par Jorge Elbaum
Et la semaine dernière, les pressions de Washington sur l’Amérique latine, et les Caraïbes pour qu’elles limitent, suspendent ou interrompre leurs relations avec le nouvel « axe du mal » déterminé par ceux qui détiennent le pouvoir réel aux États-Unis : le centre financier de Wall Street, les corporations transnationales et le complexe militaire et industriel, des acteurs coordonnés que beaucoup d’analystes appellent le pouvoir profond (Deep Power) se sont accélérées.
On a clairement observé cette offensive dans les deux rencontres qui ont eu lieu à Lima et à Buenos Aires dont la préoccupation centrale était la coopération croissante avec la Chine et la Russie pendant les sept dernières années à partir du triomphe de dirigeants populaires dans la région.
Le déploiement de troupes propagandistes et médiatiques par la sainte alliance des droites latino-américaines a inclus, pendant la même semaine, la diabolisation de Cristina Fernández de Kirchner, de Gustavo Pétro, de Lula et de Andrés Manuel López Obrador.
La semaine dernière a eu lieu à Buenos Aires la rencontre de la Fondation Liberté présidée par Mario Vargas Llosa, dont les axes centraux de débat ont été l’influence de Pékin et de Moscou dans la région, le populisme et la corruption. Parallèlement, le 28 et 29 mars également, a eu lieu à Lima une autre événement organisé par la fraction la plus bolsonariste dirigée par le parti phalangiste espagnol VOX. La première de ces rencontres a exhibé parmi ses stars Mauricio Macri et les anciens présidents, alors que la seconde a présenté comme orateur central Santiago Abascal.
Une semaine avant la rencontre qui s’est déroulée dans le salon doré du palais législatif de Buenos Aires, les dirigeants de Cambiemos ont participé avec l’aval explicite d’associations civiles liées au département d’État, des membres du groupe Liberté et Démocratie, à une réponse des anciens présidents de droite latino-américains et espagnols au Groupe de Puébla, au Forum de Sao Paulo et les a qualifiés de Gouvernements populistes.
Et la liste des référents comprend les président actuels de l’Équateur et du Paraguay Guillermo Lasso et Mario Abdo, et les deux anciens chefs de l’État, José Maria Aznar et Mariano Rajoy (Espagne), Felipe Calderón et Vicente Fox (Mexique), Iván Duque (Colombie), Jorge Quiroga (Bolivie) et Andres Pastrana (Colombie). En plus, était présent l’actuel sénateur brésilien Sergio Moro, responsable de l’emprisonnement de Lula, da Silva, actuellement objet d’une enquête de la justice de son pays pour, entre autres choses, prévarication dans la procédure contre le président actuel.
Le débat de la rencontre de Buenos Aires qui a débuté dans la matinée de lundi dernier a été centré sur la relation de l’Occident avec l’axe composé par Moscou et Pékin. Le gérant de la Fondation Liberté, Marcos Falcone, s’est concentré sur le nœud de la rencontre : « L’influence de la Chine, de la Russie et de l’Iran en Amérique latine. Découvertes et recommandations des études de cas de l’Argentine et du Chili ». Dans son allocution, les bases d’une discursivité qui justifie une nouvelle guerre froide, cette fois centrée à la différence de celle organisée contre l’URSS au siècle dernier, sur la science, la technologie, le commerce, la concurrence pour les marchés des matières premières et la logistique des chaînes de valeur ont été posées.
Des coups d’État de l’intérieur
La position de Falcone a été élargie par Juan Battaleme, membre du Conseil pour les Relations Internationales. (CARI), le centre de pensée argentin lié au radicalisme de Cambiemos. Falcone a défendu la nécessité de donner une continuité à une alliance stratégique avec les États-Unis mais marquée par l’euphémisme conceptuel de l’engagement sélectif, un cadre mis en avant par des analyses internationaux circonspects pour empêcher l’Amérique latine et les Caraïbes d’abandonner le statut d’arrière arrière-cour instauré par les États-Unis.
Dans table, « valeurs démocratiques et droits de l’homme face à l’autoritarisme », les organisateurs n’ont pas eu de meilleure idée que de convoquer un enseignant de l’école de guerre des États-Unis, Evan Ellis, qui a prévenu que son pays était inquiet à cause du renforcement des BRICS, de l’éventuelle adhésion de l’Argentine et du prestige croissant des autocraties de Moscou et de Pékin dans la région.
