« Je me sens plus respectée au Québec que je ne l’étais dans mon pays d’origine »
Je suis arrivée du Maroc en 2005 accompagnée de mes deux jeunes garçons de un et trois ans. Je ne me sauvais pas d’une situation de violence particulièrement grave, mais d’un état de dépendance et de soumission assez banal pour une femme dans une culture arabo-musulmane.
Cela n’a pas été facile de redémarrer une vie de mère de famille monoparentale dans un nouveau pays, mais le Québec a été pour moi une destination de rêve, et je suis reconnaissante de l’accueil dont j’ai bénéficié. J’ai toujours trouvé injustes les accusations de racisme et d’islamophobie dont les Québécois sont la cible. Je me sens plus respectée au Québec que je ne l’étais dans mon pays d’origine. C’est ici que je me suis sentie citoyenne à part entière, libre de mener ma vie comme je l’entendais, sans jugement, et j’ai le sentiment d’avoir bénéficié de l’égalité des chances.
On parle beaucoup d’islamophobie, mais on ne parle jamais de la pression communautaire qui pèse sur les ressortissants des pays arabes pour les forcer à se conformer à des normes culturelles et religieuses et les empêcher de s’intégrer dans leur pays d’accueil. Mon expérience récente dans le milieu associatif montre à quel point il est difficile de faire émerger un islam humaniste au Québec, et comment les accusations de racisme et d’islamophobie contre les Québécois sont utilisées pour faire avancer des objectifs islamistes.
J’avais envie de m’investir dans le milieu associatif pour aider d’autres ressortissants de pays musulmans, surtout les jeunes, à s’en sortir. Je voyais le danger de la radicalisation et l’influence que certains prédicateurs ont sur les jeunes ici même, à Montréal. Mon neveu de 25 ans habitant à Laval, plein de talent et de joie de vivre, artiste peintre, parolier, bon joueur de soccer, est soudain tombé entre les griffes du radicalisme. Du jour au lendemain, il a arrêté ses études, ses activités artistiques et le sport, pour se consacrer à la religion. J’avais tellement envie de crier fort : laissez les enfants vivre sans influence religieuse, arrêtez de les endoctriner.
Dès que j’en ai eu la possibilité, j’ai donc décidé de m’investir dans la société civile. Le passage à Montréal d’un penseur égyptien prônant une approche humaniste de l’islam m’en a donné l’occasion. Autour de ce penseur, la possibilité de créer une association de citoyens de culture arabo-musulmane favorables à la laïcité s’est présentée. Dans le cadre de cette nouvelle association, nous avons commencé à organiser des activités culturelles et des rencontres virtuelles avec des membres dans différentes villes du Canada et des États-Unis.
Arme aux mains des intégristes
Cependant, une personne très connue dans le milieu associatif et très influente dans une certaine communauté musulmane de Montréal prenait de plus en plus de place dans la direction de l’association. Le temps accordé aux personnes non pratiquantes, athées ou favorables à la laïcité diminuait au bénéfice de nouvelles personnes qu’il invitait, ayant des idées plus proches d’un islam radical. Lorsque je lui en parlais, il m’expliquait qu’il était important d’écouter ces personnes pour les amener un jour à changer d’idées.
Je n’étais pas convaincue par ses arguments, mais étant donné sa notoriété et son expérience associative de plus de trente ans, j’acceptais. Cependant, plus le temps passait, plus des personnes défendant l’islam politique se joignaient à l’association qui, rappelons-le, avait été créée justement pour faire face aux idées de l’islam politique.
À chaque occasion qui se présentait — rencontres en personne, virtuelles ou téléphoniques —, ce monsieur trouvait le moyen de décrire le Québec comme une province raciste et islamophobe. Il utilisait toutes les tribunes pour diaboliser le Québec. Lorsque j’intervenais pour parler de mon expérience positive au Québec, il ridiculisait mes propos et expliquait que si j’étais bien accueillie, c’était en raison de mes positions « anti-islam ».
Ma position en faveur de la loi 21 est ce qui m’a valu le plus de moqueries de sa part. Il insinuait que je voulais plaire aux Québécois et que je n’étais qu’un instrument entre leurs mains. Lors de la nomination d’Amira Elghawaby comme représentante canadienne à la lutte contre l’islamophobie, il fit des pressions sur moi pour que je ne puisse pas exprimer mon avis contre sa nomination.
C’est à la suite de la dernière rencontre que j’ai décidé de quitter l’association. Parmi les intervenants, il y avait une maman syrienne qui racontait son expérience douloureuse en nous montrant la photo de sa fille dans la vingtaine tuée par Daech [groupe État islamique]. Lorsque la réunion fut terminée, ce monsieur réagit violemment en interdisant la diffusion d’une vidéo présentant nos interventions et déclara que la maman n’aurait pas dû qualifier Daech d’organisation terroriste.
L’association dont j’avais été membre fondatrice n’avait plus rien d’humaniste ni de laïque.
Je ne sais pas quel sera le mandat de la représentante canadienne à la lutte contre l’islamophobie, mais je sais que ce concept est une arme aux mains des intégristes pour faire avancer leurs objectifs politico-religieux et pour creuser un fossé entre les musulmans et les autres. Il y a de quoi s’inquiéter.
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