par Laurent Guyénot
Les promesses de Yahvé à son peuple sont des promesses de domination matérielle…
Le “rêve insufflé par le Dieu biblique à son peuple élu n’est pas seulement un rêve racial national qui déclare les Cananéens (les Palestiniens autochtones) tout juste bons à être « exterminés sans pitié » (Josué 11:20) ou réduits à l’esclavage (Genèse 9:24). C’est très clairement aussi un rêve impérial. On évoque souvent ces vers du deuxième chapitre d’Isaïe (repris dans Michée 4:1-3) comme preuve que le message prophétique est pacifique : « Ils briseront leurs épées pour en fait des socs, et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre. » Mais on omet généralement les vers précédents, qui indiquent que cette Pax Judaica ne viendra que lorsque « toutes les nations » rendront hommage « à la montagne de Yahvé, à la Maison du Dieu de Jacob », lorsque Yahvé, depuis son Temple, « jugera entre les nations. »
Ben Gourion, véritable père d’Israël, était guidé par cette vision prophétique, qu’il reprit à son compte en 1962 dans une déclaration publiée par le magazine américain Look, où il émettait cette prédiction pour 1987 (le prochain quart de siècle) :
« Toutes les armées seront abolies, et il n’y aura plus de guerres. À Jérusalem, les Nations Unies (de vraies Nations Unies) construiront un sanctuaire aux prophètes pour servir à l’union fédérale de tous les continents ; ce sera le siège de la Cour Suprême de l’Humanité, où seront réglés tous les conflits entre les continents fédérés, comme l’a prophétisé Isaïe. »
Cette vision d’un Nouvel Ordre Mondial centré sur Jérusalem inspire aujourd’hui, plus que jamais, de nombreux intellectuels juifs. Jacques Attali, dans l’émission qu’il anime sur la chaîne Public Sénat avec Stéphanie Bonvicini, se prend à « imaginer, rêver d’une Jérusalem devenant capitale de la planète qui sera un jour unifiée autour d’un gouvernement mondial ». Lors du Sommet de Jérusalem qui s’est tenu du 11 au 14 octobre 2003 dans le lieu symbolique de l’hôtel King David, une alliance fut scellée entre sionistes juifs et chrétiens autour d’un projet « théopolitique » faisant d’Israël (selon les termes de la « Déclaration de Jérusalem » signée par les participants), « la clé de l’harmonie des civilisations », en remplacement des Nations Unies, devenues « une confédération tribalisée détournée par les dictatures du Tiers-Monde ». « L’importance spirituelle et historique de Jérusalem lui confère une autorité spéciale pour devenir le centre de l’unité du monde. […] Nous croyons que l’un des objectifs de la renaissance divinement inspirée d’Israël est d’en faire le centre d’une nouvelle unité des nations, qui conduira à une ère de paix et de prospérité, annoncée par les prophètes. » Trois ministres israéliens en exercice, dont Benjamin Netanyahou, se sont exprimés à ce sommet, et l’invité d’honneur Richard Perle reçut à cette occasion le Prix Henry Scoop Jackson. Le soutien de nombreux chrétiens évangéliques à ce projet ne doit pas surprendre. Avec plus de 50 millions de membres, le mouvement Christians United for Israel est devenu une force politique considérable aux États-Unis. Son président, le pasteur John Hagee, auteur de “Jerusalem Countdown : A Prelude to War” (2 007), déclare :
« Les États-Unis doivent se joindre à Israël dans une frappe militaire préemptive contre l’Iran pour réaliser le plan de Dieu pour Israël et l’Occident, […] une confrontation de fin du monde prophétisée dans la Bible, qui mènera à l’Enlèvement des saints, la Tribulation et la Seconde Venue du Christ. »
Le Nouvel Ordre Mondial n’est-il pas, en définitive, le faux nom de l’Empire de Sion ? Il est utile de rappeler que, bien avant d’être employée par le président Bush père, l’expression a été forgée en 1957 par le géopoliticien Robert Strausz-Hupé, dans le premier numéro de sa revue Orbis, conçu comme le manifeste de son Foreign Policy Research Institute (FPRI), l’un des creusets du néoconservatisme.
