, le produit NCvEv sera le nombre d’enfants protégés par la vaccination et N-NCvEv sera le nombre de non protégés. La règle de trois pour calculer le nombre estimé de cas en l’absence de vaccination sera :
Cas estimés = Co/N(1-CvEv)xN=Co/(1-CvEv)
On constate ainsi que la taille du groupe n’intervient pas directement. En fait, elle intervient indirectement par le nombre Co de cas observés qui sera d’autant plus important que la taille du groupe sera grande.
Le nombre de cas qui seront considérés comme ayant été évités par la vaccination sera la différence entre les cas estimés en l’absence de vaccination et les cas observés avec la vaccination et noté Co. Elle sera d’autant plus faible que 1/(1-CvEv) sera proche de 1 tout en lui étant toujours supérieur ou éventuellement égal si l’un des 2 nombres Cv ou Ev était nul. Plus le produit CvEv sera faible et plus la différence 1-CvEv sera grande, c’est à dire proche de 1 et plus le nombre de cas calculés comme ayant été évités par le BCG sera faible. Au contraire, plus le produit CvEv sera grand (tout en restant inférieur à 1) et plus la différence 1-CvEv sera faible (proche de 0) et plus le nombre de cas calculés ainsi comme ayant été évités par le BCG sera élevé.
Soit maintenant 2 groupes de tailles N’ et N″ avec des couvertures vaccinales C’v et C″v, des efficacités vaccinales E’v et E″v et des cas observés C’o et C″o après vaccination. Le nombre estimé de cas qui se seraient produits en l’absence de vaccination sera la somme :
C’o/(1-C’vE’v)+C″o/(1-C″vE″v)
Si C’v=C″v et si E’v=E″v elle deviendra : (C’o+C″o)/(1-C’vE’v). Dans ce cas particulier, la dissociation entre les 2 groupes ne sera pas nécessaire. En fait il suffit pour cela que C’vE’v=C″vE″v.
De manière non explicitée, D.Lévy-Bruhl a admis que les enfants à faible risque et ceux à haut risque avaient une couverture vaccinale identique et que le BCG avait la même efficacité pour les uns et les autres. Dans ce cadre-là et sous ces hypothèses, son calcul est correct mais ces 2 hypothèses ne sont certainement pas du tout réalisées :
Une couverture vaccinale non homogène :
En conduisant le calcul sans dissocier comme l’a fait Lévy-Bruhl, on voit que l’une des conditions conduisant à une surestimation sera que les enfants à haut risque aient été peu vaccinés en regard des enfants à faible risque. C’était effectivement le cas en France au moment de cette évaluation et ce pour au moins 2 raisons :
1- Les enfants à haut risque étaient difficiles d’accès pour réaliser cette vaccination.
2- Quand ils atteignaient au moins l’âge de 3 mois, la vaccination devait être précédée d’un test tuberculinique qui devait être négatif pour pouvoir procéder à la vaccination BGC. S’ils avaient déjà été contaminés, ce qui était souvent le cas quand il y avait un adulte tuberculeux dans la famille, le BCG ne pouvait être réalisé.
Une efficacité conditionnelle et variable pour le BCG
Le BCG est certainement le vaccin qui a été le plus étudié et tout particulièrement par de très nombreuses expérimentations sur des animaux dont des bovins. À l’Institut Pasteur de Lille, le vétérinaire Camille Guérin expérimentait rigoureusement sur des bovins jusqu’à l’autopsie car l’un des objectifs était la lutte contre la tuberculose bovine. De plus, cette vaccination posant énormément de problèmes, les expérimentations animales et les observations humaines furent multiples et conduites par de nombreux auteurs. Un professeur à l’école vétérinaire de Lyon, J. Basset a rapporté, dans un ouvrage publié en 1953, toutes les publications qui avaient été faites dans le monde sur le sujet à l’époque. Elles mettent en évidence de façon très claire et indiscutable que l’efficacité de la vaccination par le BCG est d’autant plus réduite que la dose infectante expérimentale est plus importante. Or, ce qui caractérise les enfants à haut risque vivant dans un milieu familial où au moins l’un des deux parents est tuberculeux contagieux est qu’ils seront beaucoup plus fortement contaminés que les enfants à faible risque d’exposition. Autrement dit, le BCG sera beaucoup moins efficace sur les enfants à haut risque que sur ceux à faible risque.
À l’audition publique, Lévy-Bruhl avait affirmé qu’il avait été impossible d’attribuer au BCG une efficacité bien définie car, dira-t-il, les multiples études réalisées en ce but donnent des résultats très différents. Il existe une raison simple a priori et qui serait que le BCG aurait au moins deux efficacités p1 et p2 selon l’importance de la contamination. En ayant n1 enfants faiblement contaminés et n2 fortement contaminés dans une étude, la moyenne observée sera (n1p1+n2p2)/(n1+n2). Avec n’1 et n’2 enfants dans une autre étude et avec les mêmes efficacités p1 et p2, la moyenne observée sera (n’1p1+n’2p2)/(n’1+n’2).
