par Tewfik Hamel
La relation entre l’attaque et la défense intrigue depuis longtemps les théoriciens militaires car le choix entre les doctrines offensives et défensives revêt une grande importance. Même si les doctrines militaires défensives n’empêchent pas les hostilités ni les rivalités territoriales, elles sont de nature à atténuer l’un des obstacles structurels à la coopération dans un monde de plus en plus connecté et armé. En effet, les doctrines offensives « visent à désarmer l’adversaire, à détruire ses forces armées ». Elles préconisent « de prendre l’initiative de lancer une guerre (qu’elle soit expansionniste, préventive ou préemptive), et de mener la guerre (ou de la transférer) en territoire ennemi ». Au contraire, les opérations défensives visent à dissuader l’adversaire d’entrer en action en agissant à partir de zones contrôlées par des forces amies. Les doctrines défensives combinent des opérations défensives et offensives pour repousser les attaques. Elles « visent à nier à un adversaire l’objectif qu’il cherche » à atteindre, excluant « tout déclenchement d’hostilités et limite strictement le combat à la défense de son propre territoire ». Qu’en-t-il de la doctrine de combat de l’armée de défense d’Israël ?
David Ben Gourion, « la muraille de fer » et la doctrine israélienne
Les raisons pour lesquelles les États choisissent des doctrines offensives ou défensives restent largement insaisissables. Dans le cas d’Israël, la doctrine stratégique (politique pour assurer l’atteinte des objectifs nationaux) et la doctrine militaire opérationnelle (méthodes de combat de Tsahal) sont clairement de nature offensive. La première cherche à assurer la préservation de l’État dans des frontières sûres, de plus en plus expansives – intégrant la poursuite de la colonisation. La seconde met l’accent sur l’impératif de porter les hostilités le plus tôt possible en territoire ennemi et, si nécessaire, d’attaquer de façon préemptive/préventive. Depuis sa création en 1948, l’État hébreu s’inspire du sionisme, doctrine politique qui est la colonne vertébrale de la philosophie et de la politique nationales et qui a façonné les institutions. Or, le sionisme tend à considérer la puissance militaire, voire la supériorité régionale, comme le seul moyen de garantir la sécurité nationale. Il considère le conflit israélo-arabe comme long et existentiel et affirme qu’Israël doit s’engager dans cette lutte, jusqu’à ce que la région reconnaisse son droit à l’existence.
Le sionisme tend également à privilégier l’attaque comme une tactique de défense et toujours a cherché à résoudre le « dilemme de sécurité d’Israël » en mettant l’accent sur la « paix par la force » ou la « sécurité par la supériorité ». Cette notion suggère que seules la dissuasion, la projection de la force, la puissance militaire, la supériorité technologique et l’autonomie stratégique peuvent garantir la sécurité du pays. Israël désire la paix avec ses voisins, mais paradoxalement estime aussi qu’il ne peut être en sécurité sans les dominer et maintenir le contrôle sur la Cisjordanie, le Golan, Chebaa, etc. De tous les États du système international, Israël semble être l’un des plus « belliqueux », confondant paix et capitulation.
Le concept de « sécurité » est un élément fondamental de la politique nationale d’Israël visant à promouvoir les objectifs du pays et à assurer son existence et sa prospérité. Il joue un rôle central dans l’élaboration de sa stratégie nationale depuis sa création au point que la politique étrangère tend à devenir une extension de la politique de défense, c’est-à-dire qu’elle est subordonnée à des considérations découlant de l’implication du pays dans un long conflit, perçu comme une lutte pour la survie entre des acteurs aux intérêts inconciliables. Les principes stratégiques de la sécurité d’Israël ont été formulés au cours des deux premières décennies de l’État hébreu sous la direction de Ben Gourion, qui s’est, en partie, appuyé sur le concept de « La muraille de fer de baïonnettes juives » de Zeev Jabotinsky pour définir la doctrine de sécurité et de défense nationale. Bien que Jabotinsky soit présenté comme une figure extrémiste, la « muraille de fer » constitue le cœur de la doctrine d’Israël envers les Arabes/Palestiniens.
Or, le répertoire culturel stratégique qui façonne la stratégie israélienne est limité. Israël a développé, à travers le récit historique de sa « période formatrice » entre 1936 et 1956, un ensemble d’idées et de croyances que ses citoyens ont intégré pour construire et défendre le nouvel État face à une profonde hostilité islamique et arabe. L’étroitesse de son territoire, sa vulnérabilité et ses ressources humaines et naturelles limitées sont des éléments clés qui ont façonné les pensées stratégique et doctrinale d’Israël. Ainsi, le concept israélien de sécurité nationale repose sur deux prémisses interdépendantes :
– Israël n’a d’autre choix que de traiter le conflit israélo-arabe comme une donnée,
– il est tenu de prendre en considération sa marge de manœuvre étroite découlant de son manque de profondeur stratégique et de son infériorité numérique par rapport à ses voisins.
