par Bruno Bertez
« L’impérialisme stade suprême du capitalisme ».
Je ne suis pas loin d’envisager que c’est la Chine qui récoltera l’essentiel de la gloire de la victoire de la Russie !
Le fait nouveau de la situation c’est l’implication de la Chine. Elle vient coup sur coup de prendre plusieurs initiatives historiques.
Cette semaine, la Chine a fait ce qui pourrait être l’un des mouvements diplomatiques les plus importants de son histoire récente avec la publication de 3 textes.
Le premier détaille comment les États-Unis, dans la construction et le maintien de leur hégémonie, ont été une sorte de cancer malfaisant sur la planète.
Le second détaille les principes selon lesquels la Chine estime que les relations internationales doivent être conduites.
Le troisième est un plan de paix en 12 points pour résoudre le conflit ukrainien.
Bien qu’elles ne soient pas rejetées en apparence (mais presque aux États-Unis) par l’Occident, de peur d’apparaître comme des bellicistes, les propositions de la Chine sur l’Ukraine seront mises de côté. Ils ne visent pas la victoire totale de l’Ukraine et ils appellent à la sécurité mutuelle qui était à la base des revendications russes avant la guerre. Le milliard doré ne peut accepter d’aller dans ce sens.
La Chine a rendu publique une critique féroce et documentée et convaincante des agissements belliqueux dont les Américains sont responsables depuis des decennies.
Elle a publié une sorte de plan de paix ou de charte du vivre ensemble.
Elle se pose non comme allié des Russes mais au dessus comme une autorité qui regarde de plus haut et essaie d’énoncer ou de rappeler les règles du jeu.
C’est d’ailleurs ainsi que les Russes l’ont avalisé :
RIA Novosti : « Moscou apprécie hautement le désir sincère des amis chinois de contribuer au règlement du conflit en Ukraine par des moyens pacifiques, selon le site Internet du ministère russe des Affaires étrangères. « Nous partageons les vues de Pékin. Nous sommes attachés aux principes du respect de la Charte des Nations unies, des normes du droit international, y compris du droit humanitaire, de l’indivisibilité de la sécurité, selon lesquels la sécurité d’un pays ne doit pas être renforcée aux dépens de la sécurité d’un autre, qui s’applique également à la sécurité de certains groupes de pays », indique le communiqué. »
En fait c’est à mon sens cela le point important, la Chine prend une certaine hauteur, hauteur qui aurait du être prise par les États-Unis si ils étaient encore capable d’exercer un vrai leadership non partisan.
Une fois ces propositions de paix refusées par l’Occident, la Chine aura beaucoup moins de mal à faire valoir au reste du monde que ce qu’elle a dit sur les États-Unis était vrai.
Elle a posé un jalon sur lequel elle va s’appuyer plus tard..
La Chine prend le rôle d’homme sage dans les relations internationales, avant qu’elles ne se déteriorent plus avant.
L’Occident perd une porte de sortie, il est en quelque sorte grillé. Le rejet de l’initiative de la Chine couplé à la montée des sanctions et des politiques anti-chinoises justifiera face au reste du monde le soutien de la Chine à la Russie.
Ce que la Chine essaie de faire est clair et, à bien des égards, c’est admirable. Ils utilisent les forces de l’histoire pour gérer le circonstanciel. Ils surfent sur des forces fondamentales.
Mais même eux ne peuvent pas bloquer les forces de l’histoire.
Les États-Unis ont investi tout leur sens national dans leur hégémonie post-WW2. Tout est cristallisé dans la névrose, dans la folie exceptionnslaiste qui les a submergés.
Lorsque nous prenons en compte les trillions qui dépendent de cette hégémonie – et les trillions sur lesquels ils comptent encore à venir – nous devons nous demander si les Chinois sont naïfs ou cyniques.
Naïfs s’ils pensent que les États-Unis vont faire leur mea culpa et commencer à jouer gentiment alors que leur classe dirigeante subit et va subir des pertes financières massives.
Cyniques si ce qu’ils font est d’essayer de grimper, de se pousser pour priver les États-Unis du monopole du droit moral d’agir dont ils jouissent sans conteste depuis 80 ans, tout en sachant pertinemment qu’historiquement les États-Unis sont incapables de faire volte-face.
