Entretien : « Défendre la démocratie, une sociologie engagée », Laurent Mucchielli

Entretien : « Défendre la démocratie, une sociologie engagée », Laurent Mucchielli

Auteur(s) Gilles Gianni, France-Soir Publié le 07 avril 2023 – 11:50

Le sociologue Laurent Mucchielli nous présente son nouvel ouvrage.
F. Froger / Z9, pour FranceSoir

ENTRETIEN – Laurent Mucchielli est sociologue, universitaire et directeur de recherche au CNRS. Son travail de recherche explore notamment les questions de sécurité et de surveillance, de justice et de délinquance. Dans son nouvel ouvrage, « Défendre la démocratie : pour une sociologie engagée » (ed. Éolienne), il questionne l’état de notre démocratie, sa fragilité et ses imperfections. 

Couverture LM

Les droits humains fondamentaux doivent à ses yeux rester un rempart face aux velléités de pouvoir et de contrôle de la sphère politico-industrielle. À chaque nouvelle crise, des brèches apparaissent : elles ne peuvent être compensées qu’avec le maintien d’un débat éclairé, équilibré et accessible au grand public.

Ce débat, que l’on peut nommer disputatio dans le monde médical et scientifique, n’a pas pu se dérouler durant la pandémie de Sars-CoV 2. Laurent Mucchielli, après une enquête menée collectivement dès mars 2020, en identifie rapidement la cause : la doxa du Covid. 

Autrement dit un dogme abondamment relayé par les médias, issu du récit officiel des gouvernements et des autorités de santé, qui a annihilé toute réflexion et pensée critique quant aux choix de gestion de la crise. Confinements, port du masque obligatoire, « tout-vaccin » sans discernement : bien loin de la médecine et de la science, l’imposition de ces orientations plus politiques que sanitaires, a rendu impossible le doute quant à l’efficacité réelle de ces dernières et fait tabou la dénonciation du niveau de corruption de l’industrie pharmaceutique, assoiffée de profits financiers gargantuesques.

Laurent Mucchielli, dénué de tout conflit d’intérêt, dresse un bilan sans concession de l’état de la recherche sociologique et du débat intellectuel en France et, plus largement, en Occident. Entretien.

Gilles Gianni : Vous commencez votre nouvel ouvrage “Défendre la démocratie” par une anecdote. Lors d’un séminaire, il y a vingt ans, un collègue vous reproche d’être “trop engagé”. Vous lui répondez alors que l’engagement est une absolue nécessité en cas de crise majeure. En février 2020, vous joignez la parole aux actes : votre analyse critique de la gestion de la crise sanitaire s’impose en référence alors que bon nombre d’autres observateurs et sociologues sont restés rivés à la parole gouvernementale. Être engagé, apparemment, cela n’empêche pas de voir clair…

Laurent Mucchielli : Il y a deux attendus dans votre question. Sur le premier, effectivement j’ai toujours considéré le fait de m’engager – c’est-à-dire de mêler ma voix au débat public – comme à la fois un droit et un devoir. C’est Durkheim qui disait que la sociologie ne vaudrait « pas une heure de peine » si elle devait rester un savoir purement académique, réservée aux initiés en quelque sorte. 

Quand on estime que les recherches contredisent les discours politiques et médiatiques, on se doit de le faire savoir. Et avec les questions de sécurité et d’ordre public, j’ai été servi pendant des années ! Le décalage entre ces discours publics et la réalité montrée par les recherches était tel que j’en ai fait des livres entiers. Au fond, j’ai continué cet engagement et ce positionnement critique sur les questions sanitaires à l’occasion de la crise du Covid. 

D’où le projet de ce livre qui rassemble des textes publiés au cours des 25 dernières années, sur des sujets très différents (banlieues, gilets jaunes, covid) mais ayant un point commun : le fait de poser la question démocratique.

Sur votre deuxième point – est-ce que j’y ai vu clair ? –, ce n’est évidemment pas moi de répondre. L’histoire jugera, nous verrons ce qui s’écrira dans 10 ou 20 ans sur la période 2020-2022. Mais je ne suis pas inquiet parce que j’ai mené une véritable enquête en formant toute une équipe informelle de scientifiques et de médecins dont je connais la valeur.  

Au sujet de la “coloration” de cet engagement qui est le vôtre, qui se trouve tout au long de votre carrière être incontestablement à gauche : quel effet cela vous a-t-il fait d’avoir été catalogué par les tenants de la doxa du Covid comme quelqu’un proche de l’extrême droite ? N’est-ce pas surréaliste ? 

