par Serge H.Moïse
À la veille du 18 mai, une de mes correspondantes, soucieuse et inquiète du sort de la nation me posait la question suivante : Existe-t-il encore une âme haïtienne ?
Question fondamentale, s’il en est, car nombreux sont celles et ceux qui méditent depuis fort longtemps, sur cet aspect de notre problématique. Dans un article publié dans les colonnes du Nouvelliste en deux mille quatre, intitulé : Quo vadis, nous agitions déjà ce questionnement essayant de lui trouver des éléments de réponse.
Nous évoquions le fait que des étrangers aient eu à prendre en charge notre éducation dans leur langue à eux, charriant leurs propres valeurs culturelles au détriment des nôtres qui résulterait irrémédiablement à faire de nous des acculturés.
Et avec l’exode massif durant les années soixante, des jeunes cerveaux fuyant la dictature vers des cieux plus cléments, les exilés politiques, échappant de justesse aux pires châtiments corporels, sinon à des exécutions sommaires, sans aucune forme de procès. Plus tard il y a eu de façon exponentielle, les exilés économiques, lesquels face à la pénurie d’emplois recherchaient un mieux-être pour eux et les membres de leurs familles. La seule planche de salut se retrouvait aux portes des ambassades en quête d’un visa pour n’importe quelle destination.
Christophe Wargny, dans son ouvrage intitulé : Haïti n’existe pas, en dit long sur le désespoir des Haïtiens, en particulier les finissants de nos facultés auxquels le pays n’offre aucune possibilité de bâtir leur avenir à partir de leurs compétences acquises.
À croire qu’au pays de Dessalines, la rigueur intellectuelle, la compétence et l’intégrité constituent un luxe superflu dont il est préférable de se passer.
Et à défaut de sucre, de banane et de cacao, nos diplômés deviennent notre plus grande denrée d’exportation, avec les résultats que nous constatons depuis plusieurs décennies.
Est-il exagéré d’avancer que les fleurons de notre communauté, entendez les plus « éduqués », nous devrions dire les mieux dressés, sont tout sauf haïtiens ? Être reconnu ou décoré en terre étrangère n’est-il pas le summum de la réussite personnelle ?
La perfection des moyens et la confusion des buts semblent caractériser notre époque disaient Albert Einstein.
En effet, la science et la technologie réalisent des avancées prodigieuses, lesquelles auraient dû être en mesure d’améliorer considérablement la qualité de vie des femmes et des hommes partout sur la planète.
Des efforts et pas des moindres sont consentis pour la protection des animaux et c’est très noble. Une richissime américaine a légué par testament la rondelette somme de huit millions de dollars à la race canine. Comble d’amour et de générosité !
La création de la richesse, la croissance et les profits juteux au nom des « dollars-dieux » ont préséance sur toutes les valeurs cardinales. Les classes dominantes dans les pays du quart-monde pour singer les puissants de ce monde décadent s’en donnent à cœur joie au détriment de leurs populations respectives.
Ce qui nous amène à nous pencher sérieusement sur la question en invitant tout un chacun à se livrer objectivement à cet exercice fondamental et à se demander honnêtement : Qui suis-je ?
Un ami quelque peu cynique faisait le macabre rapprochement entre nos compatriotes et l’une des caractéristiques de tout liquide. Ce dernier prend toujours la forme du vase qui le contient. Histoire de dénoncer le phénomène du déni de soi très répandu dans toutes nos communautés en diaspora.
Cette fuite en avant très subtile dans le temps, prend des allures de moins en moins cachées pour étaler dans toute sa laideur le peu de sentiment d’appartenance à la patrie commune.
Est-ce une façon de débagouler nos souffrances et frustrations individuelles et collectives ? Nous laissons aux spécialistes en la matière le soin de poser ce genre de savant diagnostic.
Nous pouvons certes la retrouver, cette âme qui est la nôtre, par l’instauration de cet État de droit réclamé à cor et à cri depuis la chute de la dictature trentenaire, la création d’emplois à travers toute la république pour un développement endogène, une éducation tenant compte de notre histoire et de notre culture, le tout en parfaite harmonisation avec les régions avoisinantes et le grand village qu’est devenu le monde moderne.
Du choc des idées jaillit la lumière, nous a appris le grand Boileau. Par contre, paradoxalement, l’inverse est aussi vrai dans notre « singulier petit pays » puisque du choc des idées, entre nous, jaillissent, ténèbres et animosités.
Nous pouvons être en désaccord, sans être désagréables, répétait le président Obama. Il faut croire que c’est bon pour les autres, les civilisés, mais pas pour nous!
« Nous » qui avons pour patrie, la terre entière et pour pays, ceux des autres, ce qui rappelle les propos judicieux du grand poète québécois Félix Leclerc lorsqu’il disait : Il n’y a rien de plus triste pour un homme que de perdre son pays !
Nous voilà donc réduit à déplorer ce qui nous paraît un processus d’effritement de l’âme haïtienne, la quintessence de ce qui jadis, fit de nous, le peuple digne et fier, le peuple phare de la race.
Me Serge H. Moïse av.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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