L’autrice est professeure titulaire retraitée de l’Université Laval et porte-parole de Debout pour l’école !. Elle cosigne ce texte avec près d’une trentaine de personnes issues du milieu de l’éducation*.
Non, il ne s’agit pas d’une réforme, mais bel et bien d’un coup de force contre ce qui reste de démocratique dans le système scolaire québécois et contre les savoirs nombreux et complexes des spécialistes universitaires et des gens du terrain en éducation. Il s’agit du mépris des institutions universitaires, mais aussi des personnes qui ont oeuvré en éducation, dont les présidents du Conseil supérieur de l’éducation. Par son projet de loi 23, le ministre veut être seul pilote dans le gros bateau du réseau de l’éducation et ainsi pouvoir, depuis le confort de son bureau à Québec, surveiller, dire quoi faire et comment le faire à 150 000 personnes impliquées corps et âme dans la mission éducative. Le tout, sans consulter la population, car il sait ce qui est bon pour elle.
L’abolition du Conseil supérieur de l’éducation, au fonctionnement démocratique et représentatif des différentes expertises en éducation, est très grave et constitue une autre facette de ce coup de force gouvernemental. Véritable gardien de l’esprit de la réforme Parent depuis 60 ans, ce conseil a produit d’importants rapports sur les grands enjeux de l’éducation, mais ont-ils été lus et pris en considération par nos politiciens? L’idéologie marchande de l’éducation qui est celle de la Coalition avenir Québec (CAQ) nous laisse croire qu’ils ont plutôt été tablettés, puisqu’ils ne correspondent pas à ses valeurs.
Qu’est-ce que l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) apportera de plus que les centaines de recherches menées dans les centres de recherche en éducation dans les neuf universités au Québec et diffusées par les nombreuses associations disciplinaires et professionnelles qui animent le développement professionnel depuis des décennies?
Fort de sa vision étroite de la pédagogie, de son idéologie néolibérale et son épistémologie positiviste, l’INEE décidera en essence de ce qui est bon, de ce qui est de la vraie science et de ce qu’il faut faire, comme s’il n’y avait qu’une seule bonne façon d’enseigner et de faire apprendre à des milliers de personnes différentes, comme si la complexité de l’expérience scolaire pouvait être réduite à de simples indicateurs de performance. Cet institut, concocté par des chercheurs associés à la CAQ, était dans les cartons depuis le début du gouvernement, il y a six ans, et le ministre Drainville a «oublié» d’en parler lors du dévoilement de ses priorités.
L’INEE se permettra de décider ce qu’il faut offrir comme formation continue aux différents personnels de l’éducation, en leur retirant le pouvoir de choisir la formation dont ils ont besoin en fonction des élèves qu’ils ont dans leur classe et qu’ils connaissent mieux que n’importe quel sacro-saint chercheur produisant des données probantes, comme si les certitudes issues des sciences médicales pouvaient s’appliquer dans le domaine de l’éducation.
Le mantra de la réussite scolaire, l’obsession des résultats chiffrés et de la diplomation, ne crée qu’anxiété chez les élèves. Même chose chez le corps enseignant, la nécessité d’enseigner et de ne faire apprendre que ce qui compte pour l’examen — et de ce fait oriente le curriculum — crée l’anxiété. Ces examens ministériels sont dénoncés depuis des décennies par des spécialistes du français, des mathématiques et des sciences, de même que par des spécialistes universitaires en mesure et évaluation.
Cet institut, qui sera en fait un outil au service du politique, aura même le pouvoir de décider de ce qu’il faut enseigner dans les programmes de formation des maîtres. Il détruit même le CAPFE, le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement, qui assurait jusqu’à présent, de façon indépendante, la qualité de la formation enseignante.
Malheureusement, avec ce coup de force, le ministre Drainville ne change pas que les structures : il s’attaque à la nature profonde de l’éducation et à la mission de l’institution dont nous avons hérité de la Révolution tranquille. Ce n’est pas un progrès dont il s’agit, mais d’un grave retour en arrière. Il faut remonter au premier mandat de Duplessis pour trouver pareils autoritarisme et mépris de la démocratie et du savoir.
*Ont aussi cosigné ce texte :
Flavie Achard, enseignante de biologie retraitée du collégial
Stéphane Allaire, sciences de l’éducation, UQAC
Joëlle Arbour-Maynard, enseignante au primaire, démissionnaire
Martine Arpin, enseignante au primaire, blogueuse atelier écriture au primaire
Charles-Antoine Bachand, sciences de l’éducation, UQO
Réal Bergeron, professeur émérite, UQAT
Christiane Blaser, faculté d’éducation, Université de Sherbrooke
Joël Boucher, ex-enseignant au primaire, ex-directeur d’école, professeur invité, UQAM
Priscilla Boyer, professeure titulaire, l’éducation, UQTR
Wilfried Cordeau, étudiant en sciences de l’éducation et parent
Jean Danis, enseignant au secondaire et doctorant en éducation, Université Laval
Émilie Deschênes, professeure en sciences de l’éducation, UQAT
Judith Émery-Bruneau, professeure titulaire, sciences de l’éducation, UQO
Madeleine Ferland, enseignante de philosophie retraitée du collégial
Nancy Goyette, professeure en sciences de l’éducation, UQTR
Bernard Harvey, professeur en sciences de l’éducation, UQAT
Marie-Claude Larouche, professeure titulaire, l’éducation, UQTR
David Lefrançois, professeur, sciences de l’éducation, UQO
Marie-France Maranda, professeure titulaire retraitée, Université Laval
Stéphane Martineau, professeur titulaire, département des sciences de l’éducation, UQTR
Yves Nadon, enseignant au primaire, chargé de cours, Université de Sherbrooke
Isabelle Nizet, professeure retraitée, mesures et évaluation, Université de Sherbrooke.
Marie-Christine Paret, professeure honoraire, Université de Montréal
Michel Parazelli, professeur associé, École de travail social, UQAM
Lucie Sauvé, professeure émérite, Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, UQAM
Joanne Teasdale, enseignante au primaire retraitée, ex-membre du Conseil supérieur de l’éducation
Jean Trudelle, enseignant de physique retraité du collégial, membre fondateur de Debout pour l’école !
Simon Viviers, orientation scolaire, science de l’éducation, Université Laval
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal