par Brigitte Bouzonnie
Aujourd’hui, je souhaite parler d’un aspect peu connu du grand public, même pour les militants politiques que nous sommes (marxistes, Ex-LFI, PRCF, UPR) : celui des mensonges énormes, traversant l’histoire officielle de l’URSS : de la révolution d’Octobre au communisme soviétique, notamment la période Stalinienne. Le plus souvent mensonges produits sur initiative de la CIA et ce qu’on a appelé le « McCartysme », mot valise assez flou, exonérant de pointer les vrais coupables.
Pour mener à bien ce travail, on s’est appuyé sur l’excellente vidéo et conférence de l’historienne, Madame Annie Lacroix-Riz intitulée « Le livre noir de l’anticommunisme » à la Librairie des tropiques, 2014. Sur le livre récent intitulé : « Krouchtchev a menti » de Grégory Fur, aux éditions Delga, sur lequel bien sûr je reviendrai et vous parlerai lorsque je l‘aurai lu entièrement. Le très bon ouvrage rédigé par Patrick Pesnot, auteur et producteur du célèbre « Monsieur X » sur France Inter : « La face cachée des États-Unis », nouveau monde poche, 2014 : en particulier le chapitre consacré à Irving Brown, commis voyageur en propagande états-unienne, militant du « congrès de la liberté », financé par la CIA. À ce titre, il produit la revue « Preuves » financée par la CIA, que dénonçait Pierre Bourdieu et des conférences réunissant de nombreux intellectuels anti-communistes. Également, le livre de Eric Branca : « Le roman des damnés. Ces nazis au service des vainqueurs après 1945 », édition Perrin, 2019.
1. Commençons par le verbatim du début de la vidéo de Annie Lacroix-Riz sur la falsification de l’histoire soviétique : Il s’agit de montrer comment la révolution d’Octobre et la suite sont fabriquées, mais à un degré inimaginable, pour le commun des mortels. Tout un travail reste à faire sur les conditions de mise en œuvre de la falsification de l’histoire soviétique. Et de citer ses deux livres de référence : « L’histoire sous influence » (1984) et « L’histoire toujours sous influence » : 2012. Cela pose le problème des « historiens du consensus », dont le travail est rémunéré par la CIA. C’est clair que toute une opération politique a été mise en œuvre en ce sens. Et qu’on la connait mal. Il serait nécessaire de mieux connaitre les milieux dirigeants politiques, patronaux, et un certain nombre d’universitaires influents, tant aux États-Unis qu’en Europe.
Il y a un très bon auteur américain, dont les problèmes de diffusion montrent qu’il n’était pas en cour : Christopher Simpson, auteur de « Retour de Flammes », 1988. Il s’est intéressé à la « reconversion » des responsables nazis en 1945 par l’État profond américain. Il a également écrit sur les universités, l’Empire us, l’argent dans les sciences sociales. Comment les universitaires des universités américaines les plus prestigieuses ont été engagés et promus par la CIA. Comment leurs travaux ont eu beaucoup de succès. Comment la CIA a assuré la diffusion de leurs livres. L’université de Harvard a été associée à des programmes de « connaissance » sur l’Union soviétique, qui n’avaient pas toute la scientificité requise. Il s’agissait d’engager l’université dans une tâche générale, visant à mettre à terre l’Union soviétique. Comment l’université de Stanford a été associé dans un programme de contre insurrection : travail utilisé dans la répression des combattants vietnamiens, pendant la guerre du Vietnam.
Chez nous, il n’y a rien. Sigmund Diamond, progressiste américain, a montré la compromission des campus avec la Communauté du renseignement en 1945-1946. Ce livre n’est pas traduit. Hélène Schnecker a montré comment le McCartysme culturel était prêt dès 1939, avec une stratégie anti communiste aux États-Unis aussi délirante que chez nous. Par exemple, en se focalisant sur le pacte germano-soviétique, histoire de décaniller Staline. Elle a étudié la violence du McCartysme : comment les universitaires honnêtes, qui ne voulaient pas se faire corrompre, ont vu leur vie ruinée.