Si, totalement, et je vous remercie de me permettre de le redire ici. En résumé, jusqu’en mars 2020, j’avais passé 25 ans de ma vie à me faire traiter de « sale gauchiste qui est trop gentil avec les délinquants et qui défend ces salauds d’immigrés » par la droite et l’extrême droite. Et puis tout d’un coup, à partir de mars 2020, je me suis fait traiter de « sale type devenu d’extrême droite » à la fois par les macronistes et par une bonne partie de la gauche. C’est risible. Je suis, j’ai toujours été et je serai toujours un intellectuel de gauche, même si j’ai parfois l’impression d’appartenir à une espèce en voie de disparition. 

Alors comment comprendre cette alliance des macronistes avec une grande partie de la gauche pendant le Covid ? Définissons d’abord le macronisme. Pour simplifier, je dirais que nous avons affaire à une association improbable et opportuniste de gens qui se rassemblent autour d’un genre de libéralisme autoritaire que Jean-Paul Jean définissait ainsi en 1987 : « Libéral sur le plan économique, sauf à protéger quelques clientèles ; autoritaire sur le plan des libertés individuelles, sauf à protéger certains intérêts particuliers ».

« Tous ont crié ensemble que les gens qui contestaient la politique sanitaire du gouvernement étaient forcément des salauds d’extrême droite. »

Il a trouvé de nombreux alliés à droite comme à gauche, et pas uniquement dans ce qui reste du Parti socialiste et des écologistes. Tous ont crié ensemble que les gens qui contestaient la politique sanitaire du gouvernement étaient forcément des salauds d’extrême droite. Pour les macronistes, l’origine électoraliste de ce discours est facile à comprendre : ils n’ont pas d’autre ennemi sur le plan électoral, dans un match qu’ils espèrent gagner à tous les coups.

Quant aux gens de gauche, ils sont manifestement tellement perdus intellectuellement (et parfois moralement) qu’ils ne sont plus capables de se définir autrement qu’en opposition avec l’extrême droite. Le phénomène se constate d’ailleurs dans la plupart des pays occidentaux (voyez le récent livre de Toby Green et Thomas Fazi (The Covid Consensus. The Global Assault on Democracy and the Poor. A critique from the Left).

Et pourtant, lorsqu’on a un vrai esprit critique et de vraies valeurs, on ne peut pas approuver ce que ce gouvernement a fait pendant trois ans. Ce n’est pas possible. Tellement d’incompétence derrière l’arrogance, tellement de mensonges derrière « les besoins de la communication », tellement de conflits d’intérêts et de copinage derrière la prétendue « exemplarité », tellement de confusion grave entre les biens publics et les intérêts privés, tellement de mépris envers l’éthique médicale, tellement d’archaïsme du raisonnement caché derrière la survalorisation des technologies et du tout-numérique, tellement d’instrumentalisation du nom de la Science masquant un total désintérêt sinon un mépris pour le débat scientifique, tellement de mépris pour la démocratie, la séparation des pouvoirs et la défense des droits humains et des libertés fondamentales. 

S’il a suffi qu’un virus pointe son nez (pour la énième fois dans l’histoire) pour que les gens dits de gauche ne perçoivent plus aucun de ces enjeux, alors on se demande à quoi tiennent les convictions. C’est pour ça que je vous disais avoir parfois le sentiment d’appartenir à une espèce en voie de disparition.

Pouvez-vous rappeler les jalons de votre formation, qui vous ont amené à prendre la défense des perdants, des dominés, voire des exploités du système économique ?

C’est loin d’être le seul de mes sujets d’intérêts. Ma formation a été pluridisciplinaire car mon esprit a du mal à supporter les carcans et les petites boites à ranger. J’ai fait d’abord du droit, ensuite de la sociologie ainsi que de l’histoire des sciences. Je me suis également passionné pour la psychologie sociale et l’ethnologie durant mes études universitaires. Et tout ceci m’a toujours beaucoup servi pour essayer de comprendre le monde. 

Ceci dit, parmi les nombreux enjeux qui m’ont fait réfléchir et qui m’ont motivé pour écrire, il y a effectivement celui de la défense des dominés et des exploités. C’est pour cela que j’ai toujours été sensible à la sociologie de Bourdieu, qui est fondamentalement une sociologie critique de la domination sous toutes ses formes (économique, sociale, politique, culturelle, etc.). J’y ai trouvé des outils précieux pour analyser la question des banlieues qui est comme un concentré d’inégalités et de dominations. 

Je l’illustre dans le livre d’abord au sujet des chansons de Rap. Loin des clichés politiques sur les « racailles » de banlieues, je montre que ces jeunes gens ont des choses très importantes à dire et qu’ils dénoncent leur situation de dominés mieux que n’importe qui d’autre (à part quelques sociologues !). Même chose ensuite avec les émeutes d’automne 2005, caricaturées par les politiciens comme l’action de délinquants ou de jeunes n’ayant rien dans la tête. Il faut lire les entretiens que nous avons pu réaliser, les motivations de ces jeunes apparaissent nettement.

