par Chems Eddine Chitour
« Nullum crimen, nulla poena sine lege. » (Il ne peut y avoir ni infraction ni peine sans loi) (Cesare Beccaria, avocat, XVIIIe siècle)
« I want to see George Bush in prison. » (Je souhaite que George Bush aille en prison) (Montadher al-Zaidi, le lanceur de chaussures sur le président Bush)
Résumé
L’Irak a marqué, lundi, dans la plus grande discrétion, les vingt ans de l’invasion américaine et la chute de Saddam Hussein, ayant déclenché une succession de conflits sanglants. Les Irakiens célèbrent ainsi le 20ème anniversaire de l’horrible bombardement américano-britannique de Bagdad, surnommé « Shock and Awe ». En succession rapide, les « forces de la coalition » ont largué 3000 bombes, dont beaucoup pesaient 2000 livres, sur Bagdad dans ce que le New York Times a appelé « une puissance presque biblique ».
La guerre du Golfe a commencé le 20 mars 2003 avec l’invasion de l’Irak (dite « opération Iraqi Freedom ») par la coalition menée par les États-Unis contre le parti Baas de Saddam Hussein et s’est terminée le 18 décembre 2011 avec le retrait des dernières troupes américaines. L’invasion a conduit à la défaite rapide de l’armée irakienne, à la capture et l’exécution de Saddam Hussein et à la mise en place d’un nouveau gouvernement.
Vingt ans se sont écoulés depuis. Malgré un semblant de normalité, les Irakiens craignent pour leur avenir et pointent l’échec de la reconstruction d’un État gangréné par la corruption. L’invasion a eu lieu alors que les gouvernements américain et britannique savaient qu’il n’y avait pas de preuves. Sans accord des Nations unies, une opération militaire illégale a pris pour cible le peuple irakien ouvrant la marche au chaos de longue lutte contre les mouvements d’insurrection. Ceci mérite de faire l’inventaire de cette tragédie durant laquelle 2,4 millions de personnes ont perdu la vie. La Cour pénale internationale aux ordres ne leur a pas rendu justice en jugeant les coupables, préférant se lancer dans une accusation honteuse de crimes du président Poutine, coupable de sauver des enfants…
Une guerre déclenchée pour le pétrole et sur des mensonges
On sait que les États Unis voulaient s’assurer des sources de pétrole pérenne au Moyen-Orient. Après l’aventure de l’invasion du Koweit, en 1990 par Saddam Hussein qui se croyait à tort autorisé à le faire, ce fut après la coalition dirigé par le président Bush Senior qui a bouté rapidement les troupes hors d’Irak le long calvaire du « Pétrole contre nourriture » avec la clé 500 000 morts de malnutrition et d’absence de soin avec ce jugement sans appel de Madeleine Albright : Ce n’est pas cher, si c’st le prix à payer pour faire partir Sadam Hussein !
Pour l’histoire, des personnalités américaines étaient contre la guerre. « Ce 2 octobre 2002, écrit Denis Kucinich, membre du Parti démocrate, le jour où la loi sur l’Irak fut introduite, j’avais envoyé et distribué personnellement un mémo à mes collègues du Congrès réfutant, point par point, les allégations fournies par l’Administration Bush pour aller en guerre. Il était prouvé, à cette époque déjà, que l’Irak ne possédait pas d’armes de destruction massive, qu’il n’avait aucun lien avec le 11 septembre et qu’il n’était pas non plus une menace pour les États-Unis. Quiconque s’y intéressait pouvait obtenir les mêmes informations que celles que j’avais. Il y a dix ans, le Congrès a voté pour entrer en guerre contre un pays qui ne nous avait pas attaqués. Des milliers d’Américains et peut-être un million d’Irakiens ont été sacrifiés pour ces mensonges. Dix ans plus tard, alors que des milliards de milliards de dollars se sont envolés, le peuple américain, dans son ensemble, ignore toujours ce qui s’est passé. Il est temps d’ouvrir une ère de vérité et de réconciliation ».