Dans une interview de la revue Génèses n°49, un universitaire américain aujourd’hui à la retraite raconte : « Je dois revenir sur cette période, qui m’a si profondément marqué, même si je n’étais pas communiste. Démobilisé en 1946, il était impensable de devenir communiste. Et il donne des exemples de personnes, qui ont perdu leur carrière aux États-Unis. Il fallait signer un serment à Berkeley et certains sont partis. Moi, j’étais tout jeune, et quand j’ai pris mon poste en 1948, j’ai dû signer un serment de loyauté (sic).
2. L’importance du rôle du nazi, Adolf Heusinger, dans la réécriture de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, notamment la guerre à l’Est. Résultat : un recueil de 34 000 pages de falsification de la Seconde Guerre mondiale.
Le programme de réécriture de l’histoire ne se réduit pas à la corruption du champ universitaire. Dans son excellent ouvrage intitulé : « Le roman des damnés, ces nazis au service des vainqueurs » (le plus souvent, les États-Unis), édition Perrin, 2019, l’historien gaulliste Eric Branca dresse un portrait rugueux de Adolf Heusinger, ex-proche de Hitler : ne l’a-t-il pas rencontré plus de 700 fois, notamment à la Tanière du Loup, résidence du Fuhrer ?! De plus, il est chargé des sombres massacres de masse à l’Est, « aux fins de sécuriser les arrières de la Wermacht » (sic). Ainsi, 5,5 millions d’Ukrainiens, dont 1,5 millions de juifs sont tués pendant la Seconde Guerre mondiale.
En mai 1945, il se rend aux Américains, en leur offrant sa superbe documentation sur l’Union soviétique. Surtout le volet puissance militaire de l’URSS. De façon incroyable, il évite le tribunal de Nuremberg et participe à « l’opérational history section » de l’armée américaine, soit un recueil de 34 000 pages de falsification de la Seconde Guerre mondiale. Sous le contrôle direct de Dwight Eisenhower, Heusinger, devenu chef d’état-major de l’US Army coordonne les travaux d’officiers nazis devenus « historiens ». Et qui racontent bien sûr les années 1939-1945, sous un angle qui leur est favorable. Dédouanant activement les cadres de la Wermacht. C’est à cette occasion que se forge la légende tenace entre une Wermacht « propre », par opposition à une SS « sale ».
Comme résume l’historien Jean Solchany, « les anciens officiers de la Wermacht parviennent à diffuser leur propre vision de l’Histoire. L’opération Barbarossa, avec ses tristes 27 millions de morts, côté soviétique, est présentée comme une simple « attaque préventive » (sic).
3. De son côté, l’étude récente rédigée par Grover Furr aux éditions Delga montre que le rapport Krouchtchev est un fake. Information majeure qui exige de repenser complètement l’histoire soviétique, l’histoire du socialisme.
Malgré toute l’importance de ce travail, le livre de Furr n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Dans son « Histoire de la CIA », édition de Poche, 2017, John Prados, écrivait déjà : « le rapport Krouchtchev est une invention de la CIA, notamment de James J. Angleton, l’un des patrons de la CIA. Son coup de maître » (sic). Et de raconter l’anecdote suivante : « Krouchtchev est invité au États-Unis en 1959. Il rencontre notamment Dulles, qui se vante de l’excellence des rapports de la CIA sur ce qui se passe en URSS. Krouchtchev lui répond : « Je crois que nous lisons les mêmes » » (sic).
Dans son « rapport secret » de février 1956, Nikita Khrouchtchev accuse Joseph Staline de crimes immenses. Le rapport porte un coup terrible au mouvement communiste international. Change le cours de l’histoire. Par exemple, on peut affirmer que Mitterrand ne serait jamais devenu président de la République en 1981, avec un parti communiste non délégitimé, démonétisé par le triste rapport Krouchtchev.
