Cet article nous informe sur le tsunami diplomatique en cours au Moyen-Orient, dont nous n’entendons pratiquement pas parler en Occident, narratif de l’empire oblige. La perspective d’un règlement sur le fond de la crise en Syrie se rapproche si l’Arabie saoudite cesse le soutien au groupes djihadistes qui y opèrent encore. Au passage, cela privera les États-Unis de la possibilité de continuer à dérober le pétrole syrien en toute illégalité. On voit se dessiner en filigrane les raisons de ce « revirement » de l’Arabie saoudite. Ceci dit, l’assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul en 2019 est plus un symptôme qu’un facteur de cette évolution. Le changement d’allégeance des Saoudiens a commencé bien avant, au minimum depuis l’association de la Russie dans l’OPEC+, plus ou moins contemporaine du coup de l’EuroMaidan et de la reprise de contrôle de la Crimée par la Russie. La Russie et l’Arabie saoudite se sont alors entendues pour contrer la production des gaz de schiste états-unien, en amont de la « guerre du pétrole » qui a suivi la pandémie de Covid. Le facteur clé reste, bien entendu, la montée en puissance de la Chine et le souci « culturel » de gouvernant arabes d’être du bon côté du manche de l’outil. L’affaire Kashoggi a été un moyen pour l’Arabie saoudite de signifier aux États-Unis qu’ils voulaient reprendre la maitrise de leur destin pour la confier à quelqu’un de plus prometteur et qu’ils ne laisseraient pas les manipulations traditionnelles états-uniennes par dissidents interposés se mettre en travers de leur chemin.
Bon, c’est bien sûr toujours une bonne nouvelle quand on entend le bruit des canons s’éloigner. Mais je doute que cela fasse les beaux jours des révolutionnaires kurdes de la Rojava ou du parti Toudeh à Teheran…
Jean-Luc Picker
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Un autre séisme diplomatique au Moyen-Orient ? La Syrie sort du tunnel
par Scott Ritter
Après l’accord conclu sous l’égide de la Chine entre l’Arabie saoudite et l’Iran, un autre bouleversement diplomatique se prépare au Moyen Orient. Cette fois-ci, c’est la Russie qui joue les chefs d’orchestre.
Alors que le monde n’a pas encore totalement intégré la réalité – et les conséquences – du rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran orchestré par la Chine, un autre bouleversement est en préparation dans la région. Cette fois, ce sont les Russes qui sont à la manœuvre. Le ministre des Affaires étrangères saoudien, Faisal Bin Farhan a atterri à Damas la semaine dernière pour y rencontrer le président syrien Bashar al-Assad. Sa visite faisait suite à celle du ministre syrien des Affaires étrangères Faisal Mikdad, qui s’est rendu le mois dernier à Riyad.
Les deux pays avaient coupé leurs relations diplomatiques depuis 2012, au début de la guerre civile en Syrie, alors que l’Arabie saoudite avait mis son poids dans la balance en finançant les insurgés dans l’espoir de renverser Assad. Le volte-face diplomatique de l’Arabie saoudite est à comprendre dans le contexte d’une nouvelle définition de sa politique étrangère, qui s’est traduite dans l’accord historique signé avec l’Iran. Cette nouvelle approche cherche la stabilité régionale en résolvant les conflits plutôt que par des stratégies militaires d’endiguement.
Comme l’a commenté le ministre saoudien à Damas : « l’objectif des Saoudiens est de trouver une solution politique à la crise syrienne qui mettrait un terme à ses contre-coups dans la région et qui, en préservant l’unité, la sécurité, la stabilité et l’identité arabe de la Syrie lui permettrait d’être réintégrée dans son environnement arabe. »
Une entreprise diplomatique d’envergure
Cette avancée diplomatique gigantesque entre Riyad et Damas est la conséquence de l’influence grandissante de la Russie dans les affaires du Moyen-Orient et constitue le dernier des signaux les plus visibles de la perte d’ascendance des États-Unis dans la région, où son empreinte militaire et diplomatique a décliné régulièrement au cours des dernières années.
La Russie bénéficie de liens de longue date avec le gouvernement syrien. En 2015, son intervention dans la guerre civile a permis de sauver le gouvernement d’Assad, lui permettant de regagner l’initiative contre une opposition soutenue par les États-Unis et les Saoudiens. Sa relation avec l’Arabie saoudite, à l’opposé, était plus complexe, dans la mesure où les saoudiens restaient alignés sur les objectifs états-uniens en matière de sécurité nationale et étrangère au Moyen-Orient et de politique énergétique globale. Mais cette dynamique a changé en octobre 2018, lorsque des agents saoudiens, dont il est dit qu’ils travaillait sous les ordres directs du prince de la couronne Mohammed Ben Salmane, ont assassiné le journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi.