Strausz-Hupé y assimile ce Nouvel Ordre Mondial destiné à « enterrer les États-nations » à « l’empire universel américain » : « L’empire américain et l’humanité ne seront pas opposés, mais simplement deux noms pour un même ordre universel sous le signe de la paix et du bonheur : Novus orbis terranum (Nouvel Ordre Mondial). » Henry Kissinger, élève de Strausz-Hupé, pouvait sembler adhérer à ce programme avoué. Mais pas Daniel Pipes, fils de Richard, propagandiste ultra-sioniste que Strausz-Hupé nommera rédacteur en chef d’Orbis en 1986, puis président du Middle-East Forum (à l’origine une branche du FPRI) en 1990. Le disciple a-t-il trahi l’intention du maître, ou bien le projet du Nouvel Ordre Mondial américain possède-t-il depuis toujours un double fond sioniste ? Il semble bien, en tout cas, que les Américains aient été bernés en croyant que le Nouvel Ordre Mondial serait américain ; il sera sioniste ou ne sera pas. […]
Ce dont les Américains n’ont pas non plus été informés, c’est que le prix à payer d’avance pour ce Nouvel Ordre Mondial pseudo-américain et crypto-israélien serait une Nouvelle Guerre Mondiale.
Mais cela aussi est inscrit dans le programme sioniste, car c’est le cauchemar préalable au rêve biblique. Le prophète Zacharie, souvent cité sur les forums sionistes, prédit dans son chapitre XIV que Yahvé combattra « toutes les nations » liguées contre Israël. En une journée unique, toute la terre deviendra un désert, à l’exception de Jérusalem, qui « sera élevée et demeurera en sa place ». Le don prophétique de Zacharie semble lui avoir inspiré une vision de ce que Dieu pourrait faire avec des armes atomiques : « Et voici quelle sera la plaie dont l’Éternel frappera tous les peuples qui auront combattu contre Jérusalem : il fera tomber leur chair en pourriture pendant qu’ils seront debout sur leurs pieds, leurs yeux fondront dans leurs orbites, et leur langue fondra dans leur bouche. »
Ce n’est qu’après ce carnage que viendra la paix mondiale : « Il arrivera que tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Yahvé Sabaot et célébrer la fête des Tentes. Celle des familles de la terre qui ne montera pas se prosterner à Jérusalem, devant le roi Yahvé Sabaot, il n’y aura pas de pluie pour elle. Etc. » L’humanité ne peut ignorer qu’à ses risques et périls la force de suggestion qu’exercent de tels mythes sur tous ceux qui se considèrent comme membres du « peuple élu ».
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Du Yahvisme au sionisme.
Dieu jaloux, peuple élu, terre promise
(2500 ans de manipulations)
“Qui est Yahvé ? D’où vient-il ? Comment ce dieu jaloux, vengeur et exclusif a-t-il imprimé le destin de son peuple ? Quel est tout au long de l’histoire le fil rouge qui relie le culte de Yahvé au sionisme contemporain ?
Tout commence dans l’Ancien Testament et c’est là qu’il faut aller puiser notre compréhension de la question juive. Car l’Ancien Testament, ou plus précisément la Torah, ne fait pas que retracer l’histoire d’un peuple : elle donne aux enfants d’Israël les clefs pour accomplir ce qu’ils se sont donné comme fatum ; là est la justification et là est le chemin à suivre.
C’est Jacob, fils d’Isaac, qui lors de son retour d’exil prend ce nom d’Israël, nom dont le peuple juif tout entier hérite avant de devenir celui d’un État : ainsi se trouvent mêlés sous un même vocable le patriarche, le peuple et la terre promise.
L’histoire du peuple juif traverse l’histoire de toute l’humanité. Quel rôle a-t-il joué dans la chute de Byzance ? Quelle a été son influence au sein même de l’Église chrétienne ? Quel poids a été le sien dans la terrible “guerre civile européenne” de la première partie du xxe siècle ?
Nation parmi les nations, il a été traversé de vents contraires qui l’ont pourtant poussé toujours dans la même direction : entre tentatives d’assimilation et volonté de séparation, conversions sincères ou de façade, entre exclusions et infiltrations, persécutions et privilèges, le peuple de Yahvé s’est toujours vécu comme distinct du reste de l’humanité, reproduisant sans cesse un même schéma biblique : celui de la captivité à Babylone, de la fuite d’Égypte, du Livre d’Esther. Forgeant l’ossature psychologique des fils d’Abraham, il est le ciment qui les unit, seuls contre tous, de la fête de Pourim à la mémoire de la Shoah, sans que la création de l’État d’Israël y mette un terme, devenu l’un des “murs invisibles” de la “prison juive”.
source : Bouddhanar
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