Les gains diplomatiques et commerciaux de Pékin cette année ont été si importants qu’ils ont suscité la panique à Washington.
Par David P. Goldman – Le 29 avril 2023 – Asia Times
C’est la derniere bataille en date pour les puces électroniques, bataille qui n’a finalement pas eu lieu : Des fonctionnaires allemands ont nié que Berlin envisageait d’arrêter d’exporter des produits chimiques spécialisés pour la fabrication de puces, a rapporté Reuters, le 27 avril – au lendemain de l’annonce de Bloomberg News disant que le gouvernement d’Olaf Scholz “était en pourparlers” sur le sujet, probablement sous l’impulsion de Washington.
Les cours des actions de BASF et de Solvay, les plus grands fabricants de produits spécialisés, ont plongé jeudi après la publication de l’article de Bloomberg, mais se sont nettement redressés vendredi après le démenti du gouvernement.
Plus d’une douzaine de produits chimiques, dont des acides, des bases et des solvants, sont indispensables pour graver des microcircuits sur des plaquettes de silicium, et une interruption de l’approvisionnement paralyserait la capacité de fabrication de la Chine. La restriction de ces produits chimiques entraînerait une escalade de la guerre des puces bien au-delà de la portée des contrôles de l’administration Biden du 7 octobre sur les équipements de semi-conducteurs et les logiciels de conception pour les puces les plus avancées, utilisées dans les smartphones haut de gamme, les serveurs et les applications d’intelligence artificielle. L’objectif serait d’inclure toutes les puces, y compris les processus dits “matures“.
Dans le même ordre d’idées, la secrétaire américaine au commerce, Gina Raimondo, a annoncé le 26 avril que les États-Unis envisageraient d’interdire les exportations vers les entreprises chinoises spécialisées dans l’informatique en cloud, notamment Alibaba et Huawei. Raimondo répondait à une lettre d’un groupe de sénateurs dirigé par Bill Hagerty (R-TN) avertissant que l’informatique en cloud chinoise menaçait la “sécurité nationale et économique” des États-Unis.
L’administration Biden devrait également interdire les investissements américains dans des secteurs de haute technologie en Chine, dont la liste n’a pas encore été communiquée.
Les Républicains de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants sont en train de conclure une enquête de trois mois sur l’application du contrôle des puces par le département du commerce et ont proposé une législation qui confierait au département de la défense la responsabilité d’appliquer l’interdiction. Gregory Allen, du Centre d’études stratégiques et internationales, a déclaré lors d’un témoignage devant le Congrès, le 13 avril, que “les activités d’évasion de la Chine en matière de contrôle des exportations sont importantes et se développent. Ma principale recommandation est que le Congrès se concentre sur des stratégies concrètes visant à renforcer cette application et à combler les lacunes restantes qui risquent de permettre à la Chine de combler le fossé en matière d’intelligence artificielle“.
Washington s’efforce de restaurer la crédibilité de ses efforts pour contenir la Chine après une série de victoires diplomatiques chinoises, notamment le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite sous la médiation de Pékin, la visite du président français Emmanuel Macron à Pékin en signe d’indépendance vis-à-vis de Washington et les visites du président brésilien Lula et du président malaisien Anwar Ibrahim.
L’appel téléphonique du président ukrainien Zelensky avec Xi Jinping et l’envoi d’un émissaire chinois spécial en Ukraine laissent entrevoir la possibilité que la Chine recolle les morceaux en Ukraine, après qu’une série de fuites préjudiciables du Pentagone ait révélé à quel point l’Amérique s’est fourvoyée.
À l’approche des élections présidentielles de 2024, l’administration Démocrate est sensible aux allégations des Républicains selon lesquelles elle serait trop laxiste à l’égard de la Chine.
Le succès économique de la Chine dans les pays du Sud menace d’attirer des pays clés hors de l’orbite américaine. En mars, les exportations chinoises vers les pays de l’ANASE ont augmenté de 35 % d’une année sur l’autre et les exportations vers l’Asie centrale (y compris la Turquie et l’Iran) ont augmenté de 55 %, rapportait Asia Times, le 25 avril. La Chine exporte désormais davantage vers les pays du Sud que vers les marchés développés.
Les contrôles de Washington sur l’exportation de puces et de technologies de fabrication de puces haut de gamme vers la Chine, annoncés le 7 octobre 2022, avaient pour but d’empêcher la Chine d’accéder au matériel de pointe qui soutenait les applications d’intelligence artificielle les plus avancées. En revanche, le département du commerce a fait preuve de souplesse en autorisant les fabricants d’équipements de semi-conducteurs à expédier des machines produisant des puces sophistiquées.
