Par Moon of Alabama – Le 15 avril 2023
Dans leur dernier Geo Economical Report, les économistes Radhika Desai et Michael Hudson discutent du fait que la Russie est en train de s’éloigner de l’Occident.
Les points concernant la Russie sont certainement intéressants. Mais ils évoquent également le bras de fer entre la Chine et les bailleurs de fonds internationaux « multilatéraux » au sujet de l’annulation de la dette. Ce thème a été abordé la semaine dernière à Washington DC lors d’une table ronde de haut niveau sur la dette souveraine, en marge des réunions de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international à Washington.
Radhika Desai explique le problème fondamental de la dette internationale :
RADHIKA DESAI : Je pense que la question de la dette, de la dette mondiale en particulier, est devenue une question très importante à l’heure actuelle, et ce précisément parce que la Chine joue un rôle très important dans ce domaine.
Je me souviens des premiers jours de la pandémie, lorsque la dette du tiers monde était également devenue un problème majeur. À l’époque déjà, la principale raison pour laquelle les questions de dette n’allaient pas être réglées était que l’Occident ne parvenait pas à accepter le fait qu’il devait traiter avec la Chine, et qu’il devait le faire de manière équitable.
Car ce que l’Occident veut faire, c’est précisément obtenir de la Chine qu’elle refinance la dette qui lui est due et que les remboursements de la dette du tiers-monde aillent aux prêteurs privés.
Et la Chine remet fondamentalement en question les conditions de tout cela, car elle dit par exemple : « Pourquoi le FMI et la Banque mondiale devraient-ils avoir la priorité ? Pourquoi sa dette ne serait-elle pas annulée ? »
Et l’Occident répond : « Mais il en a toujours été ainsi. »
Et la Chine dit : « Si vous ne voulez pas réformer le FMI et la Banque mondiale, nous n’accepterons pas leur priorité. Si nous devons subir une décote, ils devront aussi en subir une. »
Ils n’acceptent tout simplement pas que ces institutions, les institutions de Bretton Woods, aient une quelconque priorité.
Et cela fait partie du travail de sape, comme vous le disiez. Il s’agit de l’un des plus grands changements depuis la Première Guerre mondiale. Et l’un de ces changements est que le monde créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les puissances impérialistes, qui sont toujours très puissantes, disparaît de plus en plus.
Mercredi, un rapport de Reuters affirmait que la Chine était en train de changer de position sur la question :
WASHINGTON (Reuters) – La Chine devrait renoncer à exiger que les banques multilatérales de développement partagent les pertes avec les autres créanciers dans le cadre des restructurations de la dette souveraine des pays pauvres, levant ainsi un obstacle majeur à l’allègement de la dette, a déclaré une source au fait de ces projets.
Cette évolution est attendue lors d’une table ronde de haut niveau sur la dette souveraine qui se tiendra mercredi en marge des réunions de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international à Washington.
Pékin n’insistera plus pour que les prêteurs multilatéraux subissent des « décotes » sur les prêts accordés aux pays pauvres, a déclaré la source mardi, tandis que le FMI et la Banque mondiale ont accepté de veiller à ce que leurs analyses de viabilité de la dette des pays faisant l’objet d’une restructuration de la dette soient mises à la disposition des autorités chinoises plus tôt dans le processus.
La rumeur selon laquelle la Chine changerait sa position de principe s’est avérée fausse. Il n’est pas rare que Reuters soit abusé par des sources anonymes dans un but politique. Mais dans ce cas, l’article était accompagné d’une photo de la secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, et il est donc probable qu’elle fut la « source au fait de ces projets » qui a lancé cette fausse rumeur.
Comme le New York Times l’a rapporté hier, avec beaucoup trop de mots trompeurs, le problème n’a pas été résolue :
WASHINGTON – La Chine, soumise à une pression croissante de la part des principaux responsables politiques internationaux, a semblé indiquer cette semaine qu’elle était prête à faire des concessions qui permettraient de débloquer l’effort mondial de restructuration des centaines de milliards de dollars de dettes des pays pauvres.
La Chine a prêté plus de 500 milliards de dollars aux pays en développement dans le cadre de son programme de prêts, ce qui en fait l’un des principaux créanciers mondiaux.