« Le mouvement des gilets jaunes a été réprimé par une grande violence d’État. » 

La sociologie de Bourdieu m’a également servi au début du mouvement des gilets jaunes, quand la plupart des gens autour de moi (y compris parmi mes collègues) manifestaient une sorte de mépris social envers ce petit peuple qualifié de « poujadiste » et moqué pour ses revendications sur la cherté de la vie. J’estime au contraire que ce mouvement était traversé par de vraies aspirations démocratiques, qu’il s’agisse de la justice sociale ou de la participation des citoyens aux décisions politiques. Et il a été réprimé par une grande violence d’État, que j’analyse également dans un des chapitres. 

Ceci préfigurait d’ailleurs ce qui est en train de ses passer ces dernières semaines, à travers la contestation de la (énième, là aussi) réforme des retraites. Beaucoup de gens découvrent des violences policières que les habitants des banlieues connaissent depuis des décennies et les gilets jaunes depuis 2018. Donc oui, la sociologie de Bourdieu m’a accompagnée durant toute ma vie d’intellectuel. 

Je précise cependant que je n’appartiens à aucune école ni même aucun réseau. L’esprit de chapelle m’est étranger. De même que je déteste les gens sectaires, qu’ils soient de droite ou de gauche. L’esprit critique des Lumières et les valeurs issues de la tradition socialiste sont pour moi des guides intellectuels et moraux grâce auxquels j’essaye de progresser. Cela n’a rien à voir avec l’affichage d’une identité ou l’adhésion à un groupe. Je n’ai pas besoin de me définir contre d’autres ni d’endosser le maillot d’une équipe pour faire mon travail.

Ainsi, en abordant les thématiques liées aux habitants des banlieues, au rap, aux gilets jaunes, il serait bien malvenu de vous reprocher d’aller contre quelque nouveau public…

Sous-entendre, en effet, que j’aurais un « nouveau public » opposé aux précédents, nous ramènerait vers la pseudo-opposition entre macronisme ou gauche versus extrême droite. Cette opposition est superficielle et politicienne. La réalité est beaucoup plus complexe. 

Je ne connais évidemment pas le profil de mes nombreux lecteurs. Par contre, j’ai donné 40 conférences publiques sur la doxa du Covid un peu partout en France depuis la sortie de mon tome 1 en janvier 2022, j’ai passé du temps à chaque fois avec les organisateurs, de même que j’ai beaucoup échangé avec les personnes venues assister, que ce soit lors des séances de questions, pendant les séances de dédicaces ou après quand on va simplement boire un verre ensemble autour d’un petit buffet. Et je n’ai pas une seule fois rencontré un militant d’extrême droite.

Par contre j’ai rencontré assez souvent d’anciens gilets jaunes, assez souvent des électeurs, des militants ou des syndicalistes de gauche dégoûtés par leurs partis ou syndicats, et puis bien entendu beaucoup de gens qui sont dégoûtés de la politique tout court et qui ne se retrouvent plus du tout dans les clivages politiques officiels. 

Je dirais enfin la même chose de toutes les observations et toutes les discussions que j’ai pu avoir dans les manifestations de rue contre le « passe sanitaire » puis le « passe vaccinal » durant la seconde moitié de l’année 2021. Il y avait une grande diversité dont les médias se sont bien gardés de parler, préférant concentrer leur attention sur monsieur Philippot et ses amis.

Vraiment, j’y insiste, cette opposition entre soutien gouvernemental versus être d’extrême droite, qui recouperait l’opposition pro-vax versus anti-vax, ou encore gens raisonnables versus complotistes, est une pure construction politique. C’est une manipulation qui, hélas, fonctionne apparemment assez bien. Elle convient en tous cas aux esprits simples, pour ne pas dire aux idiots utiles. 

À propos de la Covid, vous réalisez un état de lieu de la situation, évoquez les chiffres, les statistiques qui vérifient vos premières intuitions de recherche et d’enquêtes, et pointez la question d’une vaste affaire politico-juridique à venir. Sommes-nous dans le cadre d’un scandale d’une ampleur démesurée ?

La crise du Covid sera probablement reconnue dans les années à venir comme le plus grand scandale sanitaire de l’histoire, plus grave que celui du sang contaminé par exemple. Dès lors il faudra du temps, beaucoup de temps, pour que l’ensemble du voile soit levé et que l’énormité de la chose saute aux yeux de tous. Et beaucoup s’y opposeront, que ce soit par intérêt, pour écarter la culpabilité ou par orgueil. Mais les faits sont là. 

