Le service et ses petits miracles

Le service et ses petits miracles

Texte écrit par Myriam Lefebvre

Les miracles, c’est beau; on aime se réchauffer à la lumière d’espérance qu’ils dégagent. Fred a des miracles à raconter: des histoires de vies transformées, en commençant par la sienne.  Histoires courantes et pourtant si uniques, parfois suscitées par aussi peu qu’une rencontre inattendue, la réponse à un appel ou par un regard qui redonne confiance.

Fred et sa femme Guylaine sont bénévoles à l’aide alimentaire de la paroisse Saint-Jean XXIII à Saint-Hubert. Ce couple uni depuis plus de trente ans partage une même foi, un même appel: celui de se mettre au service des autres.

Voici son histoire.

Transformation intérieure

Fred marche dans les rues de Montréal. C’est ce qu’il fait chaque nuit. C’est une des nécessités de l’itinérance; marcher pour se réchauffer, pour survivre. Mais cette fois, c’est différent. La mort rôde au-dedans de lui. Parfois, il lutte contre elle, d’autres fois, il s’y livre à travers des dépendances de toutes sortes. Ce soir, elle est plus tangible, car il n’a rien consommé. Toutes ses pensées sont tournées vers Dieu dans ce cri du cœur: «Hey! Si toi, t’existes, faut que tu fasses quelque chose parce que là, ch’t’à bout!»

Soudain, une paix extraordinaire le submerge. En passant devant le collège Villa Maria, il aperçoit une croix protégée par un pavillon de jardin. Il s’introduit dans le jardin. La croix l’appelle. Plus il s’approche du Seigneur en croix, plus il le sent présent. Les quelques mètres qu’il parcourt sont un chemin de rédemption. Fred peine à décrire cette expérience qui est au-delà des mots: «Je ne sais pas combien de temps ça a pris pour me rendre devant lui parce qu’il s’est passé une transformation intérieure. Je ne peux pas le décrire. Et là, je suis tombé à genoux devant lui. C’est comme s’il était là pour moi.»

Au pied de la croix où il pleure, il sent que le Seigneur le guérit de toutes ses douleurs, de cette longue plainte de désespérance qui l’habite depuis sa naissance, de ses larmes qui le noyaient depuis toujours. «Tout s’est transformé. Je n’étais plus capable de suivre avec ma tête parce que ça allait trop vite. Il y avait tellement d’amour… Tout est devenu clair dans ma vie.»

«À partir de ce moment-là, il m’a toujours porté de ses grâces.»

À cet instant, il reconnait toutes les fois où Dieu se manifestait à lui à travers les personnes qui étaient sur sa route:  la présence de l’un qui console sans rien dire, le regard de l’autre en attendant l’autobus… À partir de ce moment, de façon radicale, Fred rompt avec ses dépendances. Il vit sa cure, accompagné d’une bible.

Avant, il avait bien essayé, mais on finissait toujours par le renvoyer des centres de désintoxication. C’est qu’il a un caractère bouillant. Ses émotions le prennent souvent d’assaut comme un volcan incontrôlable. Cette fois, c’est différent. Le Seigneur est de la partie. Il l’accompagne dans sa transformation.

«À partir de ce moment-là, il m’a toujours porté de ses grâces.»

Une autre rencontre

Entretemps, Christian Beaulieu, un prêtre responsable du Pharillon à Montréal, organise une année de ressourcement pour les jeunes au Centre Paul VI à Granby. Parmi les bénévoles qui travaillent à ce projet, il y a Guylaine. Elle vivra ce projet en tant que responsable de la communauté. Dans son cœur, elle est prête à tout donner à Dieu. Elle songe à devenir religieuse.

De son côté, Fred, tout juste sorti de la rue, veut également vivre cette année de ressourcement. Un appel germe en lui: donner sa vie au Seigneur. Il croit être appelé à la prêtrise. Cette année lui permettra de discerner sa vocation.

Avec une vingtaine de jeunes, Guylaine et Fred se retrouvent donc à la fin de l’été 1991. Guylaine a 27 ans, Fred en a 21. S’installe entre eux une solide amitié. «C’est un gars qui veut, qui a une soif de découvrir Dieu, d’aller plus loin», se dit Guylaine. Leur amitié et leur complicité sont si évidentes que leur accompagnateur spirituel et les autres participants sont persuadés qu’ils sont amoureux. Guylaine et Fred rient de tout cela pendant leurs longs échanges.

«Si tu avais choisi d’être prêtre, je t’aurais accompagné. Tu décides de te marier, je t’accompagne. Je suis avec toi.»

Tout juste avant Noël, Fred accompagne Guylaine chez le garagiste. Alors qu’ils attendent, un vieux couple entre et s’exclame en les voyant rire et parler ensemble:

– Ah que c’est donc beau, des jeunes mariés!

Guylaine et Fred n’osent pas les corriger. Mais cette remarque leur ouvre les yeux. Tous autour d’eux savaient ce qu’ils refusaient d’admettre. C’est à ce moment qu’ils font face à leurs réels sentiments. Cet amour naissant, ils ne savent pas trop quoi en faire. Là encore, ils se tournent vers le Seigneur et prient. Ils demandent des signes et des confirmations pour être surs de ce qu’il veut pour eux. Alors qu’ils croyaient consacrer leur vie au Seigneur, il semble que leurs plans personnels soient déjoués.

