par Régis de Castelnau
La procédure pénale intentée par un procureur de Manhattan à l’encontre de Donald Trump présente toutes les caractéristiques de ce que l’on appelle désormais le lawfare (littéralement : la guerre juridique), c’est-à-dire l’utilisation directe de la justice à des fins politiques. On entend par utilisation directe la tentative de disqualifier, voire d’emprisonner son adversaire politique. Dans ce domaine, la France a donné l’exemple d’une façon assez spectaculaire. L’appareil judiciaire s’y vit aujourd’hui comme une force politique autonome et considère qu’il peut être de son devoir de rendre des services au pouvoir qu’il a décidé de soutenir. Il le fait de trois façons. D’abord en poursuivant et condamnant ceux qui s’opposent à leur champion, comme l’a irréfutablement démontré le raid judiciaire contre François Fillon pour permettre l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017. Ensuite, en protégeant les amis de celui-ci pour leur épargner tout désagrément judiciaire, même en présence de corruption avérée comme dans les affaires Alstom et McKinsey. Et enfin, en réprimant massivement les mouvements sociaux – les Gilets jaunes ne le savent que trop bien. À l’étranger, on pourrait aussi donner l’exemple du président brésilien Lula, emprisonné avant d’être péniblement innocenté et de revenir à la présidence du pays.
La tentation de l’arbitraire
Le problème est que bien sûr, ce genre de manipulations ne peut se faire qu’en piétinant les règles de droit et les principes qui gouvernent les procédures pénales. Conséquence inéluctable du dévoiement d’une justice à qui l’on demande de réaliser des objectifs qui ne sont pas les siens.
La difficulté réside aussi dans le fait que gérer la conflictualité du politique est terriblement tentant. Et comme le disait Oscar Wilde, « le seul moyen de se délivrer d’une tentation est d’y céder ». Il deviendra alors très difficile de protester contre l’arbitraire mis en mouvement et d’exiger le respect de la règle sans être accusé de défendre l’adversaire pénalement mis en cause. L’auteur de ces lignes en sait quelque chose, lui qu’un travail approfondi n’a sûrement pas protégé des procès d’intention. « Comment pouvez-vous défendre François Fillon ou Nicolas Sarkozy si vous n’êtes pas un de leurs soutiens politiques ? » N’essayez pas de vous justifier, c’est peine perdue. Il y a d’autres caractéristiques communes à toutes ces affaires, comme celle de la présence de magistrats militants à la partialité revendiquée. Ou la gourmandise de politiques imbéciles qui y voient une commodité les dispensant de mener de vrais combats de fond sans mesurer que cela peut très bien leur arriver. Et l’attitude d’une presse à l’inculture juridique et judiciaire abyssale, jamais avare de lynchages médiatiques et qui raffole des justiciers à la petite semaine.
Donc, voilà que les États-Unis s’y mettent, et comme d’habitude, ils font cela en grand. En très grand.
Un procureur de Manhattan vient de lancer une procédure contre l’ancien président Donald Trump pour des faits remontant à la campagne électorale 2016. Tout le monde sait très bien, et cela a d’ailleurs été reconnu explicitement et ingénument par Joe Biden lui-même, qu’il s’agit de l’empêcher d’être candidat en 2024 ! Alors on a ressorti une sombre histoire du paiement par Trump d’une somme à une star du porno avec laquelle il aurait eu une liaison. L’objectif de ce versement étant d’éviter qu’elle s’exprime pendant la campagne, ce qui aurait pu nuire au candidat républicain. Tout ceci est assez flou, mais il semble bien qu’en droit américain comme d’ailleurs en droit français, il s’agit d’une transaction privée avec engagement de confidentialité. L’astuce du procureur de Manhattan a été de considérer que cet « achat » de silence était une manœuvre visant à fausser l’élection de 2016. Il a donc réuni un « Grand jury » qui n’a pas statué sur la culpabilité de Trump, mais sur le caractère plausible de l’accusation. Ce qui a permis de lancer la procédure, accusatoire aux États-Unis, et non comme en France inquisitoire. La lecture d’un acte d’accusation particulièrement confus montre que le procureur a raccroché à cette colonne vertébrale un certain nombre d’infractions incidentes. Ce qui permet de présenter l’ancien président comme un multirécidiviste.
