Chers lecteurs, chers amis,
six mois de silence et toujours des questions. Vous êtes un certain nombre à continuer à m’écrire pour regretter le mutisme du blog, tenter d’en comprendre les raisons, appeler de vos vœux le retour des billets.
Je me devais de reprendre la plume pour expliquer, j’aurais dû le faire depuis longtemps. J’avais, il est vrai, esquissé quelques éléments de réponse mais sans entrer dans le détail. C’est ce que je vais faire maintenant.
Je passe vite fait sur les accusations, minoritaires mais toujours aussi burlesques, d’avoir été acheté par quelque puissance en maraude. Ça ne sera jamais que la sixième ou septième fois. Ma préférée il y a quelques années, quand j’ai été accusé dans le même billet d’être un agent du Mossad ET du Hezbollah. Grandiose.
D’autres, grands sentimentaux devant l’éternel, m’imaginent déçu par le fiasco russe en Ukraine, comme si j’avais quelque allégeance envers Moscou que ce soit et que je n’avais pas, au fil des années, égratigné leur Saint Vladimir, ce qu’ils étaient d’ailleurs les premiers à me reprocher.
D’aucuns sont mortifiés par la virulence des trolls pro-russes qui aurait émoussé l’envie de votre serviteur. Ce serait leur donner plus d’importance qu’ils n’en ont. Avec la modération des commentaires mise en place, les messages des imbéciles tombent directement dans la corbeille et je n’ai aucune idée de ce qu’ils écrivent ni même s’ils écrivent encore. J’imagine d’ailleurs que, la situation évoluant exactement selon mes prédictions, les plus fanatiques d’entre eux ont fini par ouvrir les yeux.
Si ces pauvres hères n’ont guère eu d’importance, j’ai été plus touché, je l’admets, par la réaction de certains lecteurs historiques des Chroniques. Même si les commentateurs ne constituaient qu’une infime minorité du lectorat, il est toujours triste de voir des gens qui m’avaient fait confiance durant de très longues années, qui m’avaient soutenu, parfois même aidé, changer soudain du tout au tout par partisanerie.
Je ne peux m’empêcher de penser à un émouvant épisode, qui n’avait d’ailleurs rien de géopolitique. Je m’apprêtais à partir dans les hauteurs mais une inattendue blessure à la jambe me faisait hésiter ; je recevais alors un florilège de messages tous plus touchants et affectueux les uns que les autres. Un lecteur résuma assez bien la chose : « D’habitude, ce sont les médecins qui reçoivent une centaine de patients. Dans votre cas particulier, c’est le patient qui reçoit une centaine de médecins ! »
Ce jour-là, bien que j’eusse déjà la tête dans les cimes qui m’attendaient, je fus véritablement, profondément ému par cette incroyable sollicitude. Un moment d’empathie peu commune, un acmé de communion sur ce blog. Un an après, les mêmes (pas tous) me vilipendaient pour avoir osé rester droit dans mes analyses.
Fier Sicambre, brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé…
Telle est la nature humaine, ainsi va le monde. Hélas.
Quoique désagréables, ces circonstances sont néanmoins très éloignées des raisons réelles de mon silence. Le mutisme des Chroniques trouve sa source dans des causes plus prosaïques et bien moins sentimentales : le Grand jeu s’est endormi, tout simplement.
D’une certaine manière et toutes proportions gardées, je suis dans la même position que le commentateur frénétique des années 30 – décennie folle, furieuse, où chaque matin apportait son lot de surprises – et qui se retrouve mis devant le fait accompli de la Seconde guerre mondiale, où tout se fige, où il n’y a plus rien à dire sauf à narrer comme un bourrin les opérations militaires.
Certes, il y a bien encore quelques menues choses à rapporter : la dédollarisation accrue de l’économie mondiale, le passage vers la multipolarité de plusieurs régions du monde etc. Mais tout cela ne constitue pas une nouveauté, votre serviteur l’avait prévu depuis longtemps. D’aucuns me conseillent d’ailleurs d’en profiter, de m’en vanter même : « Je vous l’avais bien dit, mon bon m’sieur. » Trop facile. Non que je ne l’aie pas fait dans le passé, mais je n’ai plus vraiment l’esprit à ça.
Observatus abordait la chose géopolitique en tant qu’analyste mais aussi, d’une certaine manière, en tant qu’esthète. Son œil gourmand s’attardait sur les grandes manœuvres géo-stratégiques en Eurasie, les monumentales joutes énergétiques, les intrusions thalassocratiques dans le Rimland ou le détachement du Vieux continent de l’empire. Tout cela est terminé. La guerre en Ukraine a gelé le Grand jeu, peut-être pour des années : chaque bloc se recroqueville sur lui-même, les interactions et les luttes d’influence sont au point mort.
Ces circonstances soporifiques ont entraîné les Chroniques dans une douce somnolence. Elles rouvriront les yeux dans quelques jours, quelques semaines, quelques mois, quelques années. Personne ne peut le dire…
Il me reste à vous saluer, chers lecteurs. Bien à vous tous.
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