20 mensonges sur la guerre en Irak ont été recensés. Parmi les plus importants, citons : L’Irak était responsable des attentats du 11 septembre. L’Irak et al-Qaïda travaillaient ensemble. L’Irak a conservé jusqu’à 20 missiles pouvant transporter des ogives chimiques ou biologiques. Saddam Hussein avait les moyens de développer la variole. L’Irak pourrait déployer ses armes de destruction massive en 45 minutes. Mieux encore, le pétrole irakien a servi à payer la guerre de 1990. La Grande-Bretagne a coparrainé une résolution du Conseil de sécurité qui a donné aux États-Unis et au Royaume-Uni le contrôle des revenus pétroliers de l’Irak. La résolution continue de faire des déductions sur les revenus pétroliers de l’Irak pour payer en compensation de l’invasion du Koweït en 1990.
Les responsables du chaos irakien amnésiques
Après 20 ans, l’Irak peine à se rétablir. La présence continue de l’armée américaine dans le pays n’a fait que causer davantage de souffrances et de difficultés aux Irakiens. Si nous devons ne pas oublier nous devons citer le massacre d’El Amiriya. Le journaliste Jacques-Marie Bourget, bien connu pour ses positions humanistes, écrit : « Le 13 févier 1991, j’étais à Bagdad quand un bombardier furtif américain – en opération humanitaire – a largué une bombe – forcément démocratique – sur un abri du quartier d’Amiriya. À l’intérieur, plus de 400 femmes et enfants sont morts. Et il a été difficile de faire le compte exact de corps brûlés et broyés. Puisque le pilote n’était pas un barbare, mais un soldat du bien semant les graines d’un meilleur avenir, personne n’a imaginé traduire ce criminel contre l’humanité devant un tribunal. Une Cour pénale internationale quelconque. Quelque temps plus tard, Madeleine Albright, secrétaire d’État des USA, dira, un sourire de vipère accroché aux lèvres, qu’« en Irak, 500 000 enfants morts valaient bien le prix de la démocratie » ! Avoir vécu les moments de ces infamies m’a définitivement éloigné d’un droit-de-l’hommisme qui n’est qu’une Arme de Destruction Massive où le poison des mots remplace la poudre ».
Si nous devons résumer aussi la tragédie irakienne, nous citerons l’honneur de deux personnages, Hans Blix, ancien inspecteur des Nations unies, qui s’est opposé de toutes ses forces aux intimidations américaines visant à lui faire dire que Saddam avait des ADM, « A Farewell to Wars » (Un adieu aux guerres), il est le seul protagoniste « propre » et qui a fait honneur aux Nations unies. Enfin, le journaliste irakien Montadher al-Zaidi qui, en décembre 2008, a lancé ses chaussures sur George W. Bush lors d’une conférence de presse à Bagdad. « C’est un baiser d’adieu du peuple irakien, espèce de chien », a crié M. al-Zaidi. Il dira en 2020 : « I want to see George Bush in prison » (Je souhaite que George Bush aille en prison).
Le bilan à 2013 d’un Irak en miettes
En janvier 2012, Iraq Body Count, qui fonde son analyse sur des données publiées dans les médias, estime que 105 052 à 114 731 civils irakiens sont morts dans les violences, constituées essentiellement d’attentats, et au moins 250 000 civils irakiens auraient été blessés auxquels il faut ajouter 4488 morts et 32 230 blessés dans les rangs américains (4806 morts pour l’ensemble des troupes de la coalition et plus de 36 000 blessés). La revue scientifique The Lancet a, dans une seconde étude publiée le 11 octobre 2006, estimé que le nombre de morts liés à la guerre était situé entre 426 369 et 793 663, tandis que l’institut britannique indépendant ORB a estimé le 28 janvier 2008, sur la base d’une étude épidémiologique, que le nombre de morts était compris entre 733 158 et 1 446 063. La guerre a provoqué l’exode d’au moins deux millions d’Irakiens, réfugiés à l’étranger depuis 2003 (principalement en Syrie et en Jordanie, mais également en Europe et aux États-Unis). L’organisation National Priorities Project estime à plus de 810 milliards de dollars le coût de la guerre.