L’Organisation Mondiale de la Santé a menti sur la gravité du virus comme sur son origine, et le fait qu’elle soit de plus en plus subventionnée par des intérêts privés (à commencer par ceux de Bill Gates) n’y est évidemment pas étranger. La Commission européenne est également gangrenée par des phénomènes de corruption, comme l’illustre l’affaire des SMS échangés entre Ursula Von der Leyen et Albert Bourla.

« Les journalistes ont été complices et acteurs de cette soumission. »

Les gouvernements ont tantôt paniqué tantôt cherché à organiser cette panique pour mieux soumettre la population et lui faire accepter l’inacceptable (le confinement général, l’interdiction faite aux médecins généralistes de soigner les malades du Covid, l’euthanasie déguisée des personnes âgées en fin de vie à grands coups de Rivotril, l’interdiction faite aux familles d’accompagner les morts, l’imposition d’une injection expérimentale aux femmes enceintes et aux enfants, le retour de la censure, etc.). 

Les journalistes ont été complices et acteurs de cette soumission, reniant tous leurs principes. Les industriels pharmaceutiques concernés (à commencer par Pfizer et Moderna) ont voulu profiter de l’aubaine (qu’ils espéraient depuis longtemps) en réalisant un énorme coup de « bluff technologique » comme disait Jacques Ellul. Bien aidés par les pouvoirs publics qui leur ont déroulé le tapis rouge, ils ont prétendu mettre au point en quelques mois un vaccin-miracle et ont réussi à le faire accepter comme seule issue possible à la crise. 

Le résultat est qu’ils ont fabriqués des produits expérimentaux qui ne sont ni sûrs ni efficaces. Dans aucun pays du monde la vaccination n’a arrêté l’épidémie, ni fait disparaître les « formes sévères » de Covid. Et chaque semaine qui passe, nous découvrons un peu plus l’ampleur des effets secondaires graves. En pourcentage, ceux-ci peuvent apparaître mineurs. Admettons pour simplifier que la fréquence de survenue de ces effets indésirables soit de l’ordre de 1 à 5 sur 1 000, donc entre 0,1 et 0,5%. Exprimé en pourcentage, cela paraît très peu. Mais si dans la réalité vous vaccinez 50 millions de personnes (comme c’est le cas en France), cela donne entre 50 000 et 250 000 blessés graves. 

C’est donc en réalité une catastrophe, avec des chiffres que l’on peut comparer par exemple avec ceux des accidents de la route (3 000 morts et 67 000 blessés en 2021). Certains pays (par exemple Singapour depuis longtemps, l’Argentine également, l’Allemagne et la Basse-Autriche tout récemment) réfléchissent déjà à la question de l’indemnisation massive des victimes de la vaccination anti-Covid. Elle s’imposera tôt ou tard dans tous les pays. 

La question des chiffres pose question. Comme s’il manquait une sorte de passerelle entre les données pourtant parfaitement accessibles, de sources officielles, qui renseignent quant au bilan de la gestion de la crise, et le grand public qui reste captif des slogans et autres poncifs délivrés ces trois dernières années par les autorités politiques et sanitaires. Qui peut changer la donne, si l’on peut dire ?

Le problème principal est sans doute l’absence d’une autorité sanitaire qui ne soit inféodée ni au pouvoir politique ni aux industries pharmaceutiques. Ce double critère élimine quasiment tout le monde. 

Voyez par exemple l’attitude de la Haute Autorité de Santé (HAS) qui a, comme d’autres, servi de caution au pouvoir politique. Voyez même comment de simples organismes de statistique publique comme l’INSEE et la DRESS n’osent pas contredire le gouvernement. La façon dont l’INSEE présente la mortalité liée au Covid est même assez scandaleuse, comme le montrent aussi l’épidémiologiste Laurent Toubiana et le statisticien Pierre Chaillot dans leurs récents livres.

« Les médias nous ont systématiquement discrédités et censurés jusqu’à nous rendre quasiment invisibles. » 

Cela commence par des choses toutes simples, comme le fait de comparer systématiquement la mortalité des années 2020 et 2021 avec celle de l’année 2019, lors même que cette dernière était une année de faible mortalité. Il suffit de reculer de quelques années (2015, 2017) pour trouver des années de forte mortalité liée à la sévérité de la grippe hivernale, et donner des points de comparaison qui changent l’interprétation. Confirmation du fait que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes, c’est nous qui les faisons parler ! J’y consacre un autre chapitre du livre. 

Dans un tel système, qui peut changer la donne comme vous dites ? J’ai espéré un temps qu’en fédérant les savants et les médecins restés indépendants et clairvoyants, nous pourrions peser un peu sur le débat public. Mais, loin de profiter de notre dissidence pour organiser un vrai débat contradictoire, les médias nous ont systématiquement discrédités et censurés jusqu’à nous rendre quasiment invisibles. 