Quelles seront les conséquences de tout ceci sur l’échéance électorale de 2024 ? C’est d’autant plus difficile à dire que finalement, ce dont témoigne ce raid judiciaire, c’est que la situation politique américaine s’est terriblement dégradée. Le consensus politicien, construit autour du bipartisme et permettant des alternances pacifiées, n’existe plus, une guerre civile culturelle opposant wokisme et tradition bat son plein, une situation économique et financière difficile dans un contexte mondial en évolution rapide, tout cela rend l’avenir particulièrement incertain.
Les acrobaties de Alvin Bragg
En attendant, on peut se permettre quelques remarques sur ce qui constitue quand même un cirque. Alvin Bragg, le procureur élu de Manhattan, tout d’abord, était présenté par certaines informations comme ayant bénéficié des largesses de George Soros. En effet, les structures de celui-ci apportent leur soutien financier aux campagnes des procureurs défendant les positions de l’« Open society » du milliardaire. Tristan Mendès-France, le fameux « fact checker » que le monde nous envie (ou pas), s’était précipité pour nous dire que c’était faux, puisque Soros lui-même démentait (!). L’information a pourtant été confirmée par CNN, démontrant l’évidente politisation de la manœuvre judiciaire. Il semble bien qu’Alvin Bragg ait aussi pris quelques libertés avec le droit américain, et notamment celui qui répartit les compétences, puisque la fraude électorale à l’élection présidentielle relève des juridictions fédérales et que le ministère américain de la justice, compétent, avait renoncé à toute poursuite. Le même procureur a été interrogé par des journalistes qui lui ont demandé : « L’acte d’accusation ne dit pas spécifiquement quels étaient ces crimes. Quelles lois ont été enfreintes ? » La réponse a été lapidaire : « L’acte d’accusation ne le précise pas, car la loi ne l’exige pas… » Ah bon ? Donc je vous accuse d’un crime, mais je ne vous dis pas pour quels faits ni les textes que vous auriez violés. Cela va être un petit peu compliqué de préparer la défense. Pour n’importe quel juriste, c’est une hérésie absolue.
À ce stade, l’auteur de ces lignes précise qu’il va sacrifier à l’obligation de se justifier et confirmer qu’il n’a aucune sympathie particulière pour Donald Trump, pas plus d’ailleurs qu’une antipathie. Il est d’abord et avant tout le symptôme d’un système en crise, un « cocktail Molotov humain », comme l’a qualifié Michael Moore, un doigt d’honneur à toutes les élites. C’est l’affaire des Américains, qu’ils s’en débrouillent.
Donnons la parole à l’un d’entre eux, au prestige et à l’autorité incontestable : le constitutionnaliste progressiste et démocrate Jonathan Turley. En des termes très durs, ce dernier considère que ce qui vient de se produire est une catastrophe pour son pays. Dans un article publié le 5 avril, il écrit notamment : « Bragg savait qu’il n’avait aucune affaire pénale contre Trump. Cependant, après avoir couru sur l’implication de Trump pour un crime (n’importe quel crime), Bragg savait que beaucoup ne se soucieraient pas de savoir s’il avait un fondement pour une accusation criminelle. Il serait honoré d’être la première personne à inculper un ancien président dans la rage aveugle contre Trump […] Si la juridiction de New York conserve une quelconque intégrité, cette affaire sera rejetée comme juridiquement inappropriée avec un avertissement à Bragg et à son bureau pour avoir politisé le processus de justice pénale ».
Et qualifiant l’épisode de « moment ignoble », Jonathan Turley lance, consterné : « Ce qui est le plus choquant, c’est que cette attaque contre l’état de droit a suscité les applaudissements enthousiastes de beaucoup, y compris des avocats et des experts juridiques. Non seulement ils ignoreront l’affront à l’intégrité de notre système juridique, mais ils célébreront sa disparition ».
Bienvenue au club, cher confrère. Venez faire un petit tour chez nous, vous verrez que la politique par juge interposé, ça n’est pas seulement une spécialité américaine.
Dans ce domaine, nous aussi avons quelques titres à faire valoir.
source : Vu du Droit
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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