J’ai toujours aimé les magasins d’antiquités, les brocantes, les vide-greniers et autres marchés aux puces de ce monde. Il faut dire que, bien avant d’être un historien de l’art et de l’architecture, j’étais déjà un véritable ramasseux de cossins antiques dans l’âme. D’autant plus que les objets anciens sont généralement de meilleure qualité que ceux produits de nos jours!
Ce qui me plait le plus de ces endroits, c’est qu’ils sont de joyeuses cavernes d’Ali Baba, des fouillis et des labyrinthes dans lesquels on trouve pêlemêle absolument de tout. Et surtout, il est impossible de savoir sur quoi nous allons tomber avant d’y mettre les pieds. Contrairement aux grandes surfaces génériques qui vendent indéfiniment les mêmes produits sériels, l’effet de surprise y est toujours garanti.
De plus, dans ces gigantesques mélimélos se retrouvent immanquablement des objets religieux. Je ne saurais vous dire combien de milliers de médailles, d’images pieuses et de statues j’y ai dénichés avec les années.
«C’est qui, eux autres, m’man?»
Il y a quelques semaines de cela, lors d’une de mes visites dominicales au marché aux puces, l’un des vendeurs réguliers m’interpelle dans l’allée en me disant qu’il a reçu un gros lot de médailles religieuses et de chapelets. Je m’empresse évidemment de fouiller dans les deux boites posées sur la table dans l’espoir d’y dénicher une merveille.
Pendant que je m’affaire à ma chasse au trésor, une petite famille arrive, deux adultes avec deux enfants. L’ainée, du haut de ses 6 ans, demande en pointant des personnages de crèche posés sur la table : « C’est qui, eux autres, m’man ? ». La question me fait sourire et le père le remarque. La mère répond que ce sont des « bonshommes d’église ». Peu satisfaite de la réponse évasive, la petite fronce les sourcils et regarde encore plus intensément les personnages.
Puis, elle insiste : « Mais c’est qui, les bonshommes ? ». Elle ne veut pas savoir c’est quoi, mais bien c’est qui. Un adulte l’aurait plutôt formulé en demandant ce que représente chacune des figurines. Au tour de la mère de faire une drôle de tête. Visiblement, elle n’a aucune idée de qui sont ces foutus « bonshommes d’église » qui attirent tant sa fille. Regard de désespoir vers le père, qui lui rend la pareille en haussant les épaules. Se rendant bien compte que j’ai tout entendu, la mère rougit un peu.
Cette anecdote fait sourire en raison de l’embarras des parents devant l’insistance curieuse qu’ont parfois les enfants. Mais elle est surtout révélatrice d’un important changement de paradigme social.
« Vous tombez bien, jeune demoiselle, je me spécialise justement en iconographie chrétienne! » Suivra un cours 101 portant sur les « bonshommes d’église » pour la petite et les parents, qui ont tous les yeux grands ouverts de curiosité à mesure que je leur présente chacune des figurines, en décrivant leurs rôles respectifs dans le récit de la Nativité. Le petit dernier, lui, n’est pas captivé par mon exposé : doucement blotti dans les bras de son père, il dort.
Une perte de transmission importante
Cette anecdote fait sourire en raison de l’embarras des parents devant l’insistance curieuse qu’ont parfois les enfants. Mais elle est surtout révélatrice d’un important changement de paradigme social. Il est indéniable qu’il y a, en Occident, une perte de connaissance de l’histoire religieuse chrétienne entre les générations. Il y a tout juste 50 ans, n’importe quel enfant occidental aurait immédiatement reconnu les figurines d’une crèche. Après tout, on ne parle pas ici d’identifier une représentation obscure d’un saint méconnu dont le culte a été populaire en Andalousie au tournant du 5e siècle… Nous sommes ici en présence de l’un des trois thèmes majeurs (les autres étant la crucifixion et la Vierge Marie) représentés dans l’art chrétien!
Il me semble qu’il s’agit là d’une faille importante dans le système éducatif. Même dans un état laïc et républicain, il est, à mon sens, inconcevable que la question du christianisme et des symboles lui étant associés soit évacuée de l’enseignement de base.
Je parle ici de rendre compte d’une réalité historique : l’Occident a été chrétien pendant deux millénaires. Son art, son architecture, sa pensée, sa philosophie, ses valeurs sociales, son système politique ont tous été influencés par le christianisme. Quoi qu’en pensent les plus laïcs de nos concitoyens, enseigner cela dans les écoles publiques ne remet pas en cause la séparation des pouvoirs religieux et politiques.
Enseigner notre histoire collective de manière factuelle n’est pas non plus une manière détournée d’évangéliser. C’est simplement une façon de s’assurer de la transmission, même minimale, d’une partie importante de l’identité occidentale.
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