par Ali Farid Belkadi
Il était une fois le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, France.
Sous l’étiquette : Muséum de Paris-HA-247 « Sorcière de Blida, offerte au MNHN par le Dr Caffe (1854), Algérie. »… est dissimulée la tête d’une Jolie petite fille algérienne âgée de 7 à 8 ans. Décapitée.
Cette dissimulation infâme d’une information à caractère scientifique, concerne un crâne de fillette, curieusement étiqueté « sorcière de Blida ». Aucun renseignement ni aucune archive sur cette enfant n’existe, si ce n’est le nom du donateur, le Dr Caffe, qui a contribué aux collections d’anthropologie physique du MNHN en 1854. Aucune identité de la fillette, sa filiation, la région en Algérie dont elle est originaire ont disparu, ne sont accessible dans la base de données du Muséum. Le crime parfait. Ce crâne se trouve toujours au MNHN, enfoui dans une armoire « scellée ».
Ils décapitaient aussi les fillettes
Au cours du mois de décembre 1845, la tête d’une autre enfant a été envoyée au Muséum de Paris, dans une barrique qui servait ordinairement à transporter du vin. On casa cette tête entre un fœtus de 6 à 7 mois et des portions de peaux qui trempaient dans du formol, prélevées sur plusieurs femmes algériennes. L’expéditeur de cette tête d’enfant rajouta à la fin de sa lettre : « je conserve encore dans l’alcool plusieurs têtes d’hommes et de femmes arabes »…
Deux enfants qui commençaient à peine à vivre.
À notre époque ces petits filles jouent à la poupée et vont à l’école la tête ornée d’une paire d’oreilles de lapin, en grignotant des biscuits qu’elles tiennent délicatement dans leur main.
Nous n’avons aucun renseignement ni aucune archive sur ces deux enfants. On ne pourra jamais les identifier. Toutes les informations concernant ces deux fillettes destinées à la postérité ont été soigneusement gommées.
Ce qui semble indiquer que ces deux cranes d’enfants n’appartenaient plus à aucun espace à aucun temps, réduits à l’état d’objets sans importance. De simples petites créatures privées de leur séculaire identité algérienne. Les Égyptiens pensaient que les morts ne pouvaient accéder à l’éternité que si leurs dépouilles étaient intégralement conservées.
Ethno-génocides
Ces deux petites filles et il y en a certainement d’autres, non répertoriées dans la base de données du MNHN, ont peut-être été décapitées à l’issue de quelque sanglante bataille, ou lors d’un massacre, un génocide comme il y en eut tant de 1830 à 1962 dans l’Algérie coloniale. Laghouat le 4 décembre 1852. Touggourt le 5 décembre 1854. Auparavant Bejaia en 1833. Annaba en 1832. Zaâtcha 16 juillet au 26 novembre 1849. La bataille de la crête d’Icheriden le 24 juin 1857, à laquelle participèrent Lalla Fatma N Soumeur et les Tolba-Debbouze qui se ligotaient fermement les uns aux autres pour ne pas fuir le champ de bataille. Ou peut-être plus simplement cette tête de fillette a-t-il été recueillie beaucoup plus simplement, lors d’un quelconque enfumage de grotte, une technique utilisée à plusieurs reprises par le corps expéditionnaire français durant les années 1844 et 1845.
Dans sa pièce « Antigone », Sophocle, (vers 441 avant J.-C.) se réclamant des décisions divines, évoque la loi qui interdit à Antigone d’accomplir les rites funéraires pour son frère Polynice, mort assassiné. Dans cette tragédie, qui se développe autour de la cérémonie mortuaire refusée par Créon, les morts se retrouvent retenus chez les vivants.
Au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, les restes mortuaires de plusieurs dizaines de résistants algériens à la colonisation, dont quatre vingt têtes décapitées à l’issue du siège de Zaatcha (Biskra) par le corps expéditionnaire français, découverts par moi, sont privés de rituels funéraires et de sépulture depuis le milieu du XIXe siècle.
Ces crânes sont entreposés pour la plupart dans des emballages qui ressemblent à s’y méprendre à de vulgaires boîtes à chaussures. L’argumentaire culturel ambigu avancé pour le maintien de ces restes au MNHN de Paris, allègue de la nécessité de garder ces crânes, afin de permettre à la science d’approfondir l’étude des groupements humains pour la postérité.
Certains savants se prévalent de la laïcité pour rejeter toute demande de restitution à caractère religieux. On aurait aimé entendre le Coryphée des scientifiques avant-gardistes, suggérer à ces Créon du XXIe siècle de lever les commandements infâmes qui ordonnent le maintien de ces restes mortuaires au MNHN de Paris.
