Par John Pang – Le 13 avril 2023 – Source Beijing Review
Le philosophe français des sciences sociales René Girard (1923-2015) a un jour décrit la tendance des deux parties prises dans une rivalité à se ressembler de plus en plus au fil du temps. Au départ, elles peuvent avoir des valeurs et des idéologies différentes, mais comme chacune s’efforce de surpasser l’autre, ou comme chaque attaque provoque une riposte en nature de la part de l’autre partie – étant donné que chaque acte est reflété par l’autre -, les deux parties s’enferment dans une spirale d’escalade dans laquelle elles deviennent de plus en plus semblables. De nombreux « jeux » de stratégie prennent cette forme. Une guerre entre puissances nucléaires, par exemple, pourrait s’intensifier par le biais de représailles et de violences anticipées afin de réduire les deux parties à l’identité ultime de la destruction mutuelle. Girard a appelé ce processus la rivalité mimétique, ou la compétition et le conflit qui naissent de l’imitation du désir d’autrui.
Les néoconservateurs qui ont pris le contrôle de la politique étrangère occidentale projettent leur propre comportement et leur propre histoire sur la Chine, en supposant que la Chine doit également avoir pratiqué le génocide et le colonialisme pour parvenir à ce qu’elle a fait au cours des 40 dernières années. Cette projection de l’histoire est le résultat du cadrage de la Chine en tant que rival mimétique.
Il n’est pas facile d’échapper à ce piège. Lorsque quelqu’un vous donne un coup de poing, vous avez envie de répliquer immédiatement. Cela vous lance dans un va-et-vient de violence mimétique.
Cependant, au lieu de répondre en nature, la politique de la Chine, telle qu’elle a été formulée par le ministre des affaires étrangères Qin Gang, élude les termes mêmes de la rivalité occidentale. Pour reprendre une expression américaine pittoresque, elle « refuse de se battre avec un cochon » – le cochon y prend plaisir et vous vous salissez tous les deux. Il faut beaucoup d’habileté pour ne pas tomber dans la spirale mimétique, mais malgré les provocations incessantes de l’Occident, la Chine continue de le faire et préserve ainsi sa liberté de se concentrer sur un développement pacifique et de rester ouverte au monde. Ce faisant, elle crée les conditions d’un nouvel ordre multilatéral fondé sur la coopération pacifique.
Aujourd’hui, la politique étrangère de la Chine est délibérément non rivale et non exclusive. Elle rejette par principe la formation de blocs et de camps dirigés contre des tiers. Cette détermination va bien au-delà de la tactique, voire de la stratégie. Il s’agit d’un engagement philosophique ancré dans la culture politique du pays, motivé par une conception ancienne des relations interétatiques, enracinée dans le bien commun de l’humanité. Au lieu de la division, elle recherche la paix, l’unité et la prospérité commune.
Ce ne sont pas que de belles paroles. Les chinois font la différence entre la possibilité de paix et la capitulation à un « ordre fondé sur des règles » qui n’est qu’un autre nom pour l’hégémonie occidentale soutenue par une guerre perpétuelle.
La Chine est en train de forger un ensemble de relations imbriquées et chevauchantes à travers le monde, fondées sur le commerce, les infrastructures et les échanges éducatifs, sur la coopération plutôt que sur l’intimidation militaire et l’exploitation financière. Les élites occidentales rejettent les déclarations de principe telles que celles de Qin comme une feuille de vigne idéologique au même titre que les discours occidentaux sur la démocratie et les droits de l’homme. Elles n’imaginent pas les relations internationales autrement que comme un concours de force coercitive. S’appuyant sur leur propre histoire, elles ne peuvent imaginer qu’une grande puissance puisse s’élever sans guerre ni pillage.
Les élites occidentales n’étaient donc pas préparées au grand succès diplomatique de la Chine du mois de mars, à savoir le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui aura des répercussions au Moyen-Orient et au-delà, en particulier dans les pays du Sud.
Ils ne peuvent accepter qu’il s’agisse simplement d’une diplomatie chinoise qui fait ce qui est écrit dans le programme, en appliquant des principes que les diplomates chinois ne manquent jamais de rappeler.
En évitant le jeu à somme nulle et en contournant la rivalité de la peur et de l’envie qui anime la politique occidentale, la politique étrangère chinoise catalyse un changement profond dans la politique internationale. Elle construit les normes et l’infrastructure mondiale, au sens figuré, en béton et en acier, d’un nouvel ordre multilatéral fondé sur la coopération pacifique et la prospérité partagée.
L’avenir qui s’annonce est immédiatement reconnaissable et convaincant pour les autres pays du Sud. Il semble toutefois terrifier l’Occident.
Comment expliquer autrement la stupidité éhontée qui consiste à essayer d’exporter l’OTAN vers l’Asie en coordonnant l’interaction entre l’OTAN et ses alliés de l’Indo-Pacifique, alors même que son expansion a conduit à une guerre échappant à tout contrôle en Europe. Comment expliquer autrement l’imposition d’AUKUS, un pacte de sécurité trilatéral entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, sur la mer de Chine méridionale, sans tenir compte de l’ordre pacifique que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) a soigneusement construit dans la région pendant 50 ans en appliquant exactement les principes de non-ingérence, de non-rivalité et d’ouverture que la politique étrangère chinoise est en train de mondialiser.
La politique étrangère occidentale signale aujourd’hui aux Asiatiques, mais aussi aux Africains et aux Latino-Américains, l’effondrement moral et intellectuel du leadership occidental. Face à l’aube nouvelle de la coopération mondiale, l’Occident mène un combat d’arrière-garde qui n’offre que division, stagnation et guerre. Et il semblerait que l’Occident devienne de plus en plus différent des autres.
John Pang est un officiel du gouvernement malaisien et membre honoraire de l’académie Perak
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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