L’auteur est fonctionnaire fédéral retraité.
Cet article est paru dans l’édition du mois de mars de L’Action nationale.
Il est bien loin le temps où un Lester Pearson, premier ministre canadien (1897-1972), se démarquait sur la scène internationale en remportant le prix Nobel de la paix (1957) pour son rôle dans la résolution de la Crise de Suez. Nous avons maintenant un gouvernement canadien qui se joint aux États-Unis dans ses efforts pour étendre son hégémonie dans le monde au prix de milliers de morts et de destruction massive d’un pays qui devra tôt ou tard faire le bilan de cette aventure suicidaire. Nous sommes passés d’un monde où le réalisme encourageait de mettre la diplomatie au centre des résolutions de conflit à un monde où la fin justifie les moyens, peu importe le coût. Alors que l’Ukraine sombre sous les ruines dans un conflit dont on ne voit pas la fin, le gouvernement Trudeau, lui, allume des feux dans le détroit de Taïwan qui risquent de mener à une confrontation dont il devrait maintenant savoir pertinemment qu’elle ne pourra être que violente.
Probablement peu de gens savent que le gouvernement Trudeau a déjà investi plus d’un milliard de dollars entre 2015 et 2022 pour la formation de soldats ukrainiens à travers l’Opération Unifier. Le Devoir (17 février 2023) rapportait récemment que le Canada avait accordé pour 5 milliards $ d’aide à l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Avec le recul, on peut raisonnablement conclure que toute cette aide (canadienne, mais aussi américaine et européenne) a contribué à stimuler la hardiesse des Ukrainiens face à la Russie qui, elle, ne demandait qu’à ce que l’OTAN mette fin à son expansion déjà bien entamée vers l’Est. Pour les esprits lucides, il va de soi que les États-Unis se servent de pays comme l’Ukraine pour endiguer, déstabiliser et éventuellement renverser ses ennemis stratégiques. Ce n’est pas par amitié pour Vladimir Poutine que Xi Jinping refuse de joindre la coalition occidentale contre la Russie. Il sait très bien qu’une fois la Russie abattue, la Chine serait la prochaine cible. Tant que les Ukrainiens et leurs parrains se saignent dans ce conflit, la Chine renforce sa machine militaire et met en place ses pions autour de Taïwan.
À aucun moment n’a-t-on eu vent que le gouvernement Trudeau a tenté une mission diplomatique pour convaincre les parties de s’entendre. En lançant l’Opération Unifier en 2015, ce gouvernement a révélé son parti-pris indéfectible pour la politique guerrière des États-Unis. Qu’une puissance dite moyenne investisse des sommes faramineuses dans un conflit d’une importance stratégique discutable pour le Canada dépasse l’entendement.
La classe dirigeante en Ukraine a bien planifié l’opération séduction des chancelleries occidentales pour s’attirer des appuis contre la Russie. Une fois ces appuis confirmés, le gouvernement ukrainien est devenu plus ambitieux quant à ses objectifs militaires. Le gouvernement Zelensky demande maintenant le retour au complet de tous les territoires occupés, Crimée incluse. En coulisse, ce ne fut pas toujours le cas. Dans une courte étude datée du 6 octobre 2021, commanditée par notre ministère de la Défense, l’International Crisis Group rapportait que des officiels ukrainiens avaient indiqué en privé qu’ils ne s’attendaient pas à voir la péninsule de Crimée réintégrée à l’Ukraine (document obtenu à travers la Loi d’accès à l’information).
Le soutien apparemment indéfectible de l’OTAN a rendu le gouvernement Zelensky plus gourmand et complètement fermé à tout compromis. Pour s’en convaincre, nous ne pourrions faire mieux que de mentionner la réponse du chef de cabinet du président Zelensky, Andriy Yermak, au journaliste du quotidien français Le Monde ((14 janvier 2023) qui lui demandait s’il était d’accord avec le souhait d’Emmanuel Macron d’apporter des garanties de sécurité à l’Ukraine et à la Russie : Je vous réponds tout de suite que j’y suis opposé (aux garanties de sécurité pour la Russie). La folie des uns fait le malheur des autres et on pourrait ajouter la fortune de d’autres encore.