« De mars 2003, date de l’invasion américaine en Irak, au départ fin 2011 des derniers GI’s, 162 000 personnes ont été tuées dans le pays, selon un bilan établi par IBC en croisant ses propres statistiques (consacrées aux civils) avec celles des autorités irakiennes, les pertes américaines ainsi que des données révélées par le site WikiLeaks (Iraq War Logs). IBC indique que WikiLeaks a ainsi révélé l’existence de milliers de décès de civils dont elle n’avait pas eu connaissance au moment des faits ».[4]
Le bilan récent de la guerre en Irak
Combien de millions de personnes ont été tuées dans les guerres américaines après le 11 septembre ? Nicolas JS Davies rapporte une étude fine basée sur une recherche importante avec des institutions crédibles comme le Lancet. Le verdict est terrifiant. Lisons quelques extraits : « En commémoration du 20ème anniversaire de l’invasion de l’Irak, nous republions cet article publié pour la première fois en mars 2018. Combien de personnes ont été tuées dans les guerres américaines après le 11 septembre ? J’ai fait des recherches et écrit sur cette question peu de temps après que les États-Unis ont lancé ces guerres, qu’ils ont tenté de justifier comme une réponse aux crimes terroristes qui ont tué 2 996 personnes aux États-Unis le 11 septembre 2001 ».
«The Iraq Death Toll 15 Years After the US Invasion », que j’ai co-écrit avec Medea Benjamin, estime le nombre de morts en Irak aussi précisément et honnêtement que possible en mars 2018. « Notre estimation est qu’environ 2,4 millions de personnes ont probablement été tuées en Irak à la suite de l’acte d’agression historique commis par les États-Unis et le Royaume-Uni en 2003. (…) Certains ont fait valoir qu’il n’est pas important de savoir si nos guerres ont tué des dizaines de milliers de personnes ou des millions, car tous les décès à la guerre sont une perte tragique de vies humaines et nous devrions simplement les pleurer, au lieu d’ergoter sur les chiffres. Mais comme l’ont noté les auteurs de Body Count, les chiffres relayés par les médias devraient en eux-mêmes être suffisamment terrifiants… Mais apparemment, ils sont toujours perçus comme tolérables et, de surcroît, faciles à expliquer compte tenu de l’image d’une violence religieuse excessive. Cependant, le chiffre de 655 000 morts au cours des trois premières années de guerre indique clairement un crime contre l’humanité proche du génocide ».[5]
« Depuis 2011, une toute nouvelle phase de la guerre a eu lieu. Il y a eu un printemps arabe en Irak en 2011, mais il a été impitoyablement réprimé, poussant Fallujah et d’autres villes une fois de plus dans une rébellion ouverte. Plusieurs grandes villes sont tombées aux mains de l’État islamique en 2014, ont été assiégées par les forces gouvernementales irakiennes, puis en grande partie détruites par des bombardements aériens dirigés par les États-Unis et des tirs de roquettes et d’artillerie américains, irakiens et alliés. Iraq Body Count et la Mission d’assistance des Nations unies en Irak ont recueilli des informations passives sur des dizaines de milliers de civils tués au cours de cette phase de la guerre. L’ancien ministre irakien des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, a déclaré à Patrick Cockburn du journal britannique Independent que les rapports des services de renseignement kurdes irakiens estimaient qu’au moins 40 000 civils avaient été tués dans le seul bombardement de Mossoul ».[5]
« Un récent projet d’enlèvement des décombres et de récupération des corps dans un seul quartier de Mossoul a révélé 3353 autres corps, dont 20% semblaient être des combattants de l’EI et 80% des civils. 11 000 autres personnes sont toujours portées disparues par leurs familles à Mossoul. Cela ne peut pas être aussi précis qu’une nouvelle étude complète sur la mortalité. Mais, à mon avis, c’est l’estimation la plus précise que nous puissions faire sur la base de ce que nous savons. Cela nous donne une estimation de 2,38 millions d’Irakiens tués depuis 2003, à la suite de l’invasion criminelle américaine et britannique de l’Irak. Nous pouvons estimer que le nombre d’Irakiens tués en tant que conséquence de l’invasion illégale de leur pays doit se situer entre 1,5 million et 3,4 millions. (…) »[5]
À quand une CPI honnête pour les crimes imprescriptibles en Irak ?