Ce concept a été ensuite façonné par deux facteurs : le « milieu opérationnel » comprenant l’environnement stratégique et les ressources de l’État ; et le « milieu psychologique » des dirigeants politico-militaires.
L’anti-intellectualisme dans l’armée israélienne
Pourquoi, plus de 200 ans après la création des États-Unis, l’armée américaine n’a-t-elle que rarement engendré des penseurs stratégiques comparables à Clausewitz, s’est demandé le major-général Samuel Koster ? « Nous sommes plus intéressés par le faiseur que par le penseur », répond-il. Il en est de même pour les Israéliens. La culture de l’État hébreu célèbre les dirigeants énergiques et efficaces qui avancent sans tenir compte des obstacles. Les Israéliens ont glorifié les hommes d’action préférant les actes aux mots – c’est-à-dire de « faiseurs » plutôt que de « bavards » – et de pragmatiques et de réalistes plutôt que de philosophes. L’une des conséquences de cette attitude a été une forme d’acceptation de l’anti-intellectualisme des dirigeants qui ont réussi et se sont vus reconnus. Ben Gourion avait exprimé son inquiétude dans les années 1950 face au manque d’« ouverture intellectuelle » des commandants de Tsahal. Plus récemment, des témoignages de professeurs d’université familiers de la Défense israélienne ont révélé le manque d’intérêt et de connaissance des commandants de Tsahal pour les aspects abstraits de leur profession.
Uri Milstein, un fervent critique de Tsahal, soutient que depuis des années cette institution « est un établissement anti-intellectuel ». Pour lui, « ce n’est rien de plus qu’une milice armée non professionnelle qui utilise des systèmes d’armes sophistiqués ». De son coté, après avoir donné une conférence à l’état-major de Tsahal, Martin Van Creveld a été surpris par le manque de connaissances des officiers, déclarant qu’il n’avait « jamais rencontré autant d’ignorants de toute ma vie. Dans aucun autre État ou organisation je n’ai vu des gens qui en savaient si peu sur leur profession et ses théories, y compris l’histoire et la doctrine de leur propre armée ». Élie Barnavi a également été surpris de découvrir que « ces gens ne lisent rien d’autre qu’un quotidien depuis des années ». Yaacov Hisdai, chercheur principal de la Commission Agranat – qui a enquêté sur les échecs de la guerre d’octobre 1973 – est parvenu à la conclusion que les commandants de Tsahal sont à la traîne en matière d’innovation, de pensée abstraite et de sens critique.
Ainsi, les officiers ne disposeraient pas des compétences théoriques nécessaires pour mener à bien la tâche de planification des opérations. Bien que « tous les facteurs opérationnels étaient en faveur de Tsahal au matin du 16 octobre » 1973, la guerre de Kippour fut un désastre en termes de planification, en partie à cause de l’orgueil qui s’était développé parmi les chefs militaires après la guerre des Six jours. Stratégiquement, la nation a survécu mais ses forces armées furent vaincues dans la première phase du conflit. Israël en 1974 n’est plus le pays victorieux et omnipotent de la guerre des Six jours. Ses dirigeants n’ont pas anticipé l’attaque et, durant la guerre, ont été incapables de concentrer leurs forces au niveau stratégique. Consciente de son infériorité par rapport aux concepts opérationnels israéliens – infériorité que tous les pays arabes reconnaissent alors –, l’Égypte a su « réinterpréter les concepts de supériorité » pour surprendre Tsahal.
La guerre du Kippour et la démission de Moshe Dayan du ministère de la Défense ont inauguré une nouvelle ère. Ce « long âge sombre post-1967 s’explique par le mythe de l’invincibilité des blindés israéliens, la détérioration de l’art opérationnel en un simple ensemble de règles techniques et le détachement du paradigme de la préemption offensive israélien de la nouvelle réalité stratégique » Ainsi, de 1990 jusqu’à la guerre du Liban de 2006, la Révolution dans les affaires militaires (RMA) a été perçue par Tsahal comme la solution afin de tenir compte des évolutions sociologiques et politiques de la société israélienne et des changements de l’environnement stratégique. La RMA a fourni le cadre théorique idéal dans laquelle la culture militaire de Tsahal (innovation technologique, combat de précision) a pu conforter ses valeurs. Alors que l’armée israélienne, très conservatrice, a été la première à utiliser toutes les capacités des armes de précision sur le champ de bataille, elle a tardé à conceptualiser un cadre théorique pour son utilisation pratique. La RMA, est ainsi devenue le cadre de référence qui allait orienter une grande partie de l’innovation militaire massive et de l’adaptation organisationnelle des armées au cours des trois décennies qui précédèrent la guerre de 2006.