Misanthropologie
Au MNHN, nous avons dénombré plusieurs centaines de restes humains, issus de collections datant de l’époque coloniale française. La plupart de ces restes ont souffert d’un manque d’entretien patent, du fait de leur rétention antérieure dans des lieux inappropriés en Algérie, tel le grenier du domicile de la famille du Dr Vital à Constantine. Cette famille collectionnait les têtes de prestigieux chefs de différentes insurrections algériennes. Aucun inventaire détaillé n’a jamais été établi de manière satisfaisante au MNHN de Paris. Des crânes ont disparu, tel celui d’Al-Hassen Bouziane, qui fut décapité le mardi 27 novembre 1849, à l’âge de 17 ans, en même temps que son père (crâne portant le N° 5941 du MNHN), et Moussa Al-Darkaoui (crâne portant le N° 5942 du MNHN).
C’est ainsi que le Dr Reboud qui s’affairait à clouer la caisse contenant les têtes de résistants algériens, avant leur l’envoi au Muséum de Paris, demanda à René-Honorin Vital : « s’il pouvait enrichir l’envoi de quelques crânes intéressants »…
René Vital répondit :
« Prenez donc tout ce que mon frère a laissé, vous y trouverez des têtes de gueux célèbres, et vous ferez le bonheur de mes servantes, qui n’osent monter au galetas, parce que l’une de ces têtes a conservé ses chairs fraîches, et que malgré la poudre de charbon dans laquelle elle est depuis de nombreuses années, elle répand une odeur sui generis… »
Issus de rapines celées
Les réserves des musées français sont encombrées de biens patrimoniaux soustraits aux ex-colonies. L’obélisque de Louxor, qui s’élève place de la Concorde, a été escamoté aux Égyptiens par le vice-roi d’Égypte Mehmet Ali, né en Grèce, de parents albanais, désigné le 18 juin 1805 par un gouvernement ottoman illégitime comme pacha d’Égypte. Des momies importées d’Égypte ont servi d’engrais pour fertiliser les campagnes françaises selon Philippe Pomar, anthropologue et professeur au CHU de Toulouse : « Au XIXe siècle, après l’expédition de Bonaparte en Égypte, les sarcophages ont été pillés pour leurs trésors. On a même transformé des momies en engrais, puis en combustible pour locomotive à vapeur. » (La Dépêche du Midi, 23/06/2008).
C’est ainsi que les ossements des résistants algériens à la colonisation, indûment conservés dans les réserves du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, sont considérés jusqu’à ce jour comme faisant partie du patrimoine culturel inaliénable, français.
Des savants de notre époque, encore imprégnés des dispositions ségrégationnistes des anthropologues du XIXe siècle, Armand de Quatrefages et Ernest Théodore Hamy, en ont décidé ainsi.
La présence de ces restes au M.N.H.N de Paris, est un outrage dilatoire à la dignité humaine, et l’une des expressions les plus abjectes de la domination coloniale.
Georges Cuvier
Les convictions scientifiques racistes au milieu du XIXe siècle, assignaient aux êtres humains des catégories ethniques et culturelles spécifiques. Selon les idéologues occidentaux de l’époque, le modèle blanc européen surpassait qualitativement les êtres humains des autres continents : « Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité », écrivait Cuvier dans un rapport adressé à l’Académie de médecine.
La légitimation de ce musée de « misanthropologie » qui amassait et accumulait impunément, au cours du XIXe siècle, les restes de cadavres et de dépouilles profanées par la science, fut initiée en France par le même Georges Cuvier, qui dépeça Saartjie Baartman, surnommée « la Vénus Hottentote ».
Décédé à Paris le 13 mai 1832, Cuvier sera très chrétiennement inhumé à la division 8, du cimetière du Père-Lachaise.
Georges Cuvier, qui fut anatomiste et professeur-administrateur du Muséum de Paris, demandera à J. Polignac d’encourager les officiers de l’armée d’Afrique à « s’intéresser aux productions naturelles du pays » et de « procurer au Jardin du roi les animaux vivants qui lui font défaut ».
Cette demande insistante, appuyée par le ministre de l’intérieur, est adressée à Polignac le 23 juillet 1830 qui finira par donner son aval.
La chasse aux têtes algériennes
C’est ainsi que la chasse aux têtes algériennes débuta de l’autre coté de la Méditerranée.
Cuvier donne ainsi le coup d’envoi à la collecte de vestiges humains pour le Muséum.