Maintenant que le Canada s’est autant investi dans ce conflit, il lui devient presque impossible de reculer sans perdre la face et l’Ukraine le sait. Il y a quelque temps, la victoire de l’Ukraine exigeait la fourniture de lance-missiles HIMARS. Puis ce fut la fourniture de tanks Léopard. Déjà, pointe à l’horizon la demande d’avions-chasseurs. L’administration Biden se campe dans son rôle de pourvoyeur de soutien matériel et financier qui profite à l’industrie militaire américaine. Pour faire taire les rumeurs de corruption massive jusqu’au ministère de la Défense, Zelensky a bien dû lancer une purge dans l’appareil gouvernemental.
Pendant ce temps, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a répété à plusieurs reprises que cette lutte est celle des Ukrainiens et que les puissances occidentales n’interviendraient pas directement. Ses propos contredisent des informations entendues dans les médias chinois. Au cours de l’émission Focus Today (今日关注) du 30 janvier dernier, l’expert militaire Teng Jianqun (腾建群) rapportait que selon des sources du milieu du renseignement plus de 230 agents de renseignements de pays membres de l’OTAN auraient été tués au cours de mission en Ukraine depuis le début des hostilités. Les pays en question n’étaient pas identifiés.
Pour ceux qui veulent se donner la peine de chercher pour savoir, il commence à devenir évident que les cartes sont maintenant jouées en Ukraine. Les observateurs le moindrement curieux voient déjà les tendances se profiler à l’horizon. Les pertes humaines et en équipement militaire pèsent lourd sur l’habilité des forces ukrainiennes à résister. Non seulement la Russie est bien retranchée dans l’est de l’Ukraine, mais elle saigne petit à petit l’adversaire. Il faut capter le sentiment de panique qui commence à paraître dans les voix de Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, et le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, pour se rendre compte que l’heure de vérité approche. Quand tous les deux implorent les membres de la coalition occidentale à « vider » leurs arsenaux de tout ce qui peut servir en Ukraine, c’est signe que la situation est désespérée. Même si un revirement de la situation n’est pas à exclure, l’Ukraine est irrémédiablement endommagée.
Dans ce contexte, le discours de Joe Biden à Varsovie le 21 février dernier prend une nouvelle tournure inquiétante. Ce président qui s’est investi personnellement dans ce conflit de manière singulière risque son va-tout. Pour renverser la vapeur, il va devoir faire monter la pression d’un cran. Lui et son conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, presseraient Zelensky de lancer une offensive d’ampleur pour repousser les troupes russes selon certains observateurs. Il y a des raisons de croire que cette initiative pourrait venir beaucoup trop tard.
Le Secrétaire d’État Anthony Blinken a prévenu la Chine que si celle-ci fournit un soutien militaire à la Russie, il y aurait des conséquences. La Chine a nié. Si Blinken dit vrai, c’est peut-être une indication que la Chine estime que le vent a tourné, et ce, de manière définitive. Zelensky commence peut-être lui aussi à comprendre le véritable rôle que l’OTAN lui fait jouer. Alors que les chancelleries occidentales ont à peu près toutes rejeté le plan de paix de Xi Jinping, Zelensky s’est distingué en ne rejetant pas du revers de la main le plan chinois. Ainsi, le South China Morning Post de Hong Kong titrait « Volodymyr Zelensky gives qualified support for China proposals on Ukraine war » (Volodymyr Zelensky apporte un soutien qualifié aux propositions chinoises sur la guerre en Ukraine) le 25 février dernier. C’est peut-être aussi pour cela que le pouvoir législatif ukrainien aurait fait adopter récemment deux lois interdisant toute négociation avec la Russie, selon des propos tenus par Wu Dahui (吴大辉), doyen adjoint de l’Institut russe de l’Université Tsinghua (清华大学俄罗斯研究院副院长) à l’émission Focus Today (今日关注) le 23 février dernier. Craint-on que le gouvernement Zelensky puisse faire faux bond en tentant de sauver ce qui peut l’être encore ? Une telle éventualité pourrait être une catastrophe pour la politique étrangère des États-Unis après la fin ignominieuse des aventures en Irak et en Afghanistan.