Si les rapports n1/n2 et n’1/n’2 sont très différents, les deux efficacités moyennes seront très différentes alors que le BCG aura eu dans les deux études les mêmes efficacités p1 et p2. C’est élémentaire mais les épidémiologistes qui ont fait ou consulté ces études ne semblent pas avoir envisagé une telle hypothèse pourtant très crédible…
En attribuant au BCG la même efficacité pour les enfants à faible risque qu’à haut risque ainsi que la même couverture vaccinale, D.Lévy-Bruhl a créé les conditions d’une très importante surestimation dans son calcul des cas évités par le BCG. Voici une illustration numérique de cela avec Co=105 :
Avec Cv=95% et Ev=50% le nombre de cas estimés en l’absence de vaccination sera
105/(1-0,95×0,5)=200 soit 200-105=95 cas évités. Ce serait l’estimation de Lévy-Bruhl avec 105 cas observés.
Avec Cv=Ev=20% le nombre de cas estimés en l’absence de vaccination sera
105/(1-0,2×0,2)=108 soit 108-105=3 cas évités par la vaccination.
95 cas évités d’après la méthode de Lévy-Bruhl mais seulement 3 cas évités avec d’autres valeurs plus faibles des paramètres alors qu’elles seront noyées en faisant les moyennes avec des valeurs plus élevées apportées par un autre groupe. Cela pourrait faire réfléchir, au moins rétrospectivement, vu les conséquences que va avoir l’estimation des cas évités par D.Lévy-Bruhl.
Indépendamment de ces valeurs numériques particulières proposées pour illustrer, je peux affirmer que le calcul non dissocié entre enfants à haut et faible risque effectué par D.Lévy-Bruhl n’a pu que surestimer très fortement l’évaluation du nombre de cas qu’il avait calculé comme ayant été évités par la vaccination.
Il s’agit d’une faute technique majeure consistant à faire une règle de trois avec des choux qui ne sont pas du tout au même prix. Elle devrait être sanctionnée par un 0 pointé dans la marge !!! Et ce indépendamment des conséquences qu’une telle erreur technique puisse avoir, que ce soit une surestimation ou une sous-estimation qui pourrait aussi se produire si le produit CvEv était plus élevé qu’en réalité.
D.Lévy-Bruhl ne pouvait pas ignorer que les enfants à haut risque étaient beaucoup moins vaccinés que les autres. Il avait lui-même présenté la nouvelle politique vaccinale comme étant tout à la fois un allègement de cette vaccination BCG et un renforcement. Un allègement pour les enfants à faible risque mais un renforcement avec la vaccination des enfants à haut risque dès la naissance et ce pour deux raisons :
1- C’est à la naissance que l’enfant est le plus accessible pour le système de santé. Plus tard il sera plus difficile d’accès pour un tel acte. De plus, au-delà de 3 mois il faudra un test tuberculinique suivi d’un contrôle de ce test puis de la vaccination s’il n’est pas positif, soit au moins 3 rendez-vous.
2- Si immédiatement après la naissance l’enfant doit vivre dans un milieu contaminé, il faut le protéger tout de suite. Le protéger oui, mais la vaccination sera-t-elle protectrice dans ces conditions ? C’est ce qui fut affirmé au cours de l’audition mais est-ce vrai ?
L’audition publique à l’assemblée générale de la Sfsp
Le 8 juin 2007, alors qu’aucune décision n’avait encore été annoncée, se déroule l’assemblée générale de la SFSP, l’association organisatrice de l’audition publique avec son président François Bourdillon, président du comité d’organisation. Le président de la commission d’audition Jean-Louis San Marco doit y intervenir. Je ne peux pas manquer cet événement. Tous les deux vont nous révéler quelques secrets sur l’ambiance tendue qui régnait à la Commission d’Audition avec des parties prenantes très partisanes du maintien de l’obligation et qui ne voulaient rien céder. Il va aussi faire allusion « au très beau modèle mathématique de Lévy-Bruhl » … Un très beau modèle mathématique où domine une règle de trois appliquée à des choux qui ne sont pas du tout au même prix, on croit rêver !!! Quand on passe aux questions avec le public je ne manque pas l’occasion de faire observer qu’il y a quelque chose qui cloche fortement dans son calcul très simpliste. Une femme, au premier rang, se retourne vers moi et dit : « il me semblait qu’il y avait quelque chose car son évaluation c’était beaucoup trop ! » Elle était médecin inspecteur de santé publique et, à l’époque, membre du CTV. Son expérience du terrain lui montrait que c’était trop mais, n’ayant pas vu la raison technique, elle s’était écrasée …
À ma droite, se tient une experte qui était intervenue à l’audition. Elle va rappeler une recommandation de l’OMS : « Quand un enfant est découvert non vacciné par le BCG et vivant en milieu contaminé, il ne faut pas lui faire le BCG ! Il faut d’abord le traiter pendant 9 mois avec l’isoniazide (un médicament antituberculeux majeur dont le nom commercial est Rimifon) et ensuite seulement lui faire le BCG. »
Voilà qui aurait mérité être rappelé au cours de l’audition ! Mais c’eut été un séisme et cette experte l’avait sans doute compris…J’étais d’ailleurs moi-même conscient de ce problème à l’audition mais j’avais décidé de n’en point parler alors que j’avais pu intervenir à 4 reprises depuis la salle.
À suivre …
source : AIMSIB
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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