Sur son lit de mort, il désignera Pierre Flourens comme successeur au poste de secrétaire général perpétuel de l’Académie des sciences. Flourens est connu en particulier, pour sa collection de restes humains originaires d’Algérie, dont il s’enorgueillissait par lettres (voir annexes).
Georges Cuvier dira, en parlant des Africains de race noire : « (c’est) la plus dégradée des races humaines, dont les formes s’approchent le plus de la brute, et dont l’intelligence ne s’est élevée nulle part au point d’arriver à un gouvernement régulier » (George Cuvier, « Recherches sur les ossements fossiles », Vol. 1, Deterville, Paris, 1812, p.105).
À propos de Saartjie Baartman, surnommée la Vénus Hottentote, qu’il disséquera lui-même, Cuvier écrit : « Notre Bochimane a le museau plus saillant encore que le nègre, la face plus élargie que le calmouque, et les os du nez plus plats que l’un et l’autre. À ce dernier égard, surtout, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne » (« Mémoires du Muséum d’histoire naturelle », Volume 3, Belin, Paris, 1817, p.273).
Les collectionneurs
Une galerie sera dédiée dès 1855 aux collections anthropologiques, elle comprenait à ses débuts, quelques crânes préhistoriques épars.
Au fil du temps, cette collection s’enrichira de plusieurs dizaines de milliers d’ossements humains. Jusqu’aux collections Vital, Caffe, Fuzier, Mondot, Guyon, Flourens, Hagenmüller et Weisgerber dans lesquelles sont rassemblés les ossements d’une quarantaine de résistants algériens à la colonisation, qui furent décapités vers le milieu du XIXe siècle par l’armée coloniale et leurs alliés indigènes.
La posture rudimentaire des responsables des musées face au problème de la restitution des restes mortuaires à leur pays d’origine est préoccupante. L’ancienne ministre de la culture française, Albanel, qui est pourtant issue d’un Cours catholique, s’est farouchement opposée au retour des têtes maories dans leur pays d’origine. Entre autres évènements culturels , elle a organisé une exposition de robes de mariées de Christian Lacroix dans la chapelle royale du Musée de Versailles, un acte qui exprime le niveau éminemment culturel de l’intéressée.
En octobre 2007, elle s’oppose à la restitution d’une tête de guerrier maori tatouée, formulée depuis 1992 par le musée national néozélandais Te Papa Tongarewa. Celle-ci est conservée par le Muséum d’histoire naturelle de Rouen. Le conseil municipal de la ville de Rouen, vote la restitution de la tête maorie. La ministre de la Culture fait annuler la décision par le tribunal administratif de Rouen, le 27 décembre 2007.
Les partisans de la restitution, jugent que ces fragments de corps humains, doivent être restitués à leur communauté d’origine au nom de la loi sur la bioéthique de 1994. Alors que la ministre, « en vertu de l’article 11 de la loi du 4 janvier 2002 sur les musées de France, juge qu’il s’agit de pièces de collections publiques, en l’occurrence anthropologiques, qui à ce titre sont inaliénables à défaut d’une procédure préalable de déclassement (ou d’une loi spéciale) ».
Au nom des lumières
Les restes humains sont utilisés depuis l’avènement des Lumières, afin d’étudier la façon dont les espèces sont apparues et se sont adaptées à la vie terrestre.
Emmanuel Kant définit à sa façon cette époque : « Les Lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre ».
Ce terme « Lumières », désigne un mouvement culturel et philosophique né en Écosse, qui finira par se répandre à l’Europe. Il s’élargit à la France, au cours du XVIIIe siècle. Celle-ci finira par monopoliser le concept philosophique.
Les membres de ce mouvement qui ont procédé au renouvellement du savoir en Occident, s’opposaient en premier lieu à l’église chrétienne, porteuse selon eux, d’obscurantisme et de superstition. La laïcité fera le reste.
On aura compris que la foi et la croyance n’ont pas droit de cité dans la doctrine de ce mouvement. Cela réaffirme rétrospectivement l’absence de toute perception ou sentiment religieux, dans le traitement des ossements humains conservés dans les musées. Les ossements remontant à la préhistoire, ceux appartenant au domaine de l’égyptologie ainsi que ceux issus de périodes lointaines de l’humanité, sont naturellement exclus de notre réflexion. Cet engouement pour les crânes humains, au nom de la science – alors qu’ils ne sont d’aucune utilité reconnue par les savants eux-mêmes, en particulier depuis l’avènement des recherches ADN – semble relever de pratiques anthropophages anciennes, gauloises, qui ont été rapportées par les historiens latins ou grecs depuis la haute antiquité.
Mais çà c’est une autre histoire.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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