Mediapart a mené sa propre enquête. Outre la plainte de Charlotte Arnould, nous avons recueilli treize témoignages de femmes affirmant avoir subi des gestes ou propos sexuels inappropriés du célèbre acteur, de gravité différente, sur le tournage de onze films ou séries sortis entre 2004 et 2022 ou dans des lieux extérieurs ; mais aussi les récits de nombreux témoins. Tous ne figurent pas dans notre article.
Trois de ces femmes ont apporté leur témoignage à la justice, mais aucune n’a porté plainte. Les unes ont renoncé, les autres n’y ont même pas songé. En cause, le sentiment que leur parole pèserait peu face au monument du cinéma français. Et qu’elle pourrait même signer la fin de leur carrière.
Le dossier de Mediapart fait 11 pages Word bien tassées. Il est écrit par la féministe antifasciste Marine Turchi (toujours savoir qui parle) et concerne l’acteur français numéro un, Gérard Depardieu.
Le comportement du dernier géant en activité du cinéma vraiment français est mis en cause par 14 femmes : 13 lui reprochent des agressions sexuelles en plateau, c’est-à-dire des gestes et paroles « inappropriés », une l’accuse de viol (il s’agit de l’actrice Charlotte Arnould).
Au fil des récits, la scène semble se répéter. Elles sont comédiennes, maquilleuses ou techniciennes. Elles affirment avoir subi une main dans leur culotte, à leur entrejambe, à leurs fesses ou bien sur leur poitrine ; des propos sexuels obscènes ; parfois des grognements insistants. Suivis, souvent, de rires sur le plateau. Et cette même phrase, lorsque certaines se sont plaintes : « Oh ça va, c’est Gérard ! »
Au-delà des violences sexuelles et sexistes qu’ils dénoncent, ces récits interrogent la complaisance dont aurait bénéficié le comédien de 74 ans sur les plateaux de cinéma et l’absence de réaction des équipes de production. Sollicité par Mediapart, Gérard Depardieu n’a pas souhaité nous rencontrer ni répondre à nos questions écrites.
Par la voix de ses avocates, au sein du cabinet Temime, il « dément formellement l’ensemble des accusations susceptibles de relever de la loi pénale » (lire ici sa réponse intégrale). Lors de ses auditions dans le cadre de l’enquête judiciaire, le comédien s’est défendu d’être « un prédateur ». Il s’est décrit en gentleman aimant « faire la cour », « opposé à toute forme de violence, qu’elle soit verbale, physique ou psychologique » et « extrêmement pudique » sur les questions sexuelles.
Concrètement, hormis l’accusation de viol, il est reproché à Gérard d’avoir été « cochon » avec de jeunes actrices ou stagiaires pendant des tournages, de leur avoir touché les « fesses », et de leur dire des « cochonneries », parfois devant tout le monde. Les réalisateurs, impressionnés par la stature de l’acteur, ne sont pas souvent intervenus pour lui taper sur les doigts. Seul Fabien Ontoniente, pendant le tournage de Disco (2008), a osé le faire.
Contacté par Mediapart, le réalisateur Fabien Onteniente confirme avoir été alerté par cette directrice de casting du fait que Gérard Depardieu « était lourd avec les filles » sur le tournage de Disco : « J’en ai conclu qu’il avait dû avoir la main baladeuse, vu comme il se comportait quand il attendait les prises, avec ce côté collant ponctué d’un rire très sonore. » Puis sur le film Turf, « deux figurantes » sont venues le voir. « L’une était en pleurs et se plaignait de mains aux fesses. Voir ce visage d’une fille qui venait faire de la figuration et était pleine d’espoir, ça m’a ému et mis hors de moi. Donc je suis allé engueuler Depardieu, j’ai monté le volume, je lui ai dit : “Tu ne recommences pas ça, c’est fini ! Tu te comportes bien”, et ça s’est arrêté net. Il était tout penaud, comme un enfant qui aurait fait une bêtise. »
Il faut savoir que Mediapart ne traite pas toutes les affaires d’agressions sexuelles. Certaines restent dans les tiroirs. Par exemple, au moment de l’affaire – très montée en mayonnaise – Adèle Haenel, un dossier sur les comportements sexuels inappropriés de Patrick Bruel tournait, mais n’a pas intéressé Mediapart, qui a préféré traiter, sur 14 pages, celui de la jeune actrice. C’est un choix éditorial, dirons-nous.
Un feu s’allume ici, un autre s’éteint là…
Aujourd’hui, on peut faire le même parallèle avec le dossier Palmade, qui a disparu des radars, au profit du dossier Depardieu. Il est vrai que Gérard ne fait pas partie de la confrérie très protégée des people de gauche, cimentés selon des solidarités communautaires bien comprises.
Pour dire les choses crûment, le grand acteur, avec son comportement de moujik, ses docus de viandard et son goût du pinard, son hétérosexualité débordante, ses prises de parole sur la Russie et Poutine – même s’il est revenu dessus –, ne pouvait pas obtenir les mêmes protections qu’un Palmade, qui a le nez long, jusqu’au Château.
C’est à se demander si Depardieu, au lieu d’être alcoolique et hétéro, n’aurait pas dû être homo et coké.
Face à ces accusations, qui se résument, on le répète, hors l’accusation de viol, à des attouchements et des grognements, le dossier Palmade a pourtant l’air bien plus lourd. De plus, dans la série 2P2M, des réalisateurs pédophiles n’ont jamais été dénoncés pour avoir usé, dans tous les sens du terme, de très jeunes actrices. Et on n’oublie pas la prostitution des jeunes actrices prêtes à tout pour réussir. C’est évidemment un autre dossier, qui n’a rien à voir avec l’affaire Depardieu.
« Mon personnage, c’était un personnage de Lolita, donc j’avais des talons,
un short très court, un décolleté très plongeant… »
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