Les Israéliens croient que la force militaire améliore leur sécurité. La réflexion stratégique est un volet sous-développé de la pensée stratégique d’Israël, illustrant, nous l’avons vu, une culture qui donne la préférence aux praticiens par rapport aux théoriciens. Les Israéliens sont extrêmement tacticiens dans leur approche : ils ont développé une sorte de « sac de trucs » de la guerre. Un exemple de cette culture militaire anti-intellectuelle se reflète dans le fait que les cours sur la théorie de la guerre et la stratégie occupent une place très mineure dans le programme du Collège de Défense nationale d’Israël. De même, le journal de Tsahal, Ma’arachot (« Campagnes », en hébreu), ne publie que de rares articles sur la théorie militaire. Sur les 3057 articles publiés entre 1948 et 2000, seuls 74 (2,5%) traitent de la théorie. L’armée israélienne « met l’application avant l’étude » et manque d’« une compréhension approfondie des aspects centraux de la guerre moderne ».
L’offensive dans la doctrine israélienne
L’armée israélienne a développé « une doctrine opérationnelle très forte (…) de l’offensive implacable, menée depuis le front ». Elle a adapté à son environnement opérationnel divers aspects de la doctrine militaire occidentale – frappes dans la profondeur, synchronisation et l’intégration des armes et la létalité – et russe. De plus, Tsahal a intégré certaines des leçons de Lawrence d’Arabie sur la flexibilité, l’adaptabilité, l’insaisissabilité et la tromperie pour l’attaque d’objectifs limités dans un vaste espace, Ainsi, les planificateurs israéliens ont développé leur propre interprétation et exploitation de ces idées pour mettre au point une doctrine devant permettre de remporter des victoires stratégiques, en limitant les dommages collatéraux lors des opérations militaires.
Les origines de la doctrine israélienne sont multiples, mais l’influence la plus marquée provient sans aucun doute l’expérience du peuple juif. Le récit sioniste a cherché à créer un nouveau type de personnalité, antithèse de celle du juif de la diaspora. L’image du « nouveau juif » qu’il a promu est celle d’un « fils élu du peuple élu », puissant et libre de tout complexe d’infériorité, bâtissant sa propre vie sur sa propre terre, en accord avec le rejet des théoriciens – « misérables érudits livresques » – et la célébration du fermier héroïque et combattant. Ce qui a conduit certains à déclarer que le « sionisme s’est développé comme un mouvement colonialiste ».
La vision sioniste du « nouveau juif » a fortement influencé la pensée militaire. Le résultat en a été que les « gens de la charrue et du fusil » ont remplacé les « gens du livre » Dès le début de son histoire, Israël s’est appuyé sur la force. Ses valeurs militaristes – le besoin reconnu de violence institutionnelle, exigeant une préparation permanente pour une guerre à grande échelle ou le recours occasionnel à une violence limitée – ont produit un véritable complexe militaro-intellectuel.
Le « syndrome de survie » israélien trouve son origine dans une angoisse profonde. Les dirigeants de l’État hébreu ont toujours eu le sens aigu de leur vulnérabilité face à des États arabes hostiles et ont toujours affiché leur volonté d’autosuffisance étant donné l’histoire des persécutions qu’ont subi les juifs. La mémoire collective de la diaspora a façonné la psyché et la « mentalité de siège » des Israéliens avant même l’expérience des conflits avec les États voisins. Le conflit israélo-arabe est perçu comme une réincarnation de l’antisémitisme traditionnel. L’encerclement par des ennemis dont la population, les ressources et les armées sont plus importantes que les siennes a contribué à cet état d’esprit qui persiste, bien que la menace militaire à laquelle Israël est confrontée ait radicalement changé – à la baisse. Pourtant, l’état d’esprit du « ghetto en insécurité totale » et l’attitude d’autonomie méfiante restent présents, le récit fondamental n’ayant guère évolué.