Ce n’est pas en lisant le quotidien Le Devoir à la vénérable réputation que les lecteurs sauront que la voie dans laquelle s’est engagé le Canada ne mène nulle part. Il accorde bien à l’occasion un espace dans ses pages aux pourfendeurs de l’illusion de cette lutte dite pour la liberté et la démocratie d’un peuple, mais il s’assure de les dénoncer le lendemain à travers des lettres des lecteurs. À cet égard, il est intéressant de noter ce que je qualifierai d’incident. Dans son édition papier du ١٧ février dernier, la page couverture du quotidien montréalais titre en grands caractères « 12 mois, 5 milliards : Le Devoir a calculé l’aide octroyée par le Canada à l’Ukraine depuis le début du conflit ». Sur la portion inférieure de cette même page, on retrouve un autre article sur l’Ukraine : « Nous voulons gagner la guerre » (une entrevue avec l’ambassadrice d’Ukraine). Le même jour, les articles sont introuvables sur la page principale du site internet du journal. Les deux articles se retrouvent dans la section « Europe » avec des titres beaucoup moins accrocheurs (« Armer ou financer : comment l’aide du Canada à l’Ukraine évolue-t-elle ? » et « Aider son pays depuis le calme angoissant du Canada »). Questionné à ce sujet, Le Devoir a répondu qu’il arrive souvent que les titres varient entre le format papier et sur le site et que si le texte n’apparait pas sur la page principale, c’est qu’ils sont vieux d’une semaine. Sauf que dans ce cas précis, les deux textes sont datés du même jour.
Un incident similaire s’est produit en novembre 2021, mais cette fois-là sur le site de Radio-Canada et portant sur la Chine. Dans ce cas, l’ancien ambassadeur du Canada en Chine, Guy St-Jacques, avait présenté au cours d’une entrevue une évaluation plutôt singulière des efforts de la Chine en matière environnementale. Cette évaluation offrait un contraste notable avec ce qu’on lit dans nos médias sur la Chine. L’analyse de St-Jacques exposait la complexité des défis auquel faisait face le gouvernement chinois et notait de manière positive ses efforts. L’article est apparu sur le site de Radio-Canada en matinée le 1er novembre 2021. En après-midi, l’article avait disparu de la page principale. La seule manière de le retrouver était en tapant le titre sur Google (il fallait être déjà au courant de l’existence de l’article). J’ai contacté Radio-Canada pour demander une explication. On s’est contenté de m’envoyer le lien sans répondre à mon interrogation.
En plus d’être inquiétant sur le plan de la liberté de la presse, ce que ces incidents soulèvent c’est la possibilité d’une opération coordonnée pour faire « disparaître » de l’attention du public des informations qui ne cadrent pas avec le narratif dominant. Inévitablement, cette situation amène d’autres questions : qui se cache derrière cette opération de manipulation de l’information et à quelle fin ?
Entretemps, l’enlisement de la guerre en Ukraine n’intimide pas le gouvernement Trudeau pour autant. Loin de là. Il s’affaire maintenant à jouer les pyromanes en lançant des initiatives dont l’hypocrisie crève les yeux et en utilisant une terminologie pour son intervention dans le détroit de Taïwan qui rappelle Orwell. Le Canada fait la promotion de la stabilité et du respect des normes internationales, répète à qui veut l’entendre la ministre de la Défense Anita Anand. À l’écouter discourir sur le ton d’une récitation, elle sème le doute sur sa compréhension véritable des enjeux et les conséquences de ses décisions.
À une autre époque, un gouvernement soucieux de promouvoir la paix dans le monde aurait tenté de favoriser le dialogue entre les parties en conflit. Il aurait lancé des initiatives qui promeuvent l’établissement de canaux de communications et aurait même offert sa médiation pour rapprocher les parties. Surtout, il aurait évité de jeter de l’huile sur le feu en instiguant un adversaire à voir rouge au moyen de toute une panoplie de mesures qui ne servent aucune des parties en conflit.