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Les États-Unis, ainsi que d’autres pays occidentaux, ont fait pression sur la Chine pour qu’elle permette à certains de ces pays de restructurer leur dette et d’en réduire le montant. Mais depuis plus de deux ans, la Chine insiste pour que les autres créanciers et les prêteurs multilatéraux absorbent aussi les pertes financières dans le cadre de toute restructuration, enlisant un processus critique d’allègement des prêts et menaçant d’enfoncer des millions de personnes dans les pays en développement dans la pauvreté.
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Cette année, le Ghana a fait appel au Groupe des 20 nations pour obtenir un allègement de sa dette par le biais d’un nouveau programme connu sous le nom de Cadre commun, après avoir obtenu une approbation préliminaire pour un prêt de 3 milliards de dollars de la part du FMI. Cet argent est subordonné à l’obtention par le Ghana de la garantie qu’il puisse restructurer les quelque 30 milliards de dollars qu’il doit aux prêteurs étrangers. Des fonctionnaires ghanéens ont rencontré leurs homologues chinois au sujet de la restructuration des 2 milliards de dollars que le pays doit à la Chine.
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Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, a déclaré vendredi que la Chine avait présenté une proposition en trois points, demandant notamment au FMI de partager plus rapidement ses évaluations de la viabilité de la dette pour les pays qui ont besoin d’un allègement, et aux créanciers d’expliquer en détail comment ils procéderont aux restructurations dans des « conditions comparables« .
Cette proposition en trois points ne constitue pas un changement, mais simplement une répétition de la position de la Chine :
Porte-parole发言人办公室 @MFA_China – 15:09 UTC – 14 Avril 2023
Pour résoudre efficacement la question de la dette, la clé réside dans la participation conjointe des créanciers multilatéraux, bilatéraux et commerciaux en vertu des principes d’actions conjointes et de partage équitable du fardeau.
Le cas du Ghana montre que le FMI, sur lequel les États-Unis ont un droit de veto, ne prêtera de l’argent frais que si les prêteurs bilatéraux comme la Chine subissent des coupes, mais pas le FMI « multilatéral » ou la Banque mondiale, ni les prêteurs privés « occidentaux« .
Un long article de People’s Dispatch sur le FMI et la crise de la dette du Ghana décrit comment la spirale de la dette frappe encore et encore les pays pauvres mais riches en ressources. La dette est la continuation du colonialisme et la Chine n’a pas grand-chose à voir avec cela :
Selon les statistiques de la dette internationale de la Banque mondiale, 64 % du service de la dette extérieure en devises étrangères du Ghana, qui comprend le principal et les intérêts, entre 2023 et 2029, sont dus à des prêteurs privés. 20 % de la dette est contractée auprès d’institutions multilatérales et 6 % auprès d’autres gouvernements. Notamment, alors que les principaux rapports sur le scénario de la dette ghanéenne tendent à souligner que la Chine est le « plus grand créancier bilatéral » du pays, seuls 10 % du service de la dette extérieure d’Accra sont dus à Pékin.
Environ 13 milliards de dollars de la dette extérieure du Ghana sont détenus sous forme d’euro-obligations par de grandes sociétés de gestion d’actifs telles que BlackRock, Abrdn et Amundi (UK) Limited. « Les prêteurs du Ghana, en particulier les prêteurs privés, ont prêté à des taux d’intérêt élevés en raison du risque supposé de prêter au Ghana« , peut-on lire dans la lettre ouverte.
« Le taux d’intérêt sur les euro-obligations du Ghana se situe entre 7 et 11 %. Ce risque s’est matérialisé… Étant donné qu’ils ont prêté à taux élevés, il n’est que juste qu’à la suite de ces chocs économiques, les prêteurs privés acceptent les pertes et consentent rapidement à une annulation significative de la dette du Ghana.«
En 2020, le G20 avait promis de mettre en œuvre un cadre commun pour l’allègement de la dette :
Le cadre commun avait la possibilité d’offrir une annulation plus large de la dette, en impliquant les créanciers privés aux côtés des prêteurs bilatéraux dans le processus afin de s’assurer que les dettes des pays deviennent viables.
« Mais très peu de choses ont été faites pour définir les détails de ce fonctionnement. Alors que le G20 a déclaré que les gouvernements et les prêteurs privés seraient inclus dans le programme, les prêteurs multilatéraux ont été exclus« , a déclaré Tim Jones, responsable de la politique de Debt Justice.
