par Dominique Delawarde
Pour ceux qui pensent que c’est l’économie qui désignera le vainqueur du bras de fer OTAN-Russie en Ukraine, il est important de faire l’état des lieux un an après le début de l’opération spéciale.
On se souvient tous de la déclaration guerrière et péremptoire du 1er Mars 2022 de monsieur Bruno Lemaire, ministre de l’économie, des finances et de la relance :
« Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe. »
Et les déclarations relayées par BFMTV de monsieur Macron, très sûr de lui, à l’issue du sommet de l’OTAN de mars 2022 consacré à l’Ukraine.
« L’économie russe est en cessation de paiement, sa monnaie a dévissé, son isolement est croissant. »
Et, bien sûr, la prise de position de Madame Van der Leyen d’avril 2022 lors de sa visite en Ukraine : « La Russie est menacée de « décomposition » en raison de sanctions toujours plus sévères, tandis que l’Ukraine a un (bel ?) « avenir européen » ».
Quelle est aujourd’hui la situation économique un an après ?
Alors que la Russie est soumise à son dixième train de sanctions de la part de l’UE, les échanges entre la Russie et l’UE ont atteint en 2022, une valeur maximale depuis 8 ans de 258,6 milliards d’euros, la somme des importations de l’UE en provenance de Russie a battu un record historique, selon les données d’Eurostat.
Les importations de l’UE en provenance de Russie ont atteint les 203,4 milliards d’euros, égalant quasiment le record historique de 2012 (203,6 milliards d’euros).
En revanche, les exportations de l’UE à destination de la Russie ont baissé de 38,1% à 55,2 milliards d’euros.
En clair, la balance commerciale de l’UE à l’égard de la Russie s’est donc fortement dégradée pour atteindre un déficit record historique de 148,2 milliards d’euros. Ce déficit européen avec la Russie a doublé entre 2021 et 2022.
Par voie de conséquence, la Russie a enregistré un excédent commercial record de 148,2 milliards d’euros à l’égard de l’UE. Cet excédent a donc doublé entre 2021 et 2022.
À ce rythme, évidemment lié aux sanctions « boomerangs », QUI, de l’UE ou de la Russie, va provoquer l’effondrement économique de l’autre ? Et QUAND ?
Au lecteur de se forger son opinion, bien sûr. Le lecteur notera que, loin de dévisser, la valeur du rouble en mars 2023 s’est appréciée par rapport à sa valeur d’avant le déclenchement de l’opération spéciale (février 2022 100 roubles = 1,20 euros ; mars 2023 100 roubles = 1,26 euros)
S’agissant de la France, son déficit commercial vis à vis du reste du monde a doublé entre 2021 et 2022 pour atteindre un record historique… Et les sanctions boomerangs n’y sont pas pour rien.
Alors, messieurs Macron et Lemaire, quelle est aujourd’hui l’économie en voie d’effondrement ?
Les USA souffrent-ils autant que l’UE des sanctions boomerangs contre la Russie qu’ils ont imposées aux pays membres de l’OTAN ?
La réponse est non. Les USA souffrent beaucoup moins, d’abord parce que les échanges commerciaux entre les USA et la Russie ont toujours été très inférieurs (en valeur) à ceux observés dans le commerce UE-Russie.
La Russie n’a jamais été un partenaire commercial majeur des USA, sauf pour quelques niches. Elle a toujours été, en revanche, un partenaire important pour l’UE.
En 2022 les échanges UE-Russie ont été de 258,6 milliards d’euros (271,5 milliards de $)
les échanges USA-Russie n’ont été que de 16,2 milliards de $.
En 2011 les échanges USA-Russie avaient enregistré un record historique à 43 milliards de $.
Au delà de ce premier constat, on peut observer que les échanges entre l’UE et les USA ont bondi de 19% en valeur, passant de 762 à 902 milliards de $.
Exportation US vers EU +30% en 2022, Importation US depuis EU : +13%
L’Union européenne reste donc, plus que jamais, le premier partenaire commercial des USA, ce qui renforce incontestablement la relation atlantiste.