Ne reste plus alors que la justice. Pas la justice administrative bien entendu (le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont un problème majeur de consanguinité avec le pouvoir politique), mais la justice judiciaire. Il y aura nécessairement des affaires qui iront au bout, au procès public. Mais cela prendra sans doute des années. Et si cela n’arrive pas, alors ce sera la mort de la démocratie car il n’y aura plus aucun contre-pouvoir. 

Autre élément vital pour la démocratie, la sphère du journalisme : est-ce la plus grande déception pour vous, sous la forme d’une révélation bien peu agréable, lors de l’avènement de cette crise dite sanitaire ? 

Oui, clairement. Je n’aurais jamais imaginé une telle bérézina. J’étais persuadé de trouver des alliés, notamment parmi les journalistes qui ont enquêté ces dernières années sur d’autres scandales sanitaires et d’autres industries, en montrant à chaque fois l’ampleur de la corruption et l’importance des falsifications. 

Las, à quelques exceptions individuelles près (de très rares personnalités à la fois lucides et courageuses), les journalistes se sont comportés d’une façon qui constitue une insulte à l’histoire de leur profession (Albert Londres doit se retourner dans sa tombe) et une insulte à la démocratie. Loin d’organiser un quelconque débat contradictoire, ils se sont comportés jusqu’à la caricature comme les « chiens de garde » du pouvoir pour reprendre la vieille expression de Paul Nizan reprise par Serge Halimi. 

Voyez l’attitude du journal Le Monde, censé être « une référence » en France. Tout ce qui allait dans le sens du gouvernement y a été valorisé (les « bons chiffres » comme les « bons experts ») et tout ce qui le contredisait a été dégradé ou passé sous silence. Rendez-vous compte qu’en trois ans, je n’ai reçu qu’un seul coup de fil d’un journaliste du Monde, le jour où sa rédaction voulait réaliser une sorte de « galerie-portrait des chercheurs-complotistes » pour mieux se moquer d’eux ! 

Voyez l’attitude des prétendus « fact-checkers » improvisés du Monde mais aussi de Libération, du Figaro, de l’Express, du Parisien et finalement de tous les autres tant cette mode du fact-checking gangrène l’ensemble des médias (la presse écrite mais aussi la radio et la télévision, jusqu’à Arte !), à commencer par l’AFP bien entendu. Cette mode permet de masquer le grave déficit d’investigation et donc de capacité à faire autre chose que commenter à longueur de journées des « informations » produites en réalité par d’autres. 

« L’incapacité à critiquer le discours officiel au Canard enchaîné ou à Charlie Hebdo, qui l’eut cru ? »

Les journalistes sont ainsi devenus la principale caisse de résonance de la propagande politico-industrielle. Et loin de la subir à leurs corps défendant, certains sont au contraire devenus les champions de cette propagande, persuadés de « faire le bien » et se croyant investis d’une sorte de mission d’éducateurs de la stupide populace que nos voix dissidentes risquaient d’induire en erreur. 

Voyez l’attitude du journal Mediapart que je croyais bien connaître, étant un soutien de la première heure. Voyez ce journal clamant partout (par la bouche de son principal créateur Edwy Plenel) qu’il est un journal d’investigation défendant la liberté d’enquête et la liberté d’expression et faisant alliance avec les lanceurs d’alerte et les intellectuels critique. Il aurait donc dû se féliciter de mon enquête et y apporter tout son soutien.

Or, c’est le contraire qui s’est passé. Avec les dizaines de savants et de médecins que j’ai sollicités pour mener cette enquête, nous avons été juste tolérés au début, puis invisibilisés et finalement censurés. La censure à Mediapart, qui l’eut cru ? L’incapacité à critiquer le discours officiel au Canard enchaîné ou à Charlie Hebdo, qui l’eut cru ? Le quasi silence du Monde Diplomatique (jusqu’au dernier numéro en tous cas), de Basta Mag ou de Reporterre, qui l’eut cru ? Etcetera. Je trouve cela dramatique. 

Cette crise de la Covid… Allons droit au but. Cui bono ?

À qui profite le crime ? Voilà une bonne question, que non seulement les journalistes refusent de se poser, mais qu’ils s’empressent même d’interdire à tout le monde en accusant par avance de « complotisme » toutes celles et ceux qui voudraient la poser. 

C’est une situation ubuesque et qui ne les honore certes pas. Toute forme d’esprit critique devient donc une manifestation de « complotisme » selon nos braves médias qui ont totalement repris à leur compte le discours des gouvernements et des lobbys pharmaceutiques. 

Et pourtant, comment ne pas voir que la gestion de cette crise a enrichi à un point exorbitant des industriels pharmaceutiques sans scrupule et leurs actionnaires, ainsi que les géants du numérique et tout le secteur de la vente en ligne d’Amazon à Uber Eats pour qui les confinements ont été du pain béni ?

Comment ne pas comprendre la motivation financière de ces industries pharmaceutiques et d’un pseudo philanthro-capitaliste comme Bill Gates qui expliquait en janvier 2019 dans une interview à CNBC (la chaîne américaine de télévision spécialisée dans l’information économique et financière) que « l’investissement dans les organisations de santé mondiale visant à accroître l’accès aux vaccins crée un rendement de 20 pour 1 »

« Qui aura le courage d’investiguer sur toutes les formes de trafic d’influence et de corruption ayant permis cet incroyable rapt sur la santé publique mondiale ? » 

Combien de temps les gouvernements, les parlementaires, les magistrats et donc les journalistes vont-ils continuer à croire à la fable infantile des vaccins-miracle et des industries pharmaceutiques bienfaitrices de l’humanité ? Qui aura le courage d’investiguer sur toutes les formes de trafic d’influence et de corruption ayant permis cet incroyable rapt sur la santé publique mondiale ? 

Qui osera poser la question des bénéfices secondaires de cette crise pour des gouvernements assurés de la soumission totale des populations lors même que l’espèce de libéralisme autoritaire qui se répand partout en Occident ne cesse de provoquer des dégâts sociaux et de dégrader la démocratie ? 

Voyez le mouvement des Gilets jaunes en 2018-2019 et voyez actuellement le mouvement social contre cette énième réforme du système de retraites. En réalité, nos démocraties représentatives traversent une crise profonde. Elles sont gouvernées par des oligarchies voire des cliques dont la base électorale est de plus en plus faible. Leur pouvoir ne tient que par la peur qu’inspire l’extrême droite et autres mouvements politiques généralement qualifiés de « populistes », expression là aussi largement galvaudée.

La réalité est que la majorité de la population ne se retrouve plus dans cette offre politique et que le discrédit des élites a rarement été aussi profond. Cela appellerait un sursaut. Hélas, pour le moment on ne le voit pas venir. 

Votre nouvel ouvrage évoque par ailleurs le “talon d’Achille” de la démocratie. Cette dernière souffrirait de plusieurs points faibles. Vous semblez être particulièrement inquiet des dérives de la techno-science, par exemple. Qu’en est-il ?

Je pense en effet que nos démocraties ont un énorme talon d’Achille. L’idée générale est la suivante. Primo, tandis qu’en temps ordinaires nous respectons tant bien que mal les principes d’organisation politique et juridique qui fondent l’État de droit et la démocratie représentative, dès que survient une crise grave nous paniquons et semblons prêts à renier ces mêmes principes.

Secundo, durant ces crises nous prenons l’habitude de suspendre certains fonctionnements démocratiques, et ceci ne disparaît jamais totalement lorsque la crise se termine : de sorte que chaque (gestion politique de) crise nous amène à dégrader encore un peu plus la démocratie. 

J’avais pris conscience de ce phénomène lorsque, durant les années 2000, l’obsession sécuritaire incarnée par N. Sarkozy conduisait à empiler les unes sur les autres des lois restreignant toujours plus les droits et libertés fondamentaux, accroissant toujours plus les outils de contrôle et de surveillance générale de la population sous prétexte de « garantir votre sécurité ». 

Les années 2010 ont ensuite été dominées en France par la vague terroriste « islamiste » et, à nouveau, les états d’urgence et l’arsenal législatif votés précipitamment au nom de la « guerre contre le terrorisme » ont mis à mal nombre de principes généraux du droit. Peu à peu, s’est ainsi imposé un dangereux « paradigme de l’exception », comme dit Bernard Manin. 

Or, force est de constater que les gouvernements en font un usage de plus en plus répété, intensif et extensif qui, au demeurant, ne règle jamais aucun des problèmes pris en prétexte pour imposer ces lois et dispositifs dits « exceptionnels » (je l’ai montré dans le cas de la vidéosurveillance et du terrorisme). 

Le comble a été atteint entre 2020 et 2022 lorsque, sous prétexte d’une épidémie, nous avons vécu en état d’urgence quasi permanent, tous les pouvoirs étant remis entre les mains de l’exécutif et des mesures totalement inédites de suspension des droits et des libertés individuelles et collectifs étant imposées par la contrainte (un autre chapitre du livre y est consacré, coécrit avec le magistrat Clément Schouler). 

Si de tels reniements démocratiques sont désormais possibles à chaque série d’attentats ou à chaque épidémie, sans parler des autres « crises » à venir (notamment climatiques), ne faut-il pas redouter leur banalisation et donc la mort progressive de ce qui fut pourtant conquis de haute et terrible lutte par les générations qui nous ont précédé ? 