Ils n’ont pas donné de nouveaux mécanismes aux pays pour négocier une réduction de leur dette envers les créanciers privés, laissant aux gouvernements débiteurs le soin de dire « Si vous voulez une annulation de la dette des gouvernements, vous devez négocier le même accord avec les créanciers privés« . Mais ils n’ont proposé aucun outil pour aider les pays endettés à le faire.
Il devrait évidemment exister un mécanisme permettant aux pays de restructurer leur dette et dans lequel tous les prêteurs feraient des concessions similaires. Or, le FMI et d’autres organismes ne proposent rien de tel. Ils ne sont prêts à donner plus d’argent que lorsqu’un pays fait des concessions politiques sur les mesures d’austérité prescrites par le FMI et utilise l’argent frais pour rembourser les prêteurs privés « occidentaux« .
La Chine est désormais déterminée à mettre fin à ce système. Elle insiste pour que le FMI, la Banque mondiale et les prêteurs privés assument une part des pertes liées à la dette similaire à celle qu’elle est prête à assumer :
La Chine est disposée à mettre en œuvre le cadre commun pour l’élimination de la dette avec d’autres pays, a déclaré Yi Gang, gouverneur de la banque centrale chinoise, lors des réunions de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), selon un communiqué publié vendredi par la Banque populaire de Chine.
Faisant écho à la remarque de M. Yi, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Wang Wenbin, a déclaré lors d’une conférence de presse vendredi que la Chine attachait une grande importance à la question de la dette souveraine des pays en développement et appelait les créanciers multilatéraux, bilatéraux et commerciaux à participer au traitement de la dette conformément à une action commune et de manière équitable.
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« La Chine a contribué plus que quiconque à la mise en œuvre de l’initiative de suspension du service de la dette (DSSI) du G20. En outre, nous avons joué un rôle constructif dans le traitement des cas individuels au titre du cadre commun du G20« , a déclaré M. Wang.
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En revanche, les créanciers occidentaux affirment qu’ils doivent maintenir leur côte de crédit et ont donc refusé de participer à l’effort d’allégement de la dette et de suspension du service de la dette, a déclaré M. Wang, notant que des hausses massives et sans précédent des taux d’intérêt ont entraîné un resserrement des conditions financières dans le monde entier, aggravant encore les graves problèmes d’endettement de certains pays.
La Chine continue de faire pression en faveur de son nouveau programme d’allègement de la dette internationale à des conditions égales pour tous les prêteurs. Je ne vois aucun moyen de pression que l’Occident puisse utiliser pour modifier cette position.
Le FMI et son rôle abusif dans l’endettement mondial ont probablement fait l’objet d’une discussion de plusieurs heures entre les présidents Xi et Poutine à Moscou le mois dernier. Souvenons-nous de ce qui a été dit à la fin de cette visite :
« En ce moment, il y a des changements – comme nous n’en avons pas vu depuis 100 ans – et c’est nous qui conduisons ces changements ensemble« , a déclaré M. Xi à M. Poutine alors qu’il se tenait à la porte du Kremlin pour lui faire ses adieux.
Le président russe a répondu : « Je suis d’accord « .
Comme l’a dit Radhika Desai, citée plus haut, à propos de la position de la Chine en matière d’allègement de la dette :
Il s’agit de l’un des plus grands changements depuis la Première Guerre mondiale.
Michael Hudson en résume les conséquences :
De toute évidence, ce qui caractérise le nouvel ordre mondial multipolaire, c’est une économie mixte où d’autres pays feront ce que la Chine a fait. Ils feront de l’argent et de la terre, c’est-à-dire du logement, et de l’emploi en droits publics et en services publics au lieu de tout transformer en marchandises, de tout privatiser et de tout financiariser comme cela se produit en Occident.
Pour sortir de la sphère dollar-OTAN, nous ne parlons donc pas d’une monnaie nationale ou d’une autre.
Il ne s’agit pas de remplacer le dollar par le yen chinois, le rouble russe ou d’autres monnaies. Il s’agit d’un système économique totalement différent.
C’est la seule chose que les grands médias n’ont pas le droit de discuter. Ils en sont encore au slogan « There Is No Alternative » de Margaret Thatcher, au lieu de discuter de ce que pourrait être l’alternative.
Parce qu’il est évident que les choses ne peuvent pas durer ainsi.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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