De plus, il a noté que cette dangereuse dérive « est évidente avec la pénétration du régime chinois au Brésil » qui étend son influence grâce a la visite de Lula à Xi Jinping, qui a débutée ce même 28 mars lors duquel Ellis a donné sa conférence. Dans cette même table, consacrée aux droits de l’homme, l’ancien député Waldo Wolff, aujourd’hui secrétaire des affaires publiques de la ville autonome, n’a fait aucune référence à l’axe qui a convoqué, à la discrimination contre les femmes, au négationnisme, à la banalisation du terrorisme d’État et des violences symboliques, toutes choses pour lesquelles il a été dénoncé par la Chambre Basse.
L’ancien président chilien Sebastián Piñera à qui on a rappelé sa participation à la répression survenue durant l’explosion sociale qui a débuté à Santiago le 18 octobre 2019 y a participé aussi. Lors de ce soulèvement populaire, son Gouvernement a été responsable de l’assassinat de 34 manifestants. Lors de son intervention sur la scène de gala du Golden Center de Buenos Aires, il a prévenu qu’il existait « des menaces envers la démocratie et envers la liberté : auparavant, c’était des coup d’État, maintenant, les menaces viennent souvent de l’intérieur ». Cette affirmation a provoqué des regards croisés et des murmures variés.
Les assistants, surtout les journalistes accrédités, se sont interrogé sur les interprétations possibles de ce témoignage : admet-il que le coup d’État de Pinochet n’avait pas été décidé de l’intérieur ? Ou s’agit-il, actuellement, de rétablir le concept « d’ennemi interne » institué au siècle dernier par la doctrine de la sécurité nationale mise en place par Washington ?
L’ancien président du Mexique, Felipe Calderón, Hinojosa, qui a décidé de changer de résidence (il vit actuellement à Madrid et travaille pour la Fondation du Parti Populaire dirigée par José Luis Aznar) après que son ministre de la Sécurité, Genaro García Luna, ait été déclaré coupable et emprisonné à New York, pour avoir une société avec le cartel de Sinaloa commandé par « El Chapo », Guzman sous le mandat de Calderon entre 2006 et 2012. García, Luna a été responsable de la « guerre contre le trafic de drogue », qui a fait environ 30 000 victimes.
À Buenos Aires, Calderon s’est dit déçu par l’actuel président du Mexique, qu’il a qualifié « d’autocrate et d’aspirant dictateur » alors qu’on attend dans le pays ses explications concernant sa co-responsabilité dans les affaires de son ami, confident et secrétaire à la sécurité, García Luna, condamné pour avoir reçu 1 500 000 dollars par mois pour défendre le contrôle du trafic de drogue envers les États-Unis, dans les mains du cartel de Sinaloa.
Pendant que se déroulait à Buenos Aires la rencontre de la Fondation Liberté, à Lima se déroulait parallèlement la troisième rencontre régionale du Forum de Madrid, un groupe qui défend la démocratie péruvienne contre « les forces de gauche regroupées autour du Forum de Sao Paulo et du Groupe de Puébla » et « l’offensive de la gauche internationale ».
Le Forum de Madrid est l’un des chapitres de la Fondation Disenso, présidée par le néo- phalangiste Santiago Abascal, qui, dans son allocution, a dénoncé l’ingérence de la Colombie, de la Bolivie, de l’Argentine, du Mexique, du Nicaragua et de Cuba, au Pérou : « Les Péruviens combattent leur ingérence. Les Péruviens ont dit non à Petro, à Arce, à Fernández, à AMLO, au couple Ortega–Murillo et à la tête du serpent, le régime Castro-communiste. »
Ils regardent vers le nord
Le premier point de la lettre de Madrid divulguée en octobre 2020 par un collectif de référents politiques d’extrême droite d’Ibéro-Amérique signale que « l’avancée du communisme suppose une sérieuse menace pour la prospérité et le développement de nos nations ainsi que pour les libertés et les droits de nos compatriotes ». La position publique a été regroupée autour d’une organisation écran de VOX, le parti politique néo-phalangiste espagnol, dirigé par Santiago Abascal.
