« L’écrasement politique de ce gouvernement a fait basculer son chef et son parti dans une zone déshonorante. C’est en toute connaissance de cause qu’ils entraînent désormais le Québec dans la voie de la médiocrité, avec son cortège d’inégalités, de dévoiement des idéaux et de délabrement des institutions. »
Les choses s’annoncent pour être pénibles et démoralisantes. L’écrasement du gouvernement Legault va créer un climat social malsain. L’autonomiste devenu fédéraliste inconditionnel va se faire le chantre et l’instrument d’une régression sociale et politique souffrante. La minorisation ne se fait jamais dans le confort et l’indifférence.
Un peuple dépouillé de sa capacité d’agir en fonction de ses aspirations ne régresse pas dans l’euphorie et la dignité. Un peuple livré à l’impuissance par ses élites velléitaires ne s’achemine pas sur la voie du développement. Un peuple dont les dirigeants bégaient jusqu’à la caricature est engagé dans des ornières dont il ne sortira pas facilement.
C’est toujours de même à chaque fois qu’un gouvernement provincial se fait découdre par le régime. Ses dirigeants tentent de maquiller leur faiblesse en roulant des mécaniques vis-à-vis le peuple lui-même. Ils s’en prennent à l’ordre social interne plutôt que de mener la bataille contre les forces d’assujettissement. C’est ce qu’avait fait Lucien Bouchard qui a choisi de gaspiller la conjoncture en mettant tout en œuvre pour que le Québec se résigne à se gouverner avec les moyens que le Canada lui laisse. Il avait choisi la soi-disant austérité, s’en prenant aux ressources déjà amoindries de notre État pour se draper dans la vertu du gestionnaire responsable. C’est ce qu’il désigne encore comme la « réserve de courage » qu’il n’a pas manqué de souffler à l’oreille d’un François Legault battu et roulé dans la farine par le régime.
Et le voilà, le provincial Legault, se comporter comme un gérant de succursale ! Le courage qu’il n’a pas eu pour faire la bataille à Ottawa, il prétend désormais qu’il l’aura pour régler les négociations dans le secteur public. Il bombe déjà le torse, saoulé par les résultats de sondage qui le consacrent comme le marguiller en chef de la bourgade. Le spectacle sera désolant. Il faut souhaiter que l’affrontement ait lieu. Il faut souhaiter qu’il se fasse sur les vraies bases.
La vérité de la lutte qui s’annonce, c’est que le gouvernement provincial n’a tout simplement plus les moyens de ses responsabilités. Les ressources qui manquent, ce ne sont pas les professeurs et les infirmières qui les accaparent injustement. L’enjeu véritable des négociations qui s’amorcent, c’est celui du consentement à la médiocrité et du nivellement par le bas. Se rapetisser pour rester dans le Canada. Laisser le système de santé s’en aller à vau-l’eau pour ne pas faire de chicane. Livrer le système d’éducation à toutes les dérives pour renoncer sans le dire aux idéaux qui l’ont fait naître.
Il faut se préparer à entendre toutes les versions revampées du discours de la résignation, de la nécessité de se contenter d’un p’tit pain. À grand renfort de tableaux de bord pour faire croire que la lumière viendra des instruments pédagogiques du trio de « hecistes » qui confond le sens de l’État avec les recettes de management. Les énoncés pseudo- savants ne serviront qu’à distiller l’obscurantisme. Le Québec se déglingue à vitesse grand V. Et ils seront nombreux les gestionneux à tenter de faire croire que c’est parce que nos institutions et ceux qui tentent tant bien que mal de les servir ne savent pas y faire. Ils seront nombreux à prétendre que collectivement nous ne sommes pas capables.
Ils feront des phrases pour faire oublier que l’hôpital Maisonneuve-Rosemont tient avec de la broche, que son urgence a fermé pour cause de dégâts d’eau. Ils parleront fort pour détourner l’attention et ne pas rappeler que le Québec a financé une injustice criante en octroyant des fonds aussi faramineux qu’immérités à McGill et au CUSM. Ils parleront fort pour tenter de justifier que les coûts trop élevés justifient le rapetissement du projet de rénovation de Maisonneuve-Rosemont et prêcheront pour l’étalement du projet, pour faire endurer à la population de l’Est de Montréal des services de deuxième ordre, voire une médecine de brousse.
Le renoncement à l’autonomisme de ce gouvernement était prévisible. Ce n’est pas seulement qu’un spectacle de plus de vire-capot qui plastronnent à gérer la dépendance et le rapetissement. L’écrasement politique de ce gouvernement a fait basculer son chef et son parti dans une zone déshonorante. C’est en toute connaissance de cause qu’ils entraînent désormais le Québec dans la voie de la médiocrité, avec son cortège d’inégalités, de dévoiement des idéaux et de délabrement des institutions.
Le dossier que consacre Frédéric Lacroix à la chute de la maison UQAM va bien au-delà des constats de la marginalisation de cette institution devant la concurrence déloyale que les gouvernements ont subventionnée. La place que tient la régression de l’UQAM dans l’écosystème universitaire révèle une chose que personne ne voulait voir : c’est l’illustration de l’échec de la Révolution tranquille. Pas un échec total, bien sûr, car le Québec a toujours su bien s’accommoder des demi-mesures, mais un échec qui consacre, illustre et résume la lente érosion des aspirations. Un échec qui consacre également, comme dans le cas du CUSM et du récent don du Royal Victoria à McGill, le refus de combattre des élites du système universitaire francophone. C’est un refus coupable. Et l’on se passera bien de la morgue des technocrates qui viendront tenter de justifier à grand renfort d’indicateurs de performance la supériorité et la hiérarchisation d’un système dominé par les institutions anglophones surfinancées à même les impôts de la majorité qu’ils servent à déclasser.
La chute de la maison UQAM, ce n’est pas seulement la fin des aspirations à sortir de l’ignorance les enfants des classes populaires qui restent, encore, après cinquante ans, sous-diplômés, relégués aux filières mineures, etc. C’est la consécration des effets clivant du dualisme institutionnel que le gouvernement de Legault se refuse à démanteler. Refus de revoir la place et les ressources allouées aux cégeps anglophones, surfinancement des universités et de la recherche, refus de donner priorité aux besoins et missions des institutions de la majorité. Un refus financé à même les impôts de la majorité qui servent à sa propre déportation dans les marges. Refus de casser les privilèges. Consentement à se soumettre dans une démission maquillée.
Le dossier de Frédéric Lacroix est accablant en ce qu’il démontre avec la froideur d’un rapport d’autopsie que le dualisme institutionnel est en train de ramener une véritable logique de développement séparé au cœur de la métropole. Le contraste entre le délabrement du Quartier latin et le dynamisme urbain des environs des institutions anglophones en fournit une preuve matérielle accablante. La régression politique a des conséquences. Des conséquences sur l’anglicisation de Montréal que la frénésie de recrutement d’étudiants étrangers soutient avec une force croissante. Des conséquences sur l’aménagement urbain et la stratification des quartiers et arrondissements qui peuvent, à toutes fins utiles, fonctionner en toute ignorance et indifférence aux réalités du Québec français. Des conséquences, évidemment sur la distribution de la richesse, à l’échelle de Montréal, bien sûr, mais à l’échelle du Québec tout entier. Le délabrement des infrastructures observable partout en région n’est pas fortuit : il est financé par le détournement des ressources au profit du développement séparé.
Il y a un lien entre le surfinancement du CSUM et la vétusté des équipements à l’Hôpital de Sept-Îles. Il y a un lien entre le déficit d’entretien des cégeps en région et le surfinancement de Dawson et autres Vanier College qui carburent à l’assimilation. Il y a un lien entre la marginalisation des constituantes de l’Université du Québec et le surfinancement de Concordia et McGill. Il y a un lien entre le déclin de fréquentation et l’attractivité grandissante des institutions de l’anglosphère. En un mot comme en mille, le dualisme institutionnel consacre et accélère une logique d’assimilation, consentie pour les uns – cette élite démissionnaire qui veut les miettes de la dépendance – et infligée pour la majorité qui subit les effets de la dévalorisation aussi bien symbolique que matérielle des institutions françaises. La démographie est impitoyable : ces liens il ne reste que quelques années pour les défaire. Autrement l’asphyxie est programmée.
François Legault le sait. En se délectant de son poste de gérant d’agence provinciale, il se fait l’artisan – et bientôt l’architecte, par l’effet cumulatif de ses renoncements – de la ruine du destin québécois. Il orchestre une défaite à bas bruit. Et nous paierons tous chèrement le prix d’une telle déloyauté. Personne ne peut être fier de se faire mettre à la périphérie de soi-même. À moins d’un grand ressaisissement, ça finira mal.
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