Le prêtre suisse Hans Urs von Balthasar est sans doute le penseur qui a poussé le plus loin l’approfondissement de la relation d’amour mère-enfant. Non pas comme psychologue, mais comme théologien. Il s’en est servi pour comprendre la relation entre Dieu et le monde.
En psychologie, on reconnait maintenant de façon commune le rôle fondamental de la relation mère-enfant dans le développement de la personnalité de l’enfant. En effet, un nouveau-né n’est essentiellement qu’un chaos désordonné de passions. Il n’est même pas capable de faire la distinction entre lui-même, sa mère et le monde.
C’est à travers les interactions avec sa mère que l’enfant unifie tranquillement ses passions en une personnalité cohérente. Si l’on regarde au ralenti ces interactions, on voit que l’enfant exprime des émotions désordonnées à sa mère, que celle-ci reçoit, ordonne et reflète ensuite à son enfant. L’enfant apprend alors progressivement à voir comment des émotions peuvent former un tout cohérent.
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Éventuellement, il apprend que sa mère est une personne et qu’il en est une autre, alors qu’il confondait auparavant sa propre personne, sa mère et le monde. L’attention et l’amour de la mère sont évidemment des parties vitales du processus. Si la mère est distraite ou agitée par des émotions qui viennent teinter son visage lors de ses relations avec son enfant, le développement de l’enfant en est affecté. De façon très concrète, c’est l’amour et le dévouement de la mère qui transforment l’enfant en une personne psychologiquement unie et cohérente.
Le sourire, invitation à s’ouvrir au monde
Dans ses écrits, Balthasar insiste sur la beauté du sourire de la mère. Devant l’enfant troublé et émotionnellement embarrassé, la mère sourit. La beauté de ce sourire vient non seulement rassurer l’enfant, mais surtout l’attirer à entrer dans le monde. L’enfant, émerveillé par l’amour qui transparait à travers le sourire, veut sortir de lui-même, sourire à son tour et devenir une personne capable d’aimer, comme sa mère.
Autrement dit, selon Balthasar, l’amour d’une mère parait à travers son sourire, et l’enfant répond par amour en souriant et en devenant éventuellement lui-même une personne entière. Dans ce recadrage, l’enfant réalise qu’il est uni à sa mère tout en en étant séparé. Il réalise qu’il est précédé par un amour auquel il est invité à participer davantage, amour qui lui permet d’être uni aux autres sans toutefois perdre son individualité.
De la fusion à la distinction
Il faut réaliser qu’une bonne mère veut que son enfant devienne indépendant. Un jour, si la mère remplit bien son rôle, l’enfant n’aura plus du tout besoin d’elle. Paradoxalement, c’est alors que l’enfant sera le plus à l’image de sa mère. En devenant un humain complet et indépendant, comme sa mère, il deviendra plus apte à l’aimer et, en réalité, plus proche d’elle.
Dieu veut que ses créatures soient indépendantes et que, attirées par sa beauté, elles s’approchent librement de lui en désirant lui ressembler.
Cette relation est à l’image de la relation entre le Père et le Fils dans la Trinité. Le Père n’a engendré le fils ni pour l’absorber en lui-même ni pour qu’il existe de façon totalement indépendante. C’est dans un amour mutuel que Père et Fils peuvent être à la fois unis et distincts.
Il en va de façon analogue avec le monde, que Dieu a créé par amour, pour que celui-ci lui soit à la fois uni et distinct. Au lieu de s’imposer sur le monde comme un tyran ou un ingénieur détaché, Dieu attire le monde à lui par sa beauté. Il veut que ses créatures soient indépendantes et que, attirées par sa beauté, elles s’approchent librement de lui en désirant lui ressembler.
La crucifixion comme objet d’amour
On observe que c’est ce à quoi Dieu travaille dans l’histoire du salut: récit après récit, dans l’Ancien Testament, l’humanité se détourne de Dieu, qui ne se fatigue pas de revenir à la charge pour regagner son amour.
L’évènement crucial pour Balthasar, la beauté ultime qui attire toute la création, est évidemment la crucifixion. Comme la beauté du sourire d’une mère dévouée attire son enfant à elle, la beauté du dévouement de Jésus nous attire à lui. Balthasar nous apprend que, tout comme le sourire d’une mère est un cadeau d’amour qui sort l’enfant du chaos pour faire de lui un individu, de même le sacrifice de Jésus est un cadeau qui nous sort du péché pour nous rendre semblables à lui.
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