Chronique de Pierre Gouin
J’ai écrit plusieurs articles sur Vigile dans la dernière année visant à attirer l’attention sur le fait qu’un objectif absolu de création d’emplois n’est plus pertinent dans un Québec déjà au plein emploi, et qu’il peut même nous être fatal. Je persiste, même au risque d’être accusé de radoter, parce que le gouvernement continue à se vanter de ses objectifs et de ses réalisations en création d’emplois, ce qui signifie que le message n’est pas compris par la population et par les partis d’opposition. J’aimerais en particulier que la modération de la croissance économique devienne un élément central de la plateforme du Parti Québécois.
La fermeture annoncée de l’usine d’Olymel à Vallée-Jonction est sûrement un coup dur pour les travailleurs de l’usine et leurs familles, ainsi que pour de nombreux producteurs de porcs. Si la pénurie de main-d’oeuvre est aussi prononcée qu’on le dit dans la région, les travailleurs devraient pouvoir se trouver un emploi de même qualité sans avoir à déménager. Je ne suis pas spécialiste de l’industrie agro-alimentaire mais, de façon générale, c’est normal que des industries connaissent un déclin temporaire ou permanent en raison de changements dans les conditions de l’offre et de la demande. Dans une économie près du plein emploi ce n’est pas catastrophique, sauf pour les personnes touchées, et de nouveaux emplois sont dans le même temps créés dans des secteurs en expansion.
Mon prétexte pour revenir à la charge cette fois, est un article de Michel Girard (Journal de Montréal, 13 avril 2023) qui, dans la foulée des lamentations quant à perte d’un investissement dans la production de batteries pour automobiles, propose des comparaisons sur la performance économique du Québec et de l’Ontario. Ainsi, depuis 2018, l’Ontario a créé 2,7 fois plus d’emplois que le Québec et si le taux de chômage est moins élevé au Québec en 2023 c’est que la population active du Québec a augmenté beaucoup moins que celle de Ontario. Ces statistiques s’expliquent en partie par le fait que l’Ontario partage tout à fait l’objectif canadien d’une croissance basée sur l’immigration massive tandis que le Québec a été jusqu’ici plus réticent à augmenter les seuils d’immigration. Durant la période considérée, l’Ontario a probablement profité aussi de l’arrivée de travailleurs venus des autres provinces canadiennes, notamment parce que l’industrie pétrolière de l’Ouest a généré beaucoup moins d’investissements.
Une autre statistique aussi significative est que le niveau de vie, soir le PIB par habitant, a augmenté de 0,5% au Québec depuis 2018 tandis que celui de l’Ontario reculait de 0,1%. Si on veut faire croître le secteur manufacturier grâce à des travailleurs immigrés il faut organiser une immigration massive pour combler aussi les besoins de main-d’œuvre dus à la demande de biens et de services des nouveaux arrivants. Les nouveaux travailleurs ne peuvent pas être tous intégrés à des activités à forte valeur ajoutée, une grande proportion se retrouvent dans des activités en concurrence avec des pays à bas salaires, comme la fabrication de batteries et d’autres biens de consommation. Il s’ensuit comme en Ontario une pression à la baisse sur le niveau de vie moyen de la population.
Le Québec se retrouve maintenant dans une situation mitoyenne et il ne peut retrouver un équilibre sur le marché du travail qu’en acceptant moins d’immigrants ou en acceptant beaucoup plus. Accepter une immigration massive, sous la pression des milieux d’affaires, c’est accepter une baisse du niveau de vie, et pour le Québec c’est surtout se résigner à disparaître comme peuple. C’est capituler sans combattre, politiquement.
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