C’est la vision du monde de Ben Gourion, largement fondée sur la Realpolitik, qui a jeté les bases de la culture stratégique d’Israël, laquelle s’est ensuite développée au fil du temps. Deux piliers peuvent être distingués :
– le renforcement de la puissance militaire et le recours à la force remplissent une fonction de communication clé entre Israël et ses voisins. La puissance militaire, la menace et le recours à la force sont perçus comme fondamentaux pour convaincre ses ennemis qu’Israël ne peut pas être détruit par la force ;
– la sécurité nationale dépend de la capacité de Tsahal de protéger le territoire d’Israël en dominant ses adversaires sur le champ de bataille – de manière autonome –, mais aussi, paradoxalement, de la volonté d’établir un dialogue avec eux et de rechercher un équilibre mutuellement satisfaisant.
Depuis sa création, les Israéliens sont convaincus de l’idée selon laquelle une supériorité militaire écrasante équivaut à la sécurité. Pour eux, celui qui tire le premier est presque certain de tirer en dernier et de gagner. Le « culte de l’offensive » a ainsi conduit Israël à développer une préférence pour la « dissuasion par la punition » plutôt qu’à la « dissuasion par le déni ». Les « penseurs » militaires israéliens sont persuadés que la menace de représailles disproportionnées convaincra l’ennemi de s’abstenir de toute agression. Cette doctrine offensive a été mise en œuvre à l’occasion de plusieurs conflits successifs. Elle a été officialisée à travers des réformes organisationnelles, une formation militaire professionnelle et codifiée et dans des publications officielles.
Or, depuis la guerre du Liban de 2006, les affrontements auxquels est confronté Tashal revêtent une nouvelle forme. En conséquence, Israël a développé une nouvelle approche, celle de la « guerre entre les guerres » – également dénommée « Tondre l’herbe » – et ce que Yagid Lévy appelle le « compromis force/victimes ».
Force disproportionnée : la « doctrine Dahya »
Avec l’accroissement de la sensibilité de l’opinion aux pertes humaines, Israël a restructuré sa « hiérarchie des morts » pour protéger ses soldats, privilégiant la protection de ceux-ci et plaçant les civils ennemis en bas de cette hiérarchie par l’utilisation d’une puissance de feu écrasante. Le « compromis force/victimes » est une doctrine légitimant un recours accru à l’emploi de la force et à une préoccupation en recul des effets collatéraux sur les populations, afin de réduire le risque pour ses propres soldats.
L’État hébreu a ainsi transféré le risque des soldats aux civils, comme le montre la « doctrine Dahiya ». L’emploi excessif – voire disproportionné – de la force doit être compris dans le cadre de la stratégie de l’État hébreu, qui, dès le début, a lancé des attaques délibérées contre des « biens à caractère civil ». Les Israéliens n’hésitent pas à cibler les populations civiles pour diverses raisons – réduire leurs propres pertes militaires, éviter la défaite, s’emparer ou annexer un territoire ennemi, etc. Pour les dirigeants, le recours périodique à la force est essentiel pour afficher la détermination et les capacités d’action d’Israël. De plus, dans cette logique, lorsqu’ils estiment que le pouvoir de dissuasion de Tsahal face à un acteur particulier s’amenuise, ils lancent des « opérations de dissuasion » où le souci des dommages collatéraux tend à disparaitre comme l’illustrent les opérations Pluies d’été (2006), Plomb durci (2008-2009), Pilier de défense (2012) et Bordure protectrice (2014).
Israël se contente d’un statu quo dans lequel le mouvement national palestinien est divisé physiquement et politiquement. Israël considère que le Hamas ne peut pas être éradiqué militairement, car il est plus qu’une organisation armée : « Hamas est une idée (…) aucune idée n’a jamais été vaincue par la force ». Les objectifs d’Israël sont donc limités, autant par nécessité que par choix et les dommages collatéraux ne sont pas causés seulement par quelques « pommes pourries ».
Pour le général Eiland, Israël doit combattre différemment s’il veut gagner. Seule une « guerre entraînant l’élimination de l’armée libanaise, la destruction de l’infrastructure nationale et d’intenses souffrances parmi les populations [pourrait] influer sur le comportement du Hezbollah ». La première évocation publique de cette doctrine date de 2008 par le général Gadi Eizenkot, commandant du front Nord (Liban/Syrie). Ce qui s’est passé en 2006 dans le quartier Dahya à Beyrouth, dit-il « se produira dans tous les villages d’où des coups de feu ont été tirés en direction d’Israël. Nous exercerons une puissance disproportionnée contre eux et causerons d’immenses dégâts et destructions. De notre point de vue, ce sont des bases militaires. (…) Ce n’est pas une suggestion. C’est un plan qui a déjà été autorisé. (…) Nuire à la population est le seul moyen de contenir Nasrallah ».
