Il était prévu que la Finlande rejoigne l’Otan le 4 avril avec la Suède voisine, mais Stockholm a trébuché sur l’intransigeance de la Turquie. Plus tard, bien évidemment, la Suède rejoindra également l’Alliance. Cette expansion n’est pas la première (le nombre des membres de l’Otan a doublé depuis la guerre froide), mais elle est significative.
La ligne de contact directe entre la Russie et l’Alliance double en raison de la longueur de la frontière russo-finlandaise. Mais ce n’est pas le plus important. La Suède et la Finlande sont des exemples de pays qui, pour des raisons de principe, se tenaient à une politique de neutralité, ou, en utilisant un concept plus répandu ces dernières décennies, à une non-participation aux alliances.
L’histoire était différente, mais l’engagement envers la neutralité officielle et l’éloignement des alliances militaires restait ferme pendant des décennies (Finlande) et même des siècles (Suède). La position des deux pays était déterminée par leurs relations avec la Russie et la compréhension de la nature de leur propre sécurité à cet égard.
La neutralité suédoise résulte du démantèlement d’une grande puissance européenne au début du XIXe siècle. Dans le cas de la Finlande, un tel statut est lié aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Les relations compliquées entre la Finlande et l’URSS dans les années 1930 et 1940 sont bien connues, tout comme l’ingéniosité exceptionnelle du gouvernement finlandais. Il a accepté certaines restrictions sur sa liberté d’action – un statut neutre dans le sens militaire et en partie politique.
En échange, la Finlande a non seulement assuré sa souveraineté et préservé son système marchand et démocratique, mais a également établi des liens économiques spéciaux et extrêmement avantageux avec Moscou.
Entre la fin des années 1940 et le début des années 1990, les relations soviéto-finlandaises servaient de modèle pour un compromis fructueux entre les États avec des structures socio-politiques différentes.
La dislocation de l’URSS a mis fin à la période de relations spéciales, provoquant une crise économique profonde en Finlande au début des années 1990, mais permettant de se débarrasser des restrictions politiques. Le pays a cessé de se préoccuper de la réaction de Moscou et a rejoint l’Union européenne. La Russie elle-même cherchait à établir des relations spéciales (jusqu’à l’intégration) avec la « grande Europe », et la Finlande est devenue un partenaire naturel. La densité des interactions économiques et sociales atteinte dans la seconde moitié des années 2010 servait de modèle de coopération transfrontalière.
Le sujet de l’abandon de la politique de non-alignement était toujours présent en Finlande, tout comme le consensus socio-politique sur son caractère inopportun. Pendant 30 ans, l’idée d’une nouvelle confrontation militaire en Europe restait l’apanage des chevaliers les plus inflexibles de la guerre froide, et même l’expansion de l’Otan était présentée principalement non pas dans un sens militaire, mais plutôt politique et idéologique.
Le retour à la réalité de la guerre a secoué l’Europe. La Suède et la Finlande ont immédiatement décidé de renoncer au non-alignement pour rejoindre l’Otan, l’opinion publique a basculé. À noter qu’il y a eu peu de débats sur la question de savoir si le statut de neutralité était un moyen plus fiable d’assurer la sécurité nationale, l’adhésion à l’alliance militaire étant considérée comme la seule option. Pourtant, pendant longtemps, la non-participation était considérée comme l’approche la plus raisonnable. Pourquoi cette position a-t-elle changé si radicalement?
Plusieurs raisons à cela, mais l’une d’elles mérite d’être soulignée. Il existe un terme « sécuritisation », qui signifie attribuer un aspect de sécurité à tous les processus, économiques, culturels et sociaux. Actuellement, un processus inverse se produit. Le sujet de la sécurité classique acquiert une valeur substantielle. C’est-à-dire qu’appartenir à un certain groupe idéologique et éthique, opposé à d’autres, est considéré comme un moyen plus efficace de se protéger que de rester à l’écart des confrontations. Ce phénomène est plus psychologique que militaro-technique. Pour le dire simplement: le désir d’acquérir un sentiment de sécurité (appartenance à une communauté puissante) l’emporte sur les considérations pratiques d’éviter le danger (la perspective de devenir une cible ou un champ de bataille).
De là vient aussi le rejet de la neutralité en tant que nécessité de s’appuyer sur des garanties de la « mauvaise » partie: elle doit être reconnue par tous.
L’attitude actuelle envers la neutralité est le produit de deux concepts à la fois: la « longue paix » et la « fin de l’histoire ». Le premier, parce qu’il semblait que tous ces équilibres précaires et fusibles n’étaient tout simplement plus pertinents. Le second, parce que s’il est clair de quel côté se trouve la vérité historique (l’Occident), il n’y a pas lieu de flirter avec des représentants de la partie « condamnée ». Les deux concepts appartiennent désormais au passé. Une reconsidération est inévitable.
Fiodor Loukianov, journaliste et analyste politique
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca