par Alastair Crooke
Nous voici donc face à une nouvelle campagne de dénigrement du président Poutine (de manière assez ridicule), accusé d’être un « kidnappeur d’enfants ». Cette tactique n’est pas nouvelle. Elle est tirée du vieux livre de jeu anglo-américain, d’abord affiné pour servir contre Slobodan Milosevic.
On semble toujours revenir à la même question : L’Europe a-t-elle bien réfléchi ? Là encore, la réponse probable est « non ». Il est plus probable que la « frappe » contre le président Poutine ait été perçue plutôt comme une « optique » intelligente – l’image du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale délivré à l’encontre de Poutine, avec un fonctionnaire allemand déclarant catégoriquement que l’Allemagne appliquera le mandat si Poutine se rend dans ce pays.
Ce « stratagème » pourrait s’avérer aussi contre-productif que la tentative d’effondrement de l’économie russe par le biais d’une guerre financière. Il s’agit là d’un autre stratagème qui n’a pas fonctionné ! C’est donc maintenant au tour de la « guerre juridique » contre le président russe, au lieu de la guerre financière.
Bien sûr, le mandat n’aboutira jamais, mais le raisonnement qui le sous-tend est assez clair : Les États-Unis ont déjà rejeté avec dédain la médiation du président Xi entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et ont catégoriquement rejeté l’appel antérieur de Xi en faveur d’un cessez-le-feu en Ukraine. La possibilité que Xi propose unilatéralement un « accord » sur l’Ukraine alors qu’il se trouve à Moscou (en l’absence des États-Unis) terrifie une Maison Blanche fragile – cela ferait passer Biden pour « faible ».
Il n’est pas certain que Xi ait une telle intention (pour le moment, de s’engager pleinement sur l’Ukraine), mais des déclarations et des accords d’importance mondiale devraient émerger du sommet entre le président Xi et Poutine cette semaine. Et même s’il n’intervient pas sur l’Ukraine, le langage venant de Pékin – et directement de Xi – est devenu acerbe envers les États-Unis, et leur utilisation abusive de l’Ukraine comme outil pour affaiblir la Russie. Une fois de plus, Biden est présenté comme « faible », un « perdant » dans le grand jeu de la triangulation entre les États-Unis, la Russie et la Chine.
Si Xi ne se concentre même pas sur la guerre en Ukraine, l’image de la Chine et de la Russie s’unissant pour s’opposer à « l’ordre fondé sur des règles » de Biden suffit à faire grincer des dents à Washington – au moment sensible où Washington espère un dernier coup de dés ukrainien, avec une sorte d’« offensive de printemps » avant qu’il ne devienne trop évident que Kiev a épuisé ses effectifs et ses munitions – et que l’équipe Biden est obligée de « passer à autre chose ».
Nous en sommes donc là : un nouveau jet de « boue » sur le président Poutine (de manière assez ridicule) en tant que « kidnappeur d’enfants » présumé. Cette tactique n’est pas nouvelle. Elle est tirée du vieux livre de jeu anglo-américain, d’abord affiné pour servir contre Slobodan Milosevic :
« La Russie s’est engagée à poursuivre ses efforts de médiation entre l’OTAN et le président yougoslave Slobodan Milosevic, mais l’inculpation de ce dernier à la veille de la visite du [médiateur] Tchernomyrdine a été dénoncée par la Russie – le journal Izvestia a noté qu’« il est impossible de s’entendre avec un criminel militaire recherché » et a affirmé que l’inculpation annulerait la diplomatie de Tchernomyrdine. » (Washington Post, 28 mai 1999)
Soyons clairs : le plan de jeu pour la Yougoslavie consistait précisément à faire savoir que Milosevic était « le problème » et qu’une fois qu’il serait parti, un arrangement serait facilement réalisable. Ce n’était pas vrai, bien sûr. La parole n’a pas été tenue. Le fait est que Milosevic est allé à La Haye et que la Yougoslavie a été démembrée.