Les études empiriques offrent peu de preuves que le ciblage des civils aide à atteindre un objectif stratégique. L’analyse de plus de trente campagnes aériennes depuis la Première Guerre mondiale montre que la clé du succès est d’attaquer la stratégie militaire de l’ennemi, non pas son économie et son peuple. Statistiquement, le résultat des campagnes de punition des civils (sièges, frappes de missiles, bombardements aveugles et autres méthodes brutales) révèle que les responsables politiques et militaires se trompent en pensant cela paie. La puissance aérienne coercitive a certes un effet, mais il est loin d’être aussi marqué que les promoteurs de la puissance aérienne veulent le croire. Les hommes d’État surestiment très souvent les chances de succès de la coercition et en sous-estiment les coûts.
Israël est ainsi dans une impasse stratégique. Il cherche à dissuader sans être dissuadé et à résoudre militairement un conflit dont la solution est par essence politique. Sa force aérienne ne peut lui apporter la victoire décisive et des incursions terrestres à Gaza et au Liban seraient extrêmement couteuses.
Les faiblesses de l’approche israélienne
Le développement de la coopération militaire d’Israël avec les pays du Golfe est une tentative pour restructurer profondément et à long terme l’ordre stratégique régional. Toutefois la stratégie d’Israël est en contradiction avec le principe de Xénophon selon lequel il convient de ne pas attaquer son adversaire « de toutes parts mais laisser à l’ennemi un moyen de s’échapper, s’il veut s’enfuir ». Il y a en effet quelque chose de contreproductif dans la doctrine israélienne de sécurité, notamment sa déconnexion de la pensée stratégique et morale. Certes, la dissuasion nécessite de la crédibilité, qui, elle-même, exige une capacité opérationnelle. Dès lors, quels devraient être les objectifs de l’État hébreu et de quelles capacités devrait-il disposer ? Dans le cas Gaza, Israël a poussé le Hamas dans ses derniers retranchements, voulant l’éliminer et pas seulement stopper les tirs de roquettes. Ils espéraient que les Gazaouis se révoltent contre le Hamas parce que leur situation ne cessait de se détériorer ; le mouvement islamiste verrait l’escalade comme sa seule option, légitimant le recours à la force par Tsahal. Israël reproduit le même schéma avec l’Iran. Pourtant, Schelling est clair : L’ennemi « doit avoir un recours tolérable » si vous voulez éviter qu’il réagisse « comme un lion pris au piège ».
Un conflit pourrait éclater en raison d’une erreur de calcul, d’un échec de communication ou d’une escalade incontrôlée. Faire en sorte qu’un adversaire se sente comme un « lion piégé » est une erreur stratégique majeure qui ne fait qu’encourager son recours à la violence même face à de menaces de représailles. Si l’intention d’Israël est de rétablir la dissuasion, il doit laisser une possibilité d’issue à ses adversaires, car « la menace de destruction massive ne peut dissuader un ennemi que s’il y a une promesse implicite correspondante de non-destruction dans le cas où il se conforme ». La conception israélienne de la dissuasion nous rappelle un toast porté par le héros de dessin animé, Homer Simpson : « À l’alcool : la cause et la solution de tous les problèmes de la vie ». Israël cherche à régler militairement un problème politique, mais sa puissance, aussi écrasante soit-elle, a des limites.
Le recours régulier à la menace et la force s’explique par le fait qu’Israël a réussi à minimiser pour lui les coûts de la guerre, tant humains que financiers. Pourtant, l’expérience de la Première Guerre mondiale démontre qu’il est très dangereux de promouvoir et de surestimer le « culte (ou l’idéologie) de l’offensive ». Les diplomates européens ont mal géré la crise déclenchée par le meurtre de l’archiduc François-Ferdinand. Aucun État européen ne voulait alors réellement la guerre, mais seulement en brandir la menace. Ils cherchaient plutôt à obtenir un succès diplomatique en optant pour un « jeu coercitif » Mais celui-ci a échoué, conduisant ainsi à un « piège de sécurité » qui a déclenché une « spirale d’hostilités ». Deux décennies plus tard, le même le piège de sécurité a conduit à une autre guerre mondiale. Non parce que les démocraties ont échoué « à s’armer assez vite pour arrêter l’agression de l’Axe » mais parce que, la course aux armements (et non l’incapacité des puissances à y participer activement) était elle-même le cœur du problème. Cette course était « une force impersonnelle indépendante, auto-entretenue et souvent primordiale », un « vaste maelström, un torrent énorme », un « système vicieux » auquel aucun ne pouvait y échapper – et qui s’est accéléré, en 1938-1939, « vers son point culminant inévitable ».
source : Mondialisation
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