« Bien qu’ils aient lancé une guerre d’agression illégale et commis des crimes de guerre en Irak, 20 ans plus tard, les dirigeants des États-Unis et du Royaume-Uni n’ont jamais été tenus pour responsables. En revanche, la Cour pénale internationale (CPI) a déjà accusé le président russe Vladimir Poutine de crimes de guerre un an seulement après son invasion illégale de l’Ukraine. Il est le premier dirigeant non africain à être inculpé par la CPI, qui succombe fréquemment aux pressions des États-Unis. Dans ce qu’on a appelé « l’opération Iraqi Freedom », 173 000 soldats des États-Unis et du Royaume-Uni ont envahi l’Irak. Au cours de la guerre de huit ans, environ 300 000 Irakiens et 4 600 Américains ont été tués. Les États-Unis ont dépensé 815 milliards de dollars pour la guerre, sans compter les coûts indirects. Elle a plongé le pays dans une guerre civile et des millions de réfugiés irakiens restent déplacés. Deux décennies plus tard, aucun des responsables n’a été traduit en justice ».
« Des sources au sein de son administration ont confirmé que George W. Bush prévoyait d’envahir l’Irak et d’exécuter un changement de régime bien avant les attentats terroristes du 11 septembre 2001. (…) L’attaque contre l’Irak ne remplissait aucune de ces conditions et était donc un acte d’agression. Tout comme le président Lyndon B. Johnson a utilisé l’incident fabriqué du golfe du Tonkin comme prétexte pour intensifier la guerre du Vietnam, Bush s’est appuyé sur des armes mythiques de destruction massive et sur un lien inexistant entre le président irakien Saddam Hussein et les attentats du 11 septembre pour justifier sa guerre contre Irak. Bush, le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice ont faussement averti que l’Irak possédait des armes de destruction massive (ADM) et Rice a invoqué l’image d’un « champignon atomique » pour justifier l’invasion imminente de l’Irak. Le secrétaire d’État Colin Powell a honteusement présenté de fausses informations sur l’Irak possédant des ADM au Conseil de sécurité de l’ONU en février 2003 ».[6]
Crimes de guerre commis par l’Administration Bush
« Les forces américaines ont commis de nombreux autres crimes de guerre en Irak, notamment des exécutions extrajudiciaires, la torture et le ciblage de civils, qui sont interdits par les Conventions de Genève ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La torture et les abus perpétrés à la prison d’Abu Ghraib en Irak comprenaient l’empilement de prisonniers nus les uns sur les autres ; photographier des prisonniers placés de force dans des positions sexuellement explicites ; garder les prisonniers nus pendant des jours ; forcer les prisonniers de sexe masculin à porter des sous-vêtements féminins ; utiliser des chiens qui grognent ; frapper, gifler et donner des coups de pied aux prisonniers ; et sodomiser un prisonnier avec une lampe chimique et un manche à balai. La zone de tir libre la plus notoire se trouvait à Fallujah ».[6]
« En avril 2004, les forces américaines ont attaqué le village et tué 736 personnes, dont au moins 60% étaient des femmes et des enfants. Lors d’une autre attaque en novembre suivant, les troupes américaines ont tué entre 581 et 670 civils à Fallujah. En mai dernier, George W. Bush a accidentellement admis que sa décision d’envahir l’Irak était injustifiée. S’adressant à une foule au Bush Presidential Center à Dallas, Bush a dénoncé « la décision d’un homme de lancer une invasion totalement injustifiée et brutale de l’Irak. Je veux dire, l’Ukraine ». Il a ensuite ajouté dans sa barbe : « L’Irak aussi » ».[6]
Les pays musulmans ont jugé les États-Unis et le Royaume-Uni