Dans tous les cas, toute l’approche est fondée sur l’idée que les États-Unis peuvent « décider » volontairement de changer alors que c’est impossible. Toute la structure du capitalisme américain peut s’effondrer en même temps que sa position hégémonique. Le capitalisme américain repose sur une forme post moderne d’exploitation qui a tout modelé à son profit.
Je veux dire que les Chinois ont lu leur Lénine, n’est-ce pas ! L’impérialisme est incontestablement le stade le plus élevé du capitalisme. Les Chinois savent que ce qui fait l’Histoire ce n’est pas la volonté des hommes, la volonté est un produit pas une cause ; et les forces qui poussent les États-Unis à l’hégémonie belliqueuse sont irresistibles. On est dans le domaine de la Necessité Historique. C’est l’inconscient du système, l’inconscient du regime capitaliste financiarisé qui agit et produit ses effets. Et cet inconscient produit ses propres rationalisations , rationalisations qui débouchent sur la nécessité de la guerre du Péloponnèse.
Ce que je veux dire, c’est que l’hégémonie de l’Amérique n’est pas réductible à une analogie simpliste de « tyran ». Ou a un caprice des néocons ou trostkistes reconvertis. Non c’est une fonction d’une situation historique mondiale extraordinairement spécifique et complexe à la fois à l’intérieur des États-Unis et à l’extérieur des États-Unis. La situation conflictuelle est produite en meme temps par le jeu des forces intérieures qui minent les USA et par le jeu des forces extérieures qui s’exercent sur eux.
On ne peut pas comprendre le niveau d’engagement americain d’abord et occidental ensuite envers l’Ukraine sans prendre en compte cette « histoire incarnée » (comme dirait Bourdieu après Hegel).
L’élite occidentale croit vraiment que la chute de l’Ukraine marquerait son éclipse. Et c’est pour cela qu’elle va aussi loin, qu’elle joue son va-t-tout, qu’elle va loin au point de bruler ses vaisseaux comme elle l’a fait en 2008 quand elle a choisi la fuite en avant. Et que j’ai diagnostique mon fameux : « un jour ou l’autre il faudra qu’il y ait la guerre on le sait bien… !
A-t-elle tort ? Ne sous-estimez jamais à quoi une classe dirigeante se résoudra pour éviter de perdre sa position. « Ils sont méchants et cruels à un point que vous n’imaginez pas ». Les classes dirigeantes occidentales ont tout à perdre et elles le savent, du moins dans les plus hauts niveaux. Elles luttent à mort, – la mort des autres bien sur, pas la leur -, pour garder leurs positions. Elles veulent que l’ordre social issu du capitalisme productif, puis financier et rentier se perpétue. Sa fortune, son patrimoine, son pouvoir, sa domination politique et géopolitique en dépendent : il faut que cela dure et le symbole de cette lutte pour que cela dure c’est le dollar et tout le maillage, le tissus de controle et de complicités qui va avec.
La réalité est que le modèle mondial américain se décompose rapidement. Il a touché ses limites je ne cesse de le répéter ; et il joue les prolongations par la dette, ce qui le mine encore plus en profondeur ; ce sera le retour en force du Réel. La nouvelle étape du capitalisme historique appartient à ceux qui créent de la valeur dans la production. Il s’agit de balayer le parasitisme vampirique du capitalisme rentier financiarisé. C’est le vrai enjeu de la multipolarité.
Les Chinois ont la chance de gagner du terrain avec les évènements en cours.
Quel est leur jeu ici ?
Ils disent au reste du monde : « nous allons rompre avec 500 ans d’exploitation et de domination coloniale européenne. Nous vous aiderons à vous relever sans vous paralyser car si vous vous débrouillez bien, nous nous débrouillerons bien et nous pouvont tous les deux nous enrichir ensemble ».
C’est le sens des initiatives gagnant-gagnant de la route de la Soie, Belt and Road. Ils savent que l’Histoire s’occupera des États-Unis, ils savent que les USA sont pourris par le simulacre et qu’ils se décomposent ; et ils peuvent attendre que cela se termine.
En attendant, la « liste » des 12 points est simplement une liste cadre un peu fourre tout, une liste que personne ne peut refuser car « elle est pour tout ce qui est bien » et « contre tout ce qui est mal ».
Je ne suis pas loin d’envisager que c’est la Chine qui récoltera l’essentiel de la gloire de la victoire de la Russie !
La vraie question de long terme est de savoir ce que la Chine va faire ou ne pas faire en tant qu’alternative hégémonique émergente.
source : Bruno Bertez
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