Le gouvernement Trudeau s’est maintenant joint à l’opposition officielle, qui comme un loup rendu fou par l’odeur d’une proie coincée, veut se lancer tête baissée dans une lutte sans trêve. Les initiatives incitant à des réactions violentes fusent de toute part : délégation de parlementaires en visite d’amitié et de soutien à Taïwan, motions de blâme à la Chambre des Communes en appui aux minorités ethniques sans effet concret sur leur sort, stratégie militaire d’endiguement qui ne dit pas son nom, envoie de frégates dans des eaux contestées, visite ministérielle pour la promotion d’un accord commercial avec Taïpei, tout y passe.
Le but n’est pas tant la protection de Taïwan, mais plutôt d’en faire un appât. À travers Taïwan, c’est la chute du régime de Xi Jinping que les Occidentaux visent. Une guerre ouverte dans le détroit de Taïwan pourrait être une catastrophe humanitaire pour les deux parties et au mieux une victoire à la Pyrrhus pour la Chine. Dans l’esprit du gouvernement Trudeau, une chute du régime de Xi vaut le prix à payer surtout si c’est sur le dos de ces Taïwanais qui se retrouveraient au centre de cette confrontation. L’Ukraine agit comme un précédent instructif à cet égard.
Apparemment, le gouvernement Trudeau reste aveugle aux divers développements des relations entre la Russie et la Chine et l’Asie en général. En février dernier, le commentateur politique Zheng Hao (鄭浩) rapportait au bulletin d’information (早班車) du réseau Phoenix (鳳凰) que durant son entretien avec Wang Yi, le haut responsable chinois des Affaires étrangères (et ancien ministre des Affaires étrangères), le président Poutine avait invité son « camarade » Xi Jinping (習近平同志) à visiter la Russie, signe convaincant que la relation entre les deux hommes allait bien. Wang Yi avait lui-même employé une expression chinoise qui symbolisait que la relation entre les deux pays était « aux petits oiseaux », parlant d’une relation « solide comme le Mont Taishan » (穩如泰山).
Pendant ce temps (février 2023), le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang (秦刚), participait à une conférence entre la Chine et l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ANASE) où l’ambassadeur vietnamien, Nguyễn Hải Bằng (Ruan Haipeng en mandarin 阮海鵬) déclarait à la journaliste Gao Mian (高棉)dans un anglais au parfait accent :
There is a great consensus in ASEAN that China has always been an important partner and the visit of the minister is a strong indicator of that. I think the visit shows that China attaches great importance to the partnership, friendship, and cooperation with ASEAN
(traduction : il y a un large consensus au sein de l’ANASE sur le fait que la Chine a toujours été un partenaire important et la visite du ministre en est un indicateur fort. Je pense que cette visite montre que la Chine attache une grande importance au partenariat, à l’amitié et à la coopération avec l’ANASE). La Chine contribue ainsi à renforcer ses alliances au-delà des grands sommets comme le G20.)
Au Canada, le gouvernement Trudeau, lui, s’ingénie à nager entre les écueils tendus par une coalition large d’éléments qui cible tout ce qui est lié de près ou de loin au gouvernement chinois. Les risques de débordement avec au menu la traditionnelle chasse aux sorcières nous mèneront tout droit aux excès des jours sombres du maccarthysme. Tout ne sera pas perdu. Cette forme d’extrémisme aura peut-être l’avantage d’exposer la mascarade qu’est le multiculturalisme canadien. Les citoyens canadiens d’origine chinoise sont les bienvenus « as long as they speak white ». Les poursuites à répétition de citoyens musulmans (arabes et afghans) et africains contre la GRC et le SCRS qui ont joué un rôle dans leurs renvois vers les pays tortionnaires (incluant le camp de Guantanamo) et qui ont entrainé des coûts (légaux et compensations) d’au moins une centaine de millions de dollars établissent hors de tout doute le côté arbitraire et peu sophistiqué du travail de ces agences responsables de la sécurité nationale.
Le gouvernement Trudeau qui ne peut prétendre à aucune légitimité démocratique au pays (32,62 % des voix à l’élection de 2021 sur un taux de participation de 62,6 %) ose proclamer qu’il défend les normes démocratiques dans le monde. Quand les paroles contredisent les gestes, ça sent à mille lieux les odeurs nauséabondes de l’hypocrisie (Mostefa Khellaf).
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