Par Moon of Alabama – Le 24 février 2023
Cette semaine, la Chine a publié une série de documents et de déclarations accusant les États-Unis d’hégémonie tout en comparant cela aux initiatives de paix chinoises.
Comme les médias « occidentaux » rapportent rarement ce que disent les Chinois, je trouve nécessaire de donner au point de vue chinois un peu d’espace ici.
Larry Johnson ouvre le bal en évoquant la détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine :
Lorsque les États-Unis ont choisi d’abattre le ballon chinois (Pékin insiste sur le fait qu’il s’agissait d’un ballon météorologique, les États-Unis affirment qu’il s’agissait d’une plate-forme d’espionnage) sans contacter le gouvernement chinois, les Chinois ont d’abord exprimé leur indignation en refusant d’accepter un appel téléphonique d’Austin, le secrétaire américain à la défense. Austin continue de demander une conversation téléphonique entre les ministres de la défense des deux pays pour discuter de la situation autour du ballon météorologique, mais Pékin refuse toujours de le faire.
Les Chinois ont alors juré de riposter, mais n’ont pas précisé dans un premier temps ce que ces contre-mesures impliqueraient. Puis, jeudi dernier, Pékin a annoncé des sanctions et des amendes à l’encontre de deux grandes entreprises de défense américaines en raison de leur participation à des ventes d’armes à Taïwan : Lockheed Martin Corp. et une filiale de Raytheon Technologies Corp.
L’administration Biden avait le choix : prendre des mesures pour tenter de réparer les relations avec la Chine ou redoubler d’efforts pour contrarier Pékin. Joe Biden et son équipe d’incapables, qui ont le chic pour faire ce qu’il ne faut pas faire, ont choisi de continuer à contrarier les Chinois. Cette semaine, le ministère américain de la défense et le département d’État ont affirmé qu’ils disposaient de renseignements indiquant que la Chine s’apprêtait à fournir une aide militaire à la Russie et ont averti la Chine dans les termes les plus fermes de ne pas le faire.
Vous parlez d’une hypocrisie. Les États-Unis sont libres de fournir à l’Ukraine des milliards de dollars d’armes et d’équipements, mais se déclarent le seul arbitre pour décider qui la Chine peut soutenir avec une aide militaire. Cela n’a pas amusé Pékin…
La déclaration des services de renseignement américains est intervenue immédiatement après que le grand manitou de la politique étrangère chinoise, Wang Yi (directeur du bureau de la Commission centrale des affaires étrangères), a laissé entendre à Munich que la Chine proposerait un plan de paix pour l’Ukraine :
Sur la question ukrainienne, la Chine estime qu’il est impératif de revenir le plus rapidement possible à l’accord de Minsk II, point de départ de cette affaire. Cet accord est un instrument contraignant négocié par les parties concernées et approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies, et constitue la seule issue viable. Le conseiller d’État Wang a noté qu’à sa connaissance, la Russie et l’UE soutiennent toutes deux Minsk II, et que lors de son récent appel téléphonique avec le secrétaire d’État américain Tony Blinken, la partie américaine a également exprimé son soutien. Dans ce contexte, les parties concernées ne devraient-elles pas s’asseoir ensemble pour une discussion approfondie afin d’élaborer une feuille de route et un calendrier pour la mise en œuvre de l’accord ? Ce que toutes les parties doivent faire maintenant, c’est assumer sérieusement leurs responsabilités et œuvrer pour la paix, au lieu d’accroître les tensions, d’attiser la panique ou d’attiser la guerre.
Quant à la perspective de la question, Wang Yi a souligné que l’Ukraine devait être un pont de communication entre l’Est et l’Ouest, et non une frontière de confrontation entre grandes puissances. En ce qui concerne la sécurité de l’Europe, toutes les parties sont libres d’exprimer leurs propres préoccupations, et les préoccupations raisonnables de la Russie en matière de sécurité doivent être respectées et prises au sérieux. La Chine espère que toutes les parties poursuivront le dialogue et la consultation afin de trouver une solution qui soit réellement propice à la sauvegarde de la sécurité de l’Europe.
La Chine a ensuite pris plusieurs mesures pour préciser son point de vue.
Le 20 février, son ministère des affaires étrangères a publié un document intitulé L’hégémonie américaine et ses périls. Il s’agit d’une véritable charge contre le comportement de la politique étrangère américaine. Ses chapitres sont les suivants :
- Introduction
- L’hégémonie politique – Imposer sa volonté à tout le monde
- L’hégémonie militaire – Le recours à la force
- Hégémonie économique – Pillage et exploitation
- Hégémonie technologique – Monopole et répression
- Hégémonie culturelle – Diffusion de faux récits
- Conclusion
L’introduction expose les faits :
Depuis qu’ils sont devenus le pays le plus puissant du monde après les deux guerres mondiales et la guerre froide, les États-Unis ont agi avec encore plus d’audace pour s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays, poursuivre, maintenir et abuser de leur hégémonie, favoriser la subversion et l’infiltration, et mener délibérément des guerres, portant ainsi préjudice à la communauté internationale.
Les États-Unis ont élaboré un manuel de jeu hégémonique pour mettre en scène des « révolutions de couleur« , provoquer des conflits régionaux et même lancer directement des guerres sous couvert de promouvoir la démocratie, la liberté et les droits de l’homme. S’accrochant à la mentalité de la guerre froide, les États-Unis ont intensifié la politique des blocs et alimenté les conflits et les confrontations. Ils ont poussé à l’extrême le concept de sécurité nationale, abusé des contrôles à l’exportation et imposé des sanctions unilatérales aux autres. Ils ont adopté une approche sélective du droit et des règles internationales, les utilisant ou les rejetant comme bon leur semble, et ont cherché à imposer des règles qui servent leurs propres intérêts au nom du maintien d’un « ordre international fondé sur des règles« .