Une tentative a été faite pour faire appliquer le droit et actionner la Cours pénale internationale. À l’initiative de la Malaisie en mai 2012 à Kuala Lampur, des pays musulmans et arabe ont traduit en justice Tony Blair et George Bush. Richard Falk professeur émérite de droit international à l’Université de Princeton a rapporté les débats : « À Kuala Lumpur, après deux ans d’enquête par la Commission des crimes de guerre de Kuala Lumpur (KLWCC), un tribunal composé de cinq juges ayant une formation judiciaire et universitaire a rendu un verdict unanime qui a trouvé George W Bush et Tony Blair coupables de crimes contre la paix, de crimes contre l’humanité et de génocide en raison de leur rôle dans la guerre en Irak. La procédure s’est déroulée sur une période de quatre jours, du 19 au 22 novembre, et a permis à l’avocat de la défense nommé par le tribunal de présenter au tribunal des arguments et des preuves au nom des accusés absents. Ils avaient été invités à présenter leur propre défense ou à envoyer un représentant, mais ont refusé de le faire. Le KLWCT a ajouté à son verdict deux « ordonnances » 1) Signaler les conclusions de culpabilité des deux anciens chefs d’État accusés à la Cour pénale internationale Tribunal de La Haye ; et 2) Inscrire les noms de Bush et Blair dans le registre des criminels de guerre tenu par le KLWCC ».
On rapporte aussi que lord Ahmed Nazir de la Chambre des lords aurait déclaré en avril 2012 : « Je suis prêt à lever 10 millions de livres, même si je dois mendier, pour faire en sorte que George Bush et Tony Blair soient traduits en justice pour leurs crimes de guerre en Irak et en Afghanistan ».
Une Cour pénale du « deux poids deux mesures » au service de l’Occident
La CPI qui a été rendue destinataire des conclusions du jugement de Kuala Lampur l’a ignoré. Devant le silence de cathédrale observé en Occident Deux professeurs ont voulu sauver l’honneur de la Justice. Ainsi Serge Sur et Julian Fernandez, professeurs de droit public déclarent qu’au nom du droit les incriminés devront répondre de leurs actes : « Il faut traduire George W. Bush et Tony Blair devant la Cour pénale internationale. Les incriminer pour les crimes commis en Irak et en Afghanistan montrera que la justice internationale n’est pas réservée qu’aux faibles, estiment les professeurs de droit public Serge Sur et Julian Fernandez ».
« L’étau se resserre-t-il autour des deux anciens dirigeants américain et britannique ? Le rapport Chilcot, récemment sorti au Royaume-Uni, comme le rapport Feinstein, paru il y a un peu plus d’un an aux États-Unis, soulignent de nouveau les crimes commis en Irak ou en Afghanistan au cours d’interventions militaires discutables dans leurs fondements ou dans leurs déroulements. En l’absence de procédures nationales, la Cour pénale internationale (CPI), instituée par le statut de Rome (1998), a ici l’occasion de démontrer que la justice pénale internationale n’est plus réservée aux vaincus et aux faibles. Elle peut en effet enquêter et poursuivre les responsables de crimes de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre dès lors qu’ils sont commis sur le territoire d’États parties ou lorsque les personnes accusées sont des ressortissants d’États parties à son statut. Ajoutons que dans les deux cas, le temps ne fait rien à l’affaire, puisque les crimes en cause sont imprescriptibles ».[8]
Une CPI sans honneur au service d’un Occident sûr de lui et dominateur
On l’aura compris la CPI était aux abonnés absents s’agissant de juger en son âme et conscience des crimes contre l’humanité, avérés. L’outrecuidance n’ayant pas de limite et contre toute morale, l’Occident actionne la Cour pénale internationale pour juger le président Poutine, coupable de ne pas rentrer dans le rang ! Luigi Copertino rapporte : « La Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine pour crimes de guerre. Ceux-ci auraient consisté en le transfert illégal vers la Russie d’enfants ukrainiens. Des enfants qui, selon la Cour, se trouvaient bien dans la zone de guerre mais étaient « protégés » par la Convention de Genève qui rendait leur transfert et leur adoption impossibles. (…) Porochenko, lors d’un discours à Odessa il y a des années, avant la guerre actuelle, comparant les perspectives des Ukrainiens à celles des habitants du Donbass, avait promis : « Nos enfants iront dans des écoles et des jardins d’enfants, tandis que les leurs seront terrés dans des caves ». Une promesse tenue, comme le prouve le rapport de l’Église orthodoxe de Turin disponible sur ce lien ».