Aymeric Morville, éditeur des éditions Delga, écrit en quatrième de couverture : « Grover Furr a passé une décennie à étudier le flot de documents provenant des anciennes archives soviétiques et publiés depuis la fin de l’URSS. Dans cette étude approfondie du rapport Khrouchtchev, il révèle les résultats étonnants de son enquête : pas une seule des « révélations » de Khrouchtchev n’est exacte ! Le discours le plus influent du vingtième siècle – sinon de tous les temps – est une escroquerie.
En fondant leurs œuvres sur les mensonges de Khrouchtchev, les historiens soviétiques et occidentaux, notamment les trotskistes et les anticommunistes, ont véritablement falsifié l’histoire soviétique. Presque tout ce que nous croyions savoir sur les années Staline est à revoir. L’histoire de l’URSS et du mouvement communiste est à réécrire complètement.
« Khrouchtchev a menti » est un livre magnifique, un formidable travail de recherche et de raisonnement, clair et précis dans son écriture et palpitant dans ses découvertes et conclusions. En ce qu’elle revisite de vieilles sources et utilise le nouveau matériau des archives soviétiques, l’étude de Grover Furr exige de repenser complètement l’histoire soviétique, l’histoire du socialisme et même l’histoire mondiale du XXe siècle. Roger Keeran, professeur d’histoire à l’Empire State College de New York, co-auteur de Le Socialisme trahi : les causes de la chute de l’Union soviétique ;
4. La CIA joue aussi un rôle important dans la structuration et le développement de la gauche non communiste, comme le raconte Patrick Pesnot, producteur de Rendez-vous avec X sur France Inter, dans son ouvrage intitulé « La face cachée des États-Unis », nouveau monde poche, 2014. Il consacre un de ses chapitres à l’itinéraire de Irving Brown, agent de la CIA, syndicaliste. Pesnot montre comment la création de la Force Ouvrière en 1947 est une idée imaginée par Irving Brown, largement financée par la CIA.
Mais ce n’est pas tout. Irving Brown et Georges Albertini créent le « Congrès pour la liberté et pour la culture », réunissant des intellectuels non communistes. En juin 1950, à Berlin, se tient la conférence fondatrice. Le succès est impressionnant. Y participent Albert Camus, ex-journaliste à Combat, Pierre Frenay, ex-patron du groupe de résistance « Combat », le socialiste Léon Blum, Raymond Aron, les écrivains Jules Romains et André Gide.
On voit comment l’idéologie communiste est directement battue en brèche, violemment concurrencée par des intellectuels non communistes. Par exemple, Hannah Arendt et sa supposée « banalité du mal » nazi, bénéficie (grâce à la CIA, dont on reconnait le mode opératoire) d’une publicité mondiale, qui la rendait elle-même surprise de sa propre notoriété : comme le montre un document sonore entendu sur France Inter au cours d’une émission de Intelligence service consacrée à la philosophe (décembre 2022).
En conclusion, on ressent comme un tournis, un vertige, face à cette réalité historique fallacieuse, structurant notre connaissance du monde communiste. Tout reste à reconstruire idéologiquement parlant, avec notamment un Staline, qui sans être une blanche colombe, ne mérite pas tous les crimes, qu’on lui attribue, autrement que sur le papier du rapport Krouchtchev. Je me souviens d’un débat avec mon ami Jean-Pierre Combe, militant du Pôle pour la Renaissance du Communisme Français. Il me disait que « lorsque toutes les archives sortiront, on découvrira un Staline gris » (sic). Et ce sera déjà une immense avancée par rapport à l‘imaginaire actuel de chacune et de chacun dans la France 2023.
À ce stade, on ne peut que prendre la mesure des mensonges énormes, que l’on prend pour de la vérité historique depuis le lycée. Et au moins poser le problème de notre compréhension fallacieuse de l’URSS, notamment celui du rôle joué par les « intellectuels » dits de gauche, contribuant à la falsification de la réalité communiste… !
source : Les 7 du Québec
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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