par Patrick de Pontonx
I. On ne peut que savoir gré à MM. Xavier Azalbert et Stanislas Breton de leur récent et riche entretien sur « l’intoxication de l’Occident ». Intéressant, ce mot : « intoxication ». Il nous vient du grec « toxicon », qui signifie le venin, mais un venin inoculé par des flèches. En effet, « toxon » veut dire « arc ». L’intoxication, en son sens premier, désigne donc un acte d’agression volontaire, calculé, et non pas naturel. Un acte destiné à tuer.
Le venin, ici identifié, est le mensonge. Dans la tradition biblique, le mensonge ne se rapporte pas premièrement au discours mais à une action. Il exprime une trahison de la confiance, spécialement contre Dieu qui est fidèle. Le mensonge est ainsi le propre d’une action diabolique tendant à détruire la création divine et à ensevelir avec elle l’humanité elle-même.
M. Breton évoque également une distinction entre le mensonge qu’utiliseraient des politiciens pour protéger leurs citoyens et le mensonge-venin dont il parle. Platon, déjà, distinguait le mensonge « utilitaire » du gouvernant, qu’il identifiait d’ailleurs à un « mensonge en paroles », et qu’il excusait par son utilité protectrice des citoyens ; et le « mensonge véritable », qui consiste à plonger volontairement l’âme d’autrui dans l’erreur, et qui est toujours détestable.
Tous ces éléments se trouvent ici conjugués. Le mensonge moderne est bien une arme, volontairement maniée par des puissants contre les citoyens de toutes les sociétés occidentales, dont ils trahissent la confiance, afin d’asseoir sur eux leur emprise en empoisonnant leurs esprits. Leurs « flèches » sont tous les vecteurs de propagande, politiques, culturels ou médiatiques qui, par la manipulation, la novlangue ou la persécution directe, fichent dans les esprits et les mœurs le « venin » de la subversion et du mensonge.
Comme l’enjeu de la vérité et du mensonge se réfère toujours au jugement porté sur l’être des choses, clairement identifié ou volontairement dissimulé, il n’est pas surprenant que le venin du mensonge intoxique directement les « identités » des hommes eux-mêmes. L’identité, par définition, se réfère en effet à la réalité de ce que l’on est ; et de ce que l’on n’est pas. Il est donc logique que la subversion des « identités » soit, de fait, au cœur des mensonges collectifs actuels, pour porter un coup ultime à tout ce qui pourrait résister dans une humanité digne de ce nom.
Consciemment ou non, cet « Occident intoxiqué » ment premièrement sur lui-même. Si l’Occident historique a pu être l’objet de l’admiration évoquée par M. Breton, « l’Occident » contemporain n’en est qu’un travestissement. Il en usurpe le prestige pour se donner une autorité morale sur le monde dont il n’est pas digne, alors qu’il s’applique, tout au contraire, à renier et à ruiner avec acharnement tous les principes fondateurs de l’Occident historique, de l’individu à la société, en passant par la famille. Voilà pourquoi, en un autre lieu, il m’a paru plus convenable de l’appeler « l’Oxydant ».
II. Une fois ce mensonge identifié, qui s’applique en tous domaines, il s’agit de le combattre. Cependant, ce combat ne concerne pas seulement la question de savoir si l’on est bien ou mal informé, manipulé ou non, et si nos droits s’en trouvent menacés ; il concerne la survie de l’homme, rationnel et libre.
Cet enjeu, dont le « 1984 » d’Orwell présente une si puissante illustration, n’est pourtant pas toujours bien perçu dans son sérieux et sa gravité. Pourquoi ? Parce que beaucoup pensent et réagissent aujourd’hui, y compris dans leur révolte contre la manipulation dont ils sont l’objet, à partir des mêmes principes « intoxiqués », instillés en eux par l’éducation et les médias, qui commandent les mensonges dont ils sont les victimes. Mensonges sur eux-mêmes, sur leur dignité d’hommes, sur leurs droits, sur le sens de leur vie ou sur le sens d’une vie politique. S’ils s’élèvent contre le mondialisme, par exemple, c’est au nom d’un individualisme, d’un subjectivisme et d’un égoïsme qui sont en réalité des ressorts essentiels de ce mondialisme.
Ainsi, en puisant les ressources de leur révolte dans les principes qui les asservissent, ils ne font que resserrer les liens de cet emprisonnement, comme ces insectes pris dans une toile d’araignée qui, en s’agitant, se condamnent plus sûrement à la mort.
On ne peut pas se rebeller utilement contre cet asservissement sans couper, délibérément, avec les racines qui le nourrissent. Comment, par exemple, s’élever contre le wokisme si l’on est soi-même convaincu qu’il n’y a de vérité que dans sa propre opinion sur tout ? Lutter contre l’empire du mensonge n’est qu’un vœu pieux si l’on se ment déjà à soi-même en nourrissant dans sa vie les principes dont on condamne partout les effets ravageurs.
Les crises que nous traversons ont le mérite de mettre brutalement sous nos yeux ce dilemme qui, là encore, ne peut se résoudre que par le choix de la vérité : alimenter nous-mêmes le monstre en consentant à penser et à vivre comme il attend précisément que nous pensions et vivions, pour son propre profit, en « consommateurs » dociles de biens et de modes, matériels ou idéologiques ? Ou l’assécher en faisant choix de la vérité telle qu’elle est, non pas selon la construction et les caprices de nos opinions, mais selon la réalité objective des choses.
Quand un magistrat romain jugeait un homme, la première question qu’il lui posait était celle-ci : « Sous quelle loi vis-tu ? » C’est cette loi qui le jugeait. Si ma loi personnelle, celle qui gouverne par choix mes réflexions et ma vie, est celle du libéralisme, c’est-à-dire celle d’un individualisme qui n’a d’autre instance suprême que sa propre opinion, alors je n’ai aucun droit de me plaindre de vivre sous ce joug que j’ai choisi. Si je veux au contraire m’en libérer et qu’en soit libérée la société où je vis, alors je dois faire retour sur moi-même et interroger les principes que ce libéralisme cherche à détruire. À cet égard, beaucoup se trompent lorsqu’ils croient voir dans le christianisme, qui a forgé les principes de « l’Occident historique », un ennemi à redouter. En cela, ils se trompent de cible et se font les instruments involontaires de ceux qui cherchent leur propre mort. Des auteurs aussi peu suspects de catholicisme que Michel Onfray, Douglas Murray, Niall Fergusson ou Tom Holland ont au contraire, par l’étude de l’histoire, compris et soutiennent que la survie du christianisme, souvent trahi par ses propres clercs, est essentielle à celle d’un Occident authentique où la liberté et le droit puissent conserver un sens.
L’actualité nous donne d’ailleurs une leçon de choses. Pour s’affranchir du totalitarisme décadent de « l’Oxydant », que poursuit la Russie ? Non pas la haine de soi mais le retour à son identité. Que recherchent la Chine, ou l’Inde, ou l’Iran ? Être eux-mêmes. Que recherchent les pays d’Afrique ? Vivre et agir selon leurs identités respectives. Le salut de l’Occident authentique et sa guérison de l’intoxication libérale passent, eux aussi, par le retour à ses propres racines.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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