Les médias du système étaient parfaitement d’accord avec la « lettre écarlate » des réseaux sociaux lorsqu’elle n’était attribuée qu’à leurs homologues orientaux « indésirables ».
Par Rachel Marsden
Source : RT, 20 avril 2023
Traduction : lecridespeuples.fr
Récemment, certains médias ont quitté Twitter en raison de ce qu’ils considèrent comme un étiquetage injuste, ce qui nous amène à nous poser la question suivante : où était leur indignation lorsque les mêmes règles étaient appliquées à leurs concurrents ?
Où était la fureur occidentale lorsque la plateforme de réseaux sociaux apposait des étiquettes d’affiliation étatique ou de financement sur des médias liés à la Russie, à la Chine [ou à l’Iran], comme RT [ou Press TV] ? Nulle part. Qu’en était-il lorsque la plateforme étendait ce même étiquetage aux journalistes individuels contribuant à ces plateformes ? Là encore, silence radio. Ce n’est que maintenant qu’ils laissent éclater leur indignation. Qu’est-ce qui a changé ?
Le nouveau propriétaire de la plateforme, Elon Musk, s’est réveillé un matin et a décidé d’uniformiser les règles du jeu en apposant l’étiquette « financé par le gouvernement » sur les médias occidentaux bénéficiant d’un financement de l’État. La BBC britannique a protesté contre ce marquage, la National Public Radio américaine a quitté rageusement la plateforme en raison de sa nouvelle désignation, et la CBC (Canadian Broadcasting Corporation) canadienne a suspendu son affichage. « Twitter peut être un outil puissant permettant à nos journalistes de communiquer avec les Canadiens, mais permettre que notre indépendance soit décrite à tort de cette manière nuit à l’exactitude et au professionnalisme de leur travail », a déclaré Leon Mar, porte-parole de la CBC.
Les réseaux occidentaux s’opposent à ce que ces étiquettes leur soient apposées parce qu’ils ont longtemps accepté la connotation négative qu’elles comportent lorsqu’elles sont exclusivement appliquées à des médias ou à des journalistes liés à la Russie ou à la Chine. Ils ne se sont pas souciés du fait que l’intégrité de ces concurrents journalistiques était entachée d’une lettre écarlate. Ils n’ont pas apprécié ou soutenu la couverture offerte par les plateformes labellisées qui proposent des informations et des analyses alternatives à l’ordre du jour du système occidental et aux récits qui y sont liés.
Il n’est apparemment pas venu à l’esprit de la presse occidentale –ni même de la CBC, qui a reçu 1,24 milliard de dollars du gouvernement fédéral canadien en 2021-2022– qu’elle pourrait être la prochaine cible de ce type d’étiquetage. En tout cas, pas suffisamment pour qu’elle s’y oppose. Pourquoi ? Une explication probable est qu’ils pensaient que les plateformes de réseaux sociaux comme Twitter s’aligneraient toujours sur l’agenda et le récit de l’establishment occidental. En outre, il s’agit simplement d’une extension des efforts en cours pour marginaliser les concurrents géopolitiques et les sources d’information alternatives qui pourraient les remettre en question. L’étiquetage des médias occidentaux n’a aucun sens dans ce contexte, de sorte qu’ils ont probablement présumé qu’ils étaient en sécurité.
Cependant, Musk est arrivé et a ouvert la boîte de Pandore, les médias occidentaux marchandant désormais avec lui le montant précis du financement qu’ils devraient pouvoir obtenir de l’État sans se voir affublés de l’étiquette « affilié à l’État ». « Canadian Broadcasting Corp (CBC) a dit qu’elle était financée à moins de 70 % par le gouvernement, alors nous avons corrigé l’étiquette », a tweeté Musk, déclarant qu’il avait modifié l’étiquette de CBC en « média financé à 69 % par le gouvernement ».
M. Musk a également réussi à faire en sorte que les politiciens occidentaux dénoncent les étiquettes, qu’ils soutenaient auparavant lorsqu’elles étaient utilisées contre des sources de presse qu’ils n’aimaient pas. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a hystériquement joué la carte de la lutte des classes pour défendre la CBC, accusant le chef de l’opposition du Parti conservateur, Pierre Poilievre, de s’acoquiner avec des milliardaires américains (une référence évidente à Musk). Poilievre a écrit une lettre à Twitter pour attirer l’attention sur le fait que la CBC ne devrait pas être exclue de la vague d’étiquetage.
« Nous devons protéger les Canadiens contre la désinformation et la manipulation par les médias d’État. C’est pourquoi je demande à @Twitter @elonmusk de qualifier correctement CBC de ‘média financé par le gouvernement’ », a tweeté M. Poilievre.
Les conservateurs canadiens accusent régulièrement le radiodiffuseur public de se plier à l’agenda de l’establishment de gauche, et le fait de l’étiqueter comme étant associé au gouvernement actuel dirigé par M. Trudeau contribuerait efficacement à sa marginalisation. « CBC est officiellement considérée comme un média financé par le gouvernement », a tweeté M. Poilievre après l’apposition de l’étiquette. « Les gens savent maintenant qu’il s’agit de la propagande de Trudeau, et non d’informations. » Cela ressemble exactement au type de rhétorique que Trudeau et l’ensemble de l’establishment occidental ont utilisé contre les concurrents étrangers en matière d’information. Et maintenant, elle est utilisée contre ceux qu’ils apprécient.
Non mais oh, Musk a payé 44 milliards de dollars pour Twitter, il peut donc faire ce qu’il veut avec sa propre entreprise privée, n’est-ce pas ? C’est du moins l’argument avancé par ceux qui soutenaient l’interdiction des dissidents et des activistes en tout genre sous la précédente direction de Twitter, favorable au système.
Qui peut dire que l’étiquetage s’arrêtera là ? Si quelqu’un chez Twitter creuse un peu, il apprendra, par exemple, que les médias canadiens [et français], même privés, sont largement financés par le gouvernement et subventionnés dans une bien plus large mesure qu’il n’y paraît. Et qu’en est-il des médias corporatifs américains qui sont largement concentrés entre les mains de quelques milliardaires (15 d’entre eux, selon Forbes) et dont les intérêts peuvent ou non être liés à des intérêts particuliers qui déterminent l’agenda de Washington ?
L’indispensable rappel d’Acrimed
Toute cette histoire d’étiquetage aurait pu être évitée. Si les médias, les hommes politiques et les journalistes occidentaux avaient défendu la liberté de la presse et la liberté d’expression lorsque les cibles étaient leurs concurrents. Peut-être ne se trouveraient-ils pas aujourd’hui dans la même ligne de mire.
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