Parmi les signataires, figurent à nouveau l’ancien député argentin, Waldo Wolff, aujourd’hui fonctionnaire du Gouvernement d’Horacio Rodriguez Larreta, l’ancien candidat pinochétiste à la présidence du Chili, José Antonio Kast et le député trans-andin Johannes Kaiser qui a affirmé, concernant la perspective de genre, que « les femmes cessent d’aller trotter au parc (sur le sol chilien) parce qu’elles ont peur des immigrants qui peuvent les violer mais elles continuent à voter pour les mêmes partis qui attirent ces gens-là et tu te demandes réellement si le droit de vote (des femmes) a été une bonne idée ». La liste de fantômes se complète avec Arturo Murillo, l’ancien ministre de l’intérieur de la putschiste Jeanine Áñez, aujourd’hui condamné et arrêté aux États-Unis pour corruption.
Après la clôture des rencontres de Buenos Aires et de Lima, mercredi dernier, Alberto Fernández a rencontré Joe Biden. Selon le président argentin, Biden lui a reproché les accords que l’Argentine a toujours avec la Chine, en particulier, ceux qui concernent la construction de la quatrième centrale nucléaire dans le pays. Le journaliste du groupe Clarín, Marcelo Bonelli, qui est arrivé directement à la délégation diplomatique qui accompagnait Fernández, a affirmé : « Lors des réunions secrètes et parallèles au sommet, Washington a demandé à l’Argentine de paralyser tout accord en marche avec la Chine ».
Ceux qui ont entendu les exigences exorbitantes des fonctionnaires étasuniens n’ont pas dit que la République Populaire de Chine est notre premier partenaire commercial et qu’en outre, elle a soutenu par son apport la moitié des réserves déposées à la Banque Centrale.
La guerre hybride engagée par l’OTAN contre la Chine et la Russie inclut la diabolisation et si nécessaire, l’anéantissement de tous ceux qui ne se plient pas aux nécessités stratégiques du pouvoir réel vues à travers la logique néolibérale. Dans ce cadre, plusieurs dirigeants latino-américains qui défendent la souveraineté de leur pays sont étiquetés, diffamés, harcelés et persécutés.
La demande du sénateur républicain Ted Cruz, d’une enquête et d’une condamnation de Cristina Fernández de Kirchner, fait suite à une autre accusation de la représentante de la Floride, Maria Elvira Salazar, présidente du sous-comité de la chambre basse pour l’hémisphère occidental qui a dénoncé la vice-présidente en tant que responsable des négociations avec la Chine concernant d’éventuelles fabrications d’avions conjointement entre Pékin et Buenos Aires.
L’offensive se fait sur tous les plans : le jour-même où Alberto Fernandez, était reçu par Biden, le chef de l’état-major conjoint des forces armées des États-Unis, le général, Marc Milley, faisait son rapport périodique devant la commission des forces armées de la chambre des représentants. Avec lui était présent le secrétaire à la défense, Lloyd Austin. Milley a prévenu les membres du Congrès du danger du rapprochement entre la Russie, la Chine et l’Iran. Ces pays ont « les moyens de menacer nos intérêts et notre façon de vivre (…) Pour la première fois, les États-Unis affrontent conjointement deux grandes puissances nucléaires ».
Les droites latino-américaines et le pouvoir réel configuré autour du tripode économique défini comme Deep Power cherchent à établir une stratégie de tenailles sur tous les projets émancipateurs, encore plus si on ose établir des relations avec des puissances qui commencent à défier l’ordre global néolibéral tel qu’il a été institué depuis la moitié des années 70 jusqu’à présent.
Cette double pression ne peut se surmonter que grâce à des niveau croissants d’intégration régionale, d’ouverture vers le sud-est asiatique, d’encouragements des échanges à travers des paniers de monnaies qui limitent le monopole du dollar et à la multiplication de décisions souveraines qui écartent la région de la toxicité des États-Unis. Plus Washington aura d’influence en Amérique latine dans les Caraïbes, plus nous verrons de persécutions politiques et ses représentants domestiques aurons plus de capacité à inoculer la cruauté.
source : Observatorio de la crisis via Bolivar infos
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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