L’administration Biden a adapté sa stratégie à partir d’un rapport publié en septembre 2022 par le Special Competitive Studies Project, présidé par l’ancien PDG de Google, Eric Schmidt. Ce rapport proposait une réponse à la puissance militaire croissante de la Chine, telle qu’imaginée par les investisseurs en capital-risque de la Silicon Valley : Une “stratégie Offset-X” comprenant “des opérations distribuées et en réseau, une collaboration homme-machine, une équipe homme-machine, la primauté de la guerre centrée sur le logiciel, la résilience et une plus grande interopérabilité technologique, l’interchangeabilité et les partenaires“.
Il s’agit là d’une vision futuriste de la Silicon Valley, sans rapport avec la technologie militaire qui prévaudra dans un avenir prévisible. Les militaires américains et chinois utilisent des puces d’ancienne génération pour la détection, le ciblage et le traitement des informations. Les puces plus anciennes sont plus robustes et plus faciles à durcir, comme l’explique une étude de la Rand Corporation datant de février 2022.
L’administration Biden a gravement sous-estimé la puissance et l’importance des technologies des puces matures (14 nanomètres et plus), qui représentent 95 % du marché mondial des puces et alimentent l’infrastructure 5G, les applications de productivité industrielle et d’autres technologies dites de la quatrième révolution industrielle. Les fabricants de semi-conducteurs dépendent des puces matures pour la plupart de leurs revenus, et l’investissement massif de la Chine dans une chaîne d’approvisionnement nationale menace d’éroder la base financière de l’ensemble de l’industrie occidentale des puces, comme l’a observé Dimitri Alperovitch de Silverado Incubator.
L’un des problèmes est que la fermeture du marché chinois pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur les revenus des entreprises occidentales de haute technologie. L‘Atlantic Council mettait en garde dans un rapport datant de mars 2023 : “Bien que les mesures prises par l’administration Biden pour limiter les progrès de la Chine dans la production de semi-conducteurs de pointe semblent calibrées pour éviter une perturbation généralisée de l’industrie, la politique a des conséquences douloureuses qui ne peuvent être minimisées….l’impact final peut être ressenti en termes de ce que l’industrie appelle une “perte d’échelle significative” qui pourrait produire moins de ressources pour la R&D et de nouveaux investissements…. Il est essentiel que l’industrie des semi-conducteurs – et ses alliés américains, comme nous le verrons plus loin – ait son mot à dire dans l’évaluation de l’impact potentiel des contraintes supplémentaires proposées. La communication est essentielle pour éviter les conséquences involontaires“.
Pour ne rien arranger, les sanctions américaines sur la vente de puces haut de gamme à la Chine sont extrêmement difficiles à appliquer. Pour se conformer aux sanctions, Nvidia a réduit la vitesse d’horloge d’une variante de ses GPU, la norme pour les serveurs haut de gamme, tout en vendant pratiquement le même produit à la Chine.
En outre, le marché mondial des puces est si complexe et opaque que les entreprises chinoises peuvent acheter tout ce qu’elles veulent sur le marché gris, et la capacité d’application du département du commerce est tout à fait insuffisante pour empêcher cela, a déclaré M. Allen. Selon des sources chinoises, les GPU haut de gamme sont en vente libre avec une surcout de seulement 10 % par rapport au prix courant.
Les commentateurs chinois comparent la guerre des puces à la guerre civile chinoise. En se concentrant sur les puces bas de gamme et en cassant les prix des fabricants occidentaux, Chen Feng, chroniqueur à l’”Observer“, affirme que la Chine “encerclera les villes à partir de la campagne“, en référence à la stratégie militaire fructueuse de Mao pendant la guerre civile des années 1940. Les États-Unis “ne peuvent se rendre à Menglainggu [le site d’une victoire communiste décisive en 1947] qu’en s’appuyant sur des puces haut de gamme“. Comme nous l’avons vu, des analystes comme Alperovitch ont déjà signalé le danger.
Le 27 mars, Huawei a annoncé qu’elle avait développé son propre logiciel de conception de puces pour les nœuds matures de 14 nanomètres et plus ; si cela est vrai, cela représenterait un grand pas vers l’indépendance de la Chine par rapport aux entreprises de conception américaines Cadence et Synopsis, qui avaient un quasi-monopole sur la technologie.
Comme l’a suggéré l’Atlantic Council, l’administration Biden semble avoir donné aux entreprises américaines une marge de manœuvre considérable en matière d’exportations vers la Chine. LAM Research, l’un des principaux fabricants américains d’équipements de semi-conducteurs, a prédit une augmentation des ventes à la Chine jusqu’à la fin de l’année 2023, après avoir reçu une “clarification” des règles d’exportation de la part de l’administration Biden. Le géant néerlandais de la lithographie de puces ASML a également prévu une augmentation de ses ventes en Chine cette année, et son PDG Peter Wennink a déclaré que “l’espace des semi-conducteurs matures est très important et doit se développer. Et c’est là que la Chine est très forte“.
L’interdiction des produits chimiques pour semi-conducteurs décrétée à Berlin a peut-être échoué, mais il s’agit de la première salve de ce qui sera une longue guerre d’usure dans le domaine de la technologie.
David P. Goldman
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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