Pour appuyer votre réflexion au sujet de l’origine du virus Sars-CoV 2, vous avez cité Pièces et Mains d’œuvre (PMO), un collectif grenoblois critique de l’idéologie du techno-scientisme et qui a été parmi les premiers à évoquer scientifiquement l’hypothèse de la fuite du laboratoire de Wuhan. Pourquoi certains chercheurs ou citoyens se sont interrogés quant à l’origine du virus ; pourquoi et comment d’autres ont immédiatement catalogué cela comme « idée complotiste » ?

Cet exemple est typique du fonctionnement politico-médiatico-numérique que j’évoquais précédemment. Un certain nombre d’influenceurs, de médecins-chercheurs et de hauts fonctionnaires de la santé, corrompus par les industries pharmaceutiques depuis des années, ont voulu imposer au départ la fable exotique de la chauve-souris et du pangolin pour mieux dissimuler les manipulations génétiques (la recherche virologique sur les « gains de fonction ») menées en Chine mais dans des laboratoires financés en bonne partie par les États-Unis. En retour, ils ont qualifié de « complotiste » toute autre hypothèse sur l’origine de ce virus. 

Pourtant, quand la séquence génomique du Sars-CoV-2 a été publiée par les autorités chinoises en janvier 2020, plusieurs généticiens et virologues ont tiqué pour la bonne et simple raison qu’ils ont remarqué la présence dans cette séquence d’éléments qui ne proviennent d’aucun être vivant et procèdent donc manifestement d’une intervention humaine. 

« Toute personne normalement intelligente et honnête comprend ici que l’accusation de ‘complotisme’ est en réalité l’argument de ceux qui n’en ont aucun autre. »

La chose est donc factuelle et elle ne présume en rien des intentions des uns et les autres. Je fais pour ma part l’hypothèse d’un accident de laboratoire. Ce ne serait pas le premier là non plus. 

Or, quand le virologue et prix Nobel Luc Montagnier a fait le constat de l’anomalie dans la séquence génomique, il s’est fait traiter de vieux gâteux. Quand la généticienne Alexandra Henrion-Caude l’a dit à son tour, elle s’est faite traiter d’illuminée sous le prétexte qu’elle est par ailleurs chrétienne, ce qui n’a rien à voir (depuis quand faut-il être athée pour faire de la recherche, ou pour faire du journalisme ?). Le travail de surveillance critique de la technophilie que mène PMO est riche mais confidentiel et ne pouvait donc qu’être passé sous silence. Quant aux scientifiques étrangers qui ont fait des constats similaires, ils sont tout simplement inconnus de nos braves journalistes et intellectuels (ou supposés tels) français. 

Encore une fois, c’est la conséquence fatale d’un système dans lequel l’information est totalement contrôlée, les géants du numérique aidant les États à réinstaurer une censure que l’on croyait disparue en démocratie, et les médias se chargeant de discréditer toutes les voix discordantes. Toute personne normalement intelligente et honnête comprend ici que l’accusation de « complotisme » est en réalité l’argument de ceux qui n’en ont aucun autre. C’est une sorte de point Godwin visant à interdire par avance le débat. C’est le degré zéro de la réflexion. 

Vous vous plaignez peu dans vos écrits de cela, mais vous avez été particulièrement attaqué ad hominem pour votre travail de recherche. N’est-ce pas au fond très inquiétant de voir un chercheur, au service de l’enseignement public, sans conflit d’intérêt et souhaitant développer une pensée indépendante, à ce point vilipendé ? 

Oui, c’est très inquiétant, mais je ne suis qu’un cas parmi d’autres. Voyez l’acharnement politique, médiatique et administratif qui s’est abattu sur l’IHU de Marseille depuis trois ans. Toutes les formes de harcèlement s’y constatent. Voyez le même acharnement pour discréditer le Dr Louis Fouché créateur du grand réseau citoyen Reinfo Covid. Le principe est de couper toutes les têtes qui dépasse, quelles qu’elles soient, en utilisant tout ce qui peut vous tomber sous la main et en inventant au besoin n’importe quel argument. 

Que les industriels dont on venait perturber le petit business nous attaquent par le biais de leurs affidés, cela se comprend. Que des gouvernements qui faisaient n’importe quoi en paniquant à chaque instant nous attaquent directement ou par le biais de leurs influenceurs (dans les médias et sur les réseaux sociaux), cela se comprend également. Mais que les journalistes volent à leur secours au lieu de faire leur boulot de façon impartiale est incompréhensible et gravissime. 

De même, que des chercheurs et des intellectuels (ou supposés tels) volent au secours des industriels et des gouvernements est tout aussi incompréhensible et sans doute encore plus grave. Qui ne comprend que la liberté d’investiguer et la liberté d’expression sont des droits et libertés fondamentaux sans lesquels la démocratie se meurt tout simplement ? 