La Russie a-t-elle été isolée ?
La réponse est non. Les alliances tissées depuis 2000 (BRICS et OCS) et ses réseaux d’amitiés forgés depuis le bombardement de Belgrade (1999) ont fonctionné. De nombreux pays ont refusé d’appliquer des sanctions économiques, marquant par là leur solidarité avec leur ami russe et rendant vaine et inefficace la stratégie des sanctions occidentales.
Parmi les meilleurs soutiens de la Russie se sont trouvés la Chine et l’Inde dont l’importance, le niveau technologique et les potentialités sont trop souvent sous estimées par « la coalition occidentale », comme l’ont été l’économie et les capacités russes dans la balance des potentiels préalable aux décisions jusqu’au-boutistes des sanctions économiques.
Ainsi, par exemple, selon un rapport publié par le très sérieux groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute, pourtant proche de l’OTAN, rapport relayé par le Guardian et le Figaro, Pékin domine au niveau mondial dans 37 des 44 technologies de pointe étudiées, laissant les États-Unis et les principaux pays occidentaux en retard.
Avec de tels partenaires et amis de longue date, la Russie n’a pas trop de souci à se faire pour son économie et ses échanges, d’autant que le niveau de ses échanges avec l’UE (en valeur) atteint toujours des niveaux records en dépit des sanctions.
***
En conclusion, bardés de certitudes sur leur présumée supériorité économique et technologique, sur leurs valeurs morales, sociales, sociétales prétendument universelles, mais parfois contre nature et suscitant une faible adhésion en dehors des gouvernances otaniennes, persuadés qu’ils maîtrisent encore et toujours l’intégralité de la finance internationale, ce qui leur a permis jusqu’alors de régner en maître sur la planète en sanctionnant tous ceux qui refusaient de se soumettre, les occidentaux ne semblent pas avoir réalisé que le monde a évolué considérablement depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale.
Au sortir de la 2ème Guerre mondiale, le PIB US représentait la moitié du PIB de la planète à lui tout seul.
En 1992, les PIB US et UE en parité de pouvoir d’achat (PPA) représentaient respectivement 19,6% et 23,6% du PIB mondial, soit 43,2% à eux deux.
En 2022, les PIB US et UE en parité de pouvoir d’achat représentent respectivement 15,5% et 14,9% du PIB/PPA mondial soit 30,4% à eux deux.
Cette baisse continue et inexorable de la part de l’occident global dans le PIB mondial s’est accélérée avec la crise Covid, plus mal gérée en occident que partout ailleurs, et s’accélère plus encore avec l’aventure états-unienne/otanienne en Ukraine, visant à démembrer la Russie pour prendre, directement ou indirectement, le contrôle de ses richesses naturelles.
Ce bras de fer entre l’OTAN et la Russie, qui se transforme jour après jour en bras de fer « OTAN+ » contre « Reste du monde », est voué à l’échec.
Pourquoi ?
Parce que la bascule a déjà eu lieu et que l’aventure de l’OTAN en Ukraine survient trop tard pour espérer un succès.
En 1992, une telle manœuvre aurait pu réussir en profitant de la faiblesse économique de la Russie et de la Chine. Les cinq pays qui allaient constituer les BRICS quelques années plus tard ne représentaient à eux cinq que 16,5% du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat contre 43,2% aux USA+UE.
En 2022, les 5 pays BRICS comptent 31,7% du PIB mondial contre 31,4% aux USA+UE. La dynamique économique est aujourd’hui du côté des BRICS et pas moins de quinze États frappent aujourd’hui à la porte des BRICS pour en devenir membres. La messe économique est dite. L’occident ne se rétablira pas et ne repassera jamais devant les BRICS. Il n’y aura pas de « New American Century », n’en déplaise aux néoconservateurs mondialistes US et européens. Le reste du XXIe siècle sera eurasiatique.
Dominique Delawarde
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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