Pourtant, il n’y a pas de confirmation claire, sinon leur amour réciproque et cette joie d’être ensemble. Ils décident de se marier. Lors du grand jour, une fois les vœux échangés, Fred reçoit en son cœur cette parole: «Si tu avais choisi d’être prêtre, je t’aurais accompagné. Tu décides de te marier, je t’accompagne. Je suis avec toi.»

Il témoigne: «J’ai gouté à la liberté de Dieu. Dieu m’a laissé cette liberté. Et j’ai gouté à ça le jour de mon mariage… C’était la beauté de la relation que j’avais avec Dieu, cette douceur-là de dire: ‘‘Écoute, regarde, je t’accompagne. Tu es libre. Je t’aime.’’»

Cette révélation de la liberté immense que le Seigneur nous donne, de cet amour indéfectible du Père, touche et rassure Fred.

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L’appel du service

Fred et Guylaine sont habités par le même désir de mettre leur vie au service de Dieu. C’est leur façon de vivre leur foi. L’appel ressenti a seulement pris un autre chemin: servir Dieu ensemble dans la vie de famille, la vie conjugale et la vie de communauté.

Pour Fred, le service, c’est la route du bonheur. «Ça donne la conscience qu’on n’est pas tout seul. Ça permet d’être en communion.»

Ils fondent une belle famille. Trois petits garçons plus tard, ils aménagent dans une maison à Saint-Hubert, tout près de la paroisse Saint-Jean XXIII que Guylaine fréquentait plus jeune. Bientôt, il leur faut plus grand.

Un couple de paroissiens leur propose sa maison, mais ils n’ont pas les moyens de l’acheter. Ils optent alors pour une location avec option d’achat. Quelques mois plus tard, ils décident de l’acheter. C’est un autre paroissien qui offre de leur prêter l’argent pour la mise de fonds.

Pour eux, c’est cette série de petits miracles qui leur a permis de devenir propriétaires de ce nid douillet pour leur famille qui compte à présent quatre beaux garçons.

La paroisse Saint-Jean XXIII, c’est leur lieu d’appartenance. Ils se mettent au service de la communauté de différentes manières: animation musicale, bénévolat à la friperie de la paroisse et à l’école des enfants. Leur maison est toujours ouverte pour les jeunes et les amis qui en ont besoin. Tous se sentent accueillis, si bien que certains jeunes passent plus de temps chez Fred et Guylaine que dans leur propre famille. Ils ont trois «adoptés», trois jeunes dont la vie a été transformée par cette maison ouverte et accueillante, et par ces gens bienveillants avec qui ils ont bâti des liens solides.

La transformation de la paroisse

Quand la pandémie frappe le Québec, Guylaine et Fred se mettent au service du dépannage alimentaire. Ce soutien aux familles dans le besoin est offert depuis des décennies par la paroisse. Avant la pandémie sept à huit ménages en étaient bénéficiaires. À présent, c’est de 25 à 35 ménages qui y ont recours toutes les semaines, et ce, uniquement sur le territoire desservi par la paroisse.

La question qui guide la paroisse dans ses décisions est: «Qu’est-ce que Jésus aurait fait?»

Mais pour être au service de ces familles, la paroisse doit faire des choix parfois difficiles. Le local utilisé pour l’aide alimentaire est trop exigu et ne suffit plus à la demande. On choisit donc de fermer la friperie et de récupérer ses locaux afin de pouvoir aider les familles dans le besoin. La question qui guide la paroisse dans ses décisions est: «Qu’est-ce que Jésus aurait fait?»

Fred : «On a voulu être à l’écoute de ces personnes-là, être une église d’action qui aide les sans-églises. De cette décision ont découlé plein de miracles. Des familles complètes qu’on a vues se transformer, se prendre en main, se franciser, trouver du travail.»

Une présence qui redonne confiance

Guylaine: «Un jour, monsieur T. vient chercher son panier de Noël. On avait mis 3 cadeaux dans son panier.

Quand il les voit, il s’exclame: ‘‘Des cadeaux pour ma fille!’’ Des larmes de bonheur, de reconnaissance coulent. Il est profondément touché. Depuis, il vient donner du temps pour la Grande guignolée des médias. Il est très reconnaissant. Il y en a beaucoup comme ça.»

Il y a aussi cette bénéficiaire qui vient faire du bénévolat à l’aide alimentaire. «Elle sait comment ça peut faire la différence d’aider les autres. Redonner, c’est gratifiant.»

Il y a cette famille allophone dont la mère a été bénévole à la boutique de la paroisse. Cette famille s’est finalement trouvé du travail et a déménagé après quelques années. Guylaine et Fred continuent de recevoir des nouvelles d’eux.

Il y a cette autre famille qui leur a demandé d’être parrain et marraine de leur enfant qui sera bientôt baptisé.

Voilà quelques miracles parmi tant d’autres.

F: «Des fois, quand t’es dans un moment difficile de ta vie, ça ne prend pas grand-chose pour changer la direction, ta mentalité, ton espérance.»

G: «Le petit coup de pouce que tu donnes pour l’aide alimentaire, bien, ce n’est pas juste ça qui se fait. C’est aussi l’écoute.»

Un regard sans jugement qui redonne confiance et dignité, c’est l’élan qu’il faut pour oser un nouveau départ. Il y a des miracles si doux, si précieux, qu’ils pourraient passer inaperçus dans la multitude de scintillements d’une vie qui va trop vite.

Se mettre au service des autres est un miracle qui en engendre des milliers d’autres.

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