« Lisez ou relisez Le Nomos de la Terre de Carl Schmitt : les droits de l’Homme et le droit humanitaire ne sont que le paravent de rapports de force politiques et un outil au service de l’idéologie mondialiste occidentale. L’initiative de la Cour pénale internationale démontre une fois de plus, s’il en était encore besoin, l’instrumentalisation des juridictions internationales au service de la puissance hégémonique de l’Occident à dominante américaine. Par ailleurs, la Cour de La Haye n’est pas reconnue par la Russie, mais pas non plus par les États-Unis, elle n’a donc aucune compétence mondiale et sa prétention à en avoir une n’est qu’une manifestation de l’imposture des Lumières mentionnée plus haut. Nous n’avons pas connaissance, en effet, que des mandats d’arrêt aient été émis par la Cour de La Haye contre George W. Bush ou Barack Obama pour les crimes américains en Irak, en Afghanistan, au Yémen, en Serbie, en Syrie, en Libye ou contre Harry Truman pour les deux bombes atomiques sur le Japon en 1945. (…) L’incapacité aveugle de l’Occident à comprendre que le monde n’est pas à sa mesure, que d’autres peuples ont des philosophies de vie différentes. Si l’Occident veut la guerre avec la Russie et le reste du monde, il est certainement sur la bonne voie. Mais cette fois-ci, il pourrait faire un faux pas ».[9]
Des développements géopolitiques récurrents
Ce changement dans la gestion du monde commence à être visible. L’Occident veut continuer à dicter la norme du bien et du mal. Même les vassaux de l’Empire commencent à comprendre que leur suzerain les traite comme quantité négligeable. Ainsi, comme l’écrit Bruno Bertez : « Au cours des 30 dernières années, les États-Unis ont considéré le Moyen-Orient comme leur arrière-cour. Il y a vingt ans, ils ont illégalement envahi l’Irak et causé des centaines de milliers de morts et des décennies de chaos. Maintenant, la Chine, par des moyens pacifiques, a changé l’équilibre au Moyen-Orient en un mois seulement ».[8]
« Au cours du mois dernier, nous avons assisté à des développements géopolitiques étonnants. En février, la Chine a publiquement fustigé l’hégémonie américaine, lancé une initiative de sécurité mondiale et proposé un plan de paix pour l’Ukraine ».
« Le 10 mars, la Chine a négocié un accord qui a rétabli les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Le 15 mars, Moscou a déroulé le tapis rouge au président syrien Bachar al-Assad. Hier, al-Assad et sa femme Asma sont arrivés aux Émirats arabes unis pour des entretiens avec le cheikh Mohammed. Hier également (20/3), l’Iran et l’Irak ont signé un accord de coopération en matière de sécurité qui mettra fin aux activités kurdes parrainées par la CIA contre l’Iran »[10]
« Le président chinois Xi est arrivé à Moscou pour trois jours de pourparlers avec le président russe Poutine. Les États-Unis craignent que l’initiative de paix de la Chine pour l’Ukraine ne gagne du terrain. Il s’est ouvertement prononcé contre un cessez-le-feu et des pourparlers de paix. J’avais pensé que c’était à l’Ukraine de décider ».[10]
La Pax Americana a vécu
Le monde commence à fonctionner sans la « nation indispensable ». Ainsi, comme l’écrit Pepe Escobar : « À Moscou, cette semaine (20/3), les dirigeants chinois et russe ont révélé leur engagement commun à redéfinir l’ordre mondial, une entreprise qui n’a « pas été vue depuis 100 ans ». Ce qui vient de se passer à Moscou n’est rien de moins qu’un nouveau Yalta, qui, soit dit en passant, se trouve en Crimée. Mais contrairement à la rencontre capitale en Crimée, en 1945, c’est la première fois depuis sans doute cinq siècles qu’aucun dirigeant politique de l’Occident ne fixe l’ordre du jour mondial. Ce sont les présidents chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine qui dirigent désormais le spectacle multilatéral et multipolaire. (…) Si notre monde échappe à une guerre nucléaire à court terme, il sera permis de rêver d’une ère nouvelle pour toute l’humanité ; une rupture avec 5 siècles de domination occidentale débridée, qui ont compté plus de malheurs que de bonheur, pour la plupart des peuples du monde… »