Comment des universitaires et des chercheurs peuvent-ils ainsi scier la branche sur laquelle ils sont assis sans même s’en rendre compte ? J’avoue avoir du mal à comprendre la bêtise et/ou le manque de courage dont ont fait preuve tant de gens parmi nos « élites », et tant de mes collègues. 

En quelques mots, comment voyez-vous votre avenir professionnel à l’heure actuelle ?

Je vous répondrai là aussi en toute franchise. J’ai été insulté et diffamé quasiment tous les jours pendant trois ans. On a cherché à me faire virer du CNRS. On a cassé le bel outil de valorisation des recherches sur le système scolaire que j’avais construit pour la FCPE. Aujourd’hui je suis ce qu’on appelle un fonctionnaire placardisé.

Mais ce qui m’a fait le plus de mal, ce ne sont pas ces torrents de boue déversés par des gens pour lesquels je n’ai aucune estime. Non, ce qui m’a fait le plus choqué, c’est d’abord la bêtise et/ou la couardise de nombre de mes propres collègues, ensuite la malveillance et les coups tordus que certains d’entre eux se sont permis. 

D’abord, je constate que la quasi-totalité des collègues qui m’ont critiqué dans la presse ou sur les réseaux sociaux n’ont jamais ouvert mes livres. Leurs arguments proviennent de coupures de presse. C’est confondant de médiocrité intellectuelle, mais c’est la réalité.

« Songez que j’ai dû m’expliquer auprès de la police (…) lorsque j’ai voulu organiser un colloque universitaire en mars 2022 pour faire le point des connaissances et des controverses sur la crise sanitaire. »

C’est ainsi que j’ai vu une conférence prévue dans un amphithéâtre universitaire interdite par un président d’université suite à une dénonciation par deux autres collègues. Avec à l’appui… une coupure de presse ! Mieux encore : j’ai vu mon nom disparaître de la couverture d’un livre que j’avais codirigé parce qu’un directeur de laboratoire – qui a peut-être reçu des pressions en ce sens – a menacé au dernier moment (on corrigeait les dernières épreuves !) de retirer la petite subvention à l’éditeur. Avec à l’appui… encore une coupure de presse ! 

Songez que j’ai dû m’expliquer auprès de la police (en l’occurrence les renseignements territoriaux, ex-RG) lorsque j’ai voulu organiser un colloque universitaire en mars 2022 pour faire le point des connaissances et des controverses sur la crise sanitaire, et que la présidence de l’université d’Aix-Marseille a cherché à empêcher la tenue de ce colloque, probablement sur demande du ministère à Paris.

Quant aux journalistes, ils ont écrit une quinzaine d’articles pour dénoncer « une réunion de complotistes » avant même que le colloque ait lieu et le plus souvent sans avoir lu le programme ! Et bien entendu, aucun de ceux qui nous avaient par avance traîné dans la boue n’est venu ensuite assister au colloque pour voir ce qu’il s’y disait réellement.

Tant de médiocrité aussi bien intellectuelle que morale ne me laisse pas indifférent. J’avoue être assez profondément écœuré et me poser beaucoup de questions sur le sens à donner à ma vie professionnelle. 

Peut-on espérer un tome 3 de la doxa du Covid ? 

Merci à nouveau de vous intéresser réellement à mon travail. J’avais en effet en projet depuis longtemps de publier en 2023 ou 2024 un gros tome 3 qui aurait été un peu le bilan final de mon enquête. 
J’aurais voulu trouver des auteurs pour faire un maximum de comparaisons internationales et j’aurais voulu traduire en Français une série de bons articles parus dans des revues scientifiques anglosaxonnes. Le tout en déclinant la grille de lecture générale que j’ai proposée dans La doxa du Covid, à savoir les quatre séquences : 1/ le virus, 2/ le traitement médical de la covid, 3/ l’évaluation des confinements et autres « mesures sanitaires exceptionnelles », 4/ l’évaluation du pseudo miracle vaccinal. 

Mais cela serait un énorme travail, qui pose de surcroît des problèmes financiers (notamment les droits de traduction). Enfin, pour la raison qui vient d’être dite, il y a peu de chances pour que je retrouve la motivation et l’énergie nécessaires pour réaliser une telle somme de travail.

J’ai donc voulu mettre au moins provisoirement un point final à mon engagement de ces dernières années avec ce livre Défendre la démocratie : une sociologie engagée. On verra s’il intéresse un peu mes contemporains, ou pas.

Source : France Soir

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L'Association Professionnelle Gendarmerie (APG) a pour objet l’expression, l’information et la défense des droits et intérêts matériels et moraux des personnels militaires de la gendarmerie et de toutes les Forces de l'ordre.Éditeur : Ronald Guillaumont

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