Les Saoudiens se sont offensés de la levée de boucliers que ce crime a suscité aux États-Unis. A été mal perçue en particulier la menace proférée par le candidat à la présidentielle Joe Biden d’isoler et de punir le prince de la couronne appelé familièrement MbS. Durant un débat télévisé en novembre 2019 il a déclaré que « nous allons leur en faire payer le prix, et les réduire à leur rang de paria » ajoutant qu’« il y a peu de valeur sociale dans le gouvernement actuel de l’Arabie saoudite. »
Biden devait regretter ces mots plus tard. En juillet 2022, il s’est vu dans l’obligation de courir en Arabie saoudite pour demander à MbS d’augmenter leur production de pétrole afin de contrôler l’envolée des prix suscité par les sanctions états-uniennes contre le pétrole et le gaz russe imposées à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. MbS a reçu Biden, mais les États-Unis n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient. Si la rencontre entre les deux dirigeants n’a pas donné les résultats escomptés, ce n’est pas seulement dû au peu d’atomes crochus entre les deux hommes. L’Arabie saoudite et la Russie avaient déjà intégré que, en tant que producteurs majeurs de pétrole, leurs intérêts ne s’accommodaient plus de la compétition organisée dans un marché dominé par les inquiétudes des États-Unis.
Cette compréhension commune est née en fait au printemps 2020, dans le sillage de la tourmente qu’a été la « guerre du pétrole » entre les deux pays, où l’on a vu l’Arabie saoudite baisser soudainement les prix du pétrole en saturant le marché, entrainant une réponse similaire de la part de la Russie. Ce sont des négociations patronnées par le président de l’époque Donald Trump qui ont mis fin à cette guerre, et pendant quelques temps, le marché de l’énergie a été structuré par une collusion ouverte des trois principaux producteurs, les États-Unis, la Russie et l’Arabie saoudite, pour limiter leurs quotas.
Intervient alors l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les sanctions états-uniennes en retour ont persuadé la Russie et l’Arabie saoudite que les États-Unis n’étaient pas un partenaire fiable pour gérer leur principale ressource nationale : l’énergie.
Tensions entre les États-Unis et l’Arabie saoudite
Alors que des liens nouveaux se formaient entre la Russie et l’Arabie saoudite, sur la base d’objectifs et de buts communs, les tensions entre l’Arabie saoudite et les États-Unis ne pouvaient que s’amplifier, poussées par la totale absence de résonance entre les politiques moyen-orientales de l’administration Biden et de MbS. L’Arabie saoudite est embarquée dans un projet essentiel : Vision 2030 qui vise à organiser la transition d’un royaume trop dépendant de sa manne pétrolière en une économie diversifiée basée sur les nouvelles technologies et des initiatives économiques non reliées au secteur du pétrole.
Une contingence clé pour le succès de ce projet colossal est la reconnaissance de l’Arabie saoudite comme une force régionale et mondiale connectée au monde actuel. Cette nécessité entre en conflit avec les politiques états-uniennes qui recherchent au contraire l’instabilité régionale et la guerre. L’administration Biden s’est enferrée dans une politique qui exige de l’Arabie saoudite qu’elle se comporte en pierre angulaire de la confrontation avec l’Iran sur un éventail qui va du Liban au Yemen en passant par la Syrie et l’Irak.
L’Arabie saoudite a bien dû accepter que sa guerre au Yemen, engagée en 2014, ne pouvait pas être gagnée et que les efforts de déstabilisation des États-Unis au Liban, en Syrie et en Irak menaient à l’impasse. Avec ses buts de diversification économique présents à l’esprit, elle s’est tournée vers la Russie pour créer la stabilité régionale nécessaire pour développer une économie à partir de sa richesse énergétique. La Russie a discrètement organisé les discussions entre diplomates et responsables syriens et saoudiens dont l’apogée s’est traduite en mars 2023 par la visite du président Assad à Moscou où le principe d’un rapprochement avec l’Arabie saoudite a été finalisé.
Il reste du travail à faire, c’est certain. Les efforts de l’Arabie saoudite pour ramener la Syrie dans le giron de la ligue arabe se heurtent encore à la résistance obstinée des obligés des États-Unis, Jordanie, Koweit et Qatar. Mais ce qui est essentiel c’est que, grâce à la diplomatie russe et chinoise, c’est un vent de paix et non un ouragan de guerre qui souffle sur tout le Moyen-Orient. La sortie du tunnel de la Syrie est tout simplement la dernière manifestation de ce phénomène.
source : Consortium News via Histoire et Société
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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