85% de la population mondiale ne croient plus au magister de l’Occident
Pour avoir une idée du découplage reste du monde Occident, lisons cette analyse du Dr Peter F. Mayer : « Bloomberg est l’un des porte-parole du capital financier américain et occidental. En tant que tel, il définit la direction et diffuse le récit. (…) Mais il y a aussi des appels ponctuels au réalisme, en dehors de ce que l’on voudrait se faire croire. Sous le titre « L’Occident ne peut pas se permettre l’orgueil de la guerre russe en Ukraine », il y a quelques réflexions sur ce à quoi ressemble le monde en dehors de sa propre bulle de propagande. Mais bien sûr, tout simplement pour gagner la guerre et promouvoir leur propre ordre mondial fasciste ». Par conséquent, la ligne est spécifiée en premier : « Les nations occidentales pourraient faire mieux en matière de politique étrangère si nous nous efforcions davantage de comprendre pourquoi beaucoup ne soutiennent pas notre campagne pour la liberté de l’Ukraine ».
De plus, les pays du Sud ne veulent pas que les États-Unis dominent à nouveau la planète, car nous avons déjà vécu cela auparavant et ce n’est pas agréable. « La plupart des gens sur la planète veulent vivre dans un monde multipolaire qui ne soit pas dominé par les États-Unis, la Russie ou la Chine ». C’est pourquoi de nombreux pays n’appliquent pas de sanctions contre l’Ukraine. « De nombreux pays du Sud qui ont encore des souvenirs de l’Occident autrefois dominant savent que si l’Occident bat complètement la Russie, il redeviendra arrogant et intolérable », pense Kishore Mahbubani, ancien président du Conseil de sécurité de l’ONU. « Un rapide coup d’œil à la carte des guerres d’agression, des bombardements, des coups d’État et autres interventions ne montre que trop clairement comment les impérialistes américains ont réussi à retourner le monde contre eux. Au moins 20 millions de morts grâce aux guerres américaines et aux interventions dans 37 pays seulement depuis 1945 et probablement 10 fois plus de blessés montrent clairement pourquoi les États-Unis, mais aussi les puissances coloniales européennes, ne sont pas très populaires ».[12]
Une étude britannique prédit une ère post-occidentale
Dans le même ordre, de l’avènement inéluctable d’un Nouvel ordre multipolaire plus juste, citons cette étude récente de l’ECFR (European Council on Foreign Relations). Nous lisons : « Un réalignement géopolitique est en cours, qui accélère le démantèlement de la domination mondiale des États-Unis. Même les groupes de réflexion occidentaux ont commencé à se pencher sur cette question sensible, comme le montre une étude récente intitulée « United West, divided from the rest » (L’Occident uni, séparé du reste). « Alors que la plupart des Européens et des Américains vivent dans un monde datant d’avant la guerre froide et structuré par l’opposition entre la démocratie et l’autoritarisme, de nombreuses personnes en dehors de l’Occident vivent dans un monde post-colonial fixé sur l’idée de la souveraineté nationale », déclare le co-auteur de l’étude, l’historien britannique Timothy Garton Ash. Bien que les États-Unis aient tenté de « mondialiser » le sentiment anti-russe, seuls 33 pays – représentant un peu plus d’un huitième de la population mondiale – ont imposé des sanctions à la Russie. Le conflit ukrainien pourrait être un tournant marquant l’émergence d’un ordre mondial « post-occidental ». L’Occident doit vivre comme l’un des pôles d’un monde multipolaire ».