Naturellement, la Russie n’est pas la Yougoslavie. La Russie était particulièrement faible en 1999. Elle ne l’est plus aujourd’hui. Ni la Russie, ni la Chine, ni les États-Unis (ni l’Ukraine) ne sont membres du Statut de Rome qui a créé la CPI (bien que l’Ukraine s’y intéresse). (Par ailleurs, à ce jour, les 44 personnes inculpées par la Cour sont toutes africaines ; la CPI s’est montrée réticente à enquêter sur les États occidentaux).
Personne en Russie ne prend donc cet acte d’accusation au sérieux, y voyant plutôt un signe avant-coureur du désespoir occidental.
Mais la Grande-Bretagne, elle, le prend manifestement au sérieux. C’est elle qui mène la danse, avec les États-Unis qui, une fois de plus, dirigent en coulisse. Depuis quelques mois, des rumeurs font état de tentatives, l’année dernière, de la part des puissances occidentales, de mettre en place un tribunal spécial des Nations unies pour juger les « crimes de guerre russes », mais ces efforts n’ont pas abouti, qu’il s’agisse d’un tribunal autonome ou, comme l’ont suggéré des responsables occidentaux, d’un renvoi par l’Assemblée générale à la Cour de La Haye. Il n’y a eu ni soutien, ni consensus sur l’existence d’une base juridique pour une telle action.
Alors, s’il est juridiquement contestable, comment ce mandat d’arrêt a-t-il pu être délivré, compte tenu des doutes généraux exprimés par l’Assemblée générale sur la validité de la délivrance par la CPI d’un mandat à l’encontre d’un chef d’État qui n’est pas membre du statut de Rome ou qui accepte sa compétence ?
Nous ne pouvons pas le dire avec certitude, mais l’homme qui a rédigé l’ordre d’arrestation est Karim Khan, un éminent avocat britannique, qui avait été désigné par le Royaume-Uni pour le poste de procureur général. Il est le frère d’Imran Ahmad Khan, un politicien conservateur britannique qui a été reconnu coupable d’actes sexuels sur des enfants l’année dernière.
Voici donc le point crucial « contre-productif » : Après la saisie des avoirs russes par l’Occident l’année dernière, et les menaces de saisir tout l’or russe qu’ils trouveraient, de nombreux États non occidentaux ont revu le calcul des risques liés à la conservation de leurs réserves sous la garde de l’Occident. Il s’en est suivi une fuite de l’or et des devises des juridictions occidentales.
La création d’une CPI sous un prétexte aussi peu convaincant – en l’absence de toute référence apparente à la Cour de la part d’une autorité compétente – doit exposer de nombreux hommes politiques de haut rang en visite en Europe à un nouveau risque : celui d’une « guerre juridique » utilisée comme un bâton géopolitique contre des gouvernements qui se sont opposés d’une manière ou d’une autre aux intérêts de l’Occident. Là encore, les États deviendront à juste titre plus prudents quant à toute interaction avec les juridictions occidentales. La guerre juridique est à la mode – regardez ce qui se passe aux États-Unis avec Trump et ses partisans. Avertissement !
Dans le cas du président Poutine, il ne s’agit pas de « pressions » ou d’intérêts occidentaux, mais d’un changement de régime pur et simple. Le mandat est une menace directe contre un chef d’État. Sa principale conséquence est de saboter le climat de dialogue entre Moscou et Kiev. Zelensky n’a pas été avisé de mettre la criminalité de guerre dès le départ sur la « table » politique.
La loi des conséquences involontaires : La classe dirigeante occidentale s’accroche à la conviction que Poutine peut être évincé (à la Milosevic). Les médias britanniques semblent croire que les oligarques russes (pro-occidentaux) vont renverser Poutine, embarrassés par son inculpation pour « enlèvement d’enfants ». C’est absurde ! Cette initiative n’a fait que renforcer le prestige de Poutine à l’extérieur de l’Occident, mais l’estimation du sens politique de l’Europe et sa compréhension de la Russie s’en trouvent fortement diminuées.
source : Al Mayadeen
traduction Réseau International
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