Ce que nous retiendrons de la démocratie aéroportée
Quelques faits d’armes : d’abord, l’horreur d’Abou Ghraib passée par perte et profit. Le massacre d’Amyria. Les milliers de morts, les centaines de milliers de blessés, les millions d’irakiens sur les routes de l’exil tout ceci pour une démocratie aéroportée et quelques puits de pétrole. Nous retiendrons aussi le mensonge, un de plus, « en plus de la fausse infirmière » (fille d’un ambassadeur arabe), qui déclare que les soldats irakiens jettent les bébés par terre, celui du « sauvetage » du soldat Jessica Lynch d’un hôpital de Nasiriya selon un scénario digne de La chute du faucon noir de Ridley Scott. Il est apparu depuis que toutes ses blessures ont été subies dans un accident de voiture. Le chirurgien irakien qui a sauvé la vie de cette soldate a remué ciel et terre pour lui trouver du sang « O » mettant à contribution un parent à lui qui avait le même groupe. Ainsi, la libération de la militaire Jessica Lynch d’un hôpital irakien a été présentée comme une opération de sauvetage à haut risque. Dans une entrevue au magazine Time, Jessica elle-même reconnaît que toute l’opération avait été une mise en scène.
Nous retiendrons ensuite l’horreur de la pendaison en direct de Saddam Hussein qui a donné au monde une leçon de courage jusqu’à ses derniers instants. Un autre fait est celui du journaliste irakien qui a jeté ses chaussures à la face de Bush. Ce fut, pour paraphraser Armstrong quand il posa le pied sur la lune « un petit geste pour l’homme mais un grand geste pour la dignité humaine ». Le Musée national d’Irak pillé : pour rappel, l’Irak, une des plus brillantes civilisations que l’humanité ait connues, sombre dans un chaos qui, à moins d’un miracle, semble être parti pour longtemps.
Conclusion
Vingt ans après, l’Irak panse ses blessures. N’oublions jamais malgré tout ce qu’il a subi, l’Irak est héritier d’une civilisation plusieurs fois millénaire. C’est Sumer avec l’invention de l’écriture, c’est Babylone avec les jardins suspendus ! On dit souvent que « les livres sont écrits en Égypte, édité au Liban et lu en Irak » dans la plus pure tradition de Dar el Hikma à Bagdad qui était éclairé le soir quand Londres n’était qu’un gros bourg quand aux États-Unis, ils n’avaient émergé qu’il y a près de 250 ans !
Il faut espérer que ce peuple éduqué retrouve sa place s’il arrive à unir ses différentes composantes. De ce fait, la guerre en Ukraine a servi de détonateur. Il y a une réorganisation des plaques tectoniques sans l’Occident. Le roi Salmane d’Arabie saoudite invitant le président iranien à une visite à Riyad. Tout ceci sans la permission de l’Empire.
Il reste que la CPI si elle veut réhabiliter son honneur elle devrait retrouver son latin et appliquer ce qu’écrit l’avocat italien Cesare Beccaria au XVIIIe siècle : « Nullum crimen, nulla poena sine lege » (il ne peut y avoir ni infraction ni peine sans loi). Cela veut dire simplement que les fautes se paient. Pour cela elle devrait être équidistantes des États et n’avoir pour crédo que la justice, rien que la justice mais toute la justice. Elle devra dans un même mouvement juger le seigneur ou le serf avec une égale rigueur et ne pas verser dans l’aplatventrisme du deux poids, deux mesures selon la volonté des maîtres du moment.
À quand une CPI véritablement mondiale pour juger celles et ceux qui ont malmené les peuples sans défense pour quelques barils de pétrole ? À quand une prise de conscience planétaire que le monde doit évoluer vers l’apaisement et la coexistence pacifique pour combattre les vrais défis de l’humanité ; la faim, les convulsions climatiques les pandémies ?
Chems Eddine Chitour
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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