Ce rapport, en présentant les faits pertinents, cherche à exposer l’abus d’hégémonie des États-Unis dans les domaines politique, militaire, économique, financier, technologique et culturel, et à attirer davantage l’attention de la communauté internationale sur les périls des pratiques américaines pour la paix et la stabilité mondiales et le bien-être de tous les peuples.
Je vous recommande de lire l’intégralité du document pour élargir vos connaissances et vous amuser.
Le 21 février, la Chine a publié un document conceptuel sur l’Initiative de sécurité globale. C’est un document long et un peu confus. Mais il parle d’une coopération approfondie et de processus destinés à désamorcer plusieurs zones d’instabilité mondiale :
Nous sommes convaincus que les tendances historiques de paix, de développement et de coopération gagnant-gagnant sont inarrêtables. Le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde et la promotion du développement et de la prospérité à l’échelle mondiale devraient être la quête commune de tous les pays. Le président chinois Xi Jinping a proposé l’Initiative de sécurité globale (ISG), appelant les pays à s’adapter à un paysage international en profonde mutation dans un esprit de solidarité, et à relever les défis complexes et imbriqués en matière de sécurité dans un esprit gagnant-gagnant. L’ISG vise à éliminer les causes profondes des conflits internationaux, à améliorer la gouvernance de la sécurité mondiale, à encourager les efforts internationaux conjoints pour apporter plus de stabilité et de certitude à une époque volatile et changeante, et à promouvoir une paix et un développement durables dans le monde.
Les deux documents, qui exposent la brutalité de la politique étrangère des États-Unis d’une part et la contrebalancent par les initiatives de paix de la Chine d’autre part, sont la proposition de la Chine au reste du monde pour construire une coalition multilatérale contre les États-Unis et leurs « alliés » par procuration.
Après avoir quitté Munich, Wang Yi s’est rendu à Moscou pour entamer une discussion sur une proposition de paix pour le conflit en Ukraine. Une visite potentielle du président chinois Xi Jinping à Moscou a été annoncée. Elle aura probablement lieu dans les deux ou trois semaines à venir.
Les États-Unis ont exprimé leur inquiétude à ce sujet :
Les États-Unis s’inquiètent d’un rapprochement entre la Chine et la Russie, a déclaré mercredi le département d’État américain après que le président russe Vladimir Poutine a salué les « nouvelles frontières » atteintes dans les liens avec Pékin et indiqué que le président chinois Xi Jinping se rendrait dans son pays.
…
Le porte-parole du Département d’Etat américain, Ned Price, a déclaré que la visite de Wang en Russie à la veille du premier anniversaire de la guerre était une preuve supplémentaire de l’alignement de Pékin sur Moscou.
« Nous sommes inquiets parce que ces deux pays partagent une vision« , a déclaré M. Price lors d’un point de presse. « C’est une vision (…) d’une ère où les grands pays pourraient intimider les petits pays, où les frontières pourraient être redessinées par la force, une ère où la force pourrait faire le droit« , a-t-il ajouté. « Nous n’avons pas encore vu la RPC fournir une aide létale à la Russie, mais nous ne pensons pas non plus qu’elle ait retiré cette possibilité de la table« , a ajouté M. Price.
L’ancien ambassadeur indien MK Bhadrakumar pense que l’initiative chinoise a mis en suspens le nouveau feu d’artifice russe contre l’Ukraine, initialement prévu pour aujourd’hui :
Poutine a confirmé que Moscou attend une visite du président chinois Xi Jinping après les sessions des plus hautes instances délibératives et législatives de Chine – la Conférence consultative politique du peuple chinois et le Congrès national du peuple – qui débuteront à Pékin les 4 et 5 mars. Il est concevable que le lancement d’une offensive russe de grande envergure reste en suspens jusqu’à cette date.
Hier, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a fait référence aux documents d’orientation lors de sa conférence de presse. Interrogé sur la visite de Wang Yi à Moscou, il a déclaré que la Russie adhère pleinement à l’initiative de la Chine :
La Chine et la Russie défendent et pratiquent un véritable multilatéralisme, s’opposent à toute forme d’unilatéralisme et d’intimidation, protègent fermement leur souveraineté, leur sécurité et leurs intérêts de développement respectifs, explorent activement des voies de développement adaptées à leurs conditions nationales respectives et exploitent le potentiel de coopération dans divers domaines. Quelle que soit l’évolution du paysage international, la Chine maintiendra un élan solide pour développer un nouveau type de relations entre grands pays et la Russie. La Chine est prête à travailler avec la Russie pour maintenir la détermination stratégique, approfondir la confiance politique, renforcer la coordination stratégique, élargir la coopération pratique, sauvegarder les intérêts légitimes des deux pays et jouer le rôle constructif des deux pays dans la promotion de la paix et du développement dans le monde.
Interrogé sur la réponse de Ned Price, Wang Wenbin a tiré une autre salve contre les États-Unis :
CCTV : Les États-Unis sont inquiets car la Chine et la Russie partagent une vision, a déclaré le porte-parole du Département d’État américain Ned Price. Quel est votre commentaire ?
Wang Wenbin : La relation Chine-Russie est construite sur la base du non-alignement, de la non-confrontation et de la non-prise pour cible d’une tierce partie. Il s’agit d’un facteur favorable à la paix et à la stabilité dans le monde, ce qui n’a rien d’inquiétant. Ce qui est vraiment inquiétant, c’est le rôle destructeur que les Etats-Unis ont joué pour la paix et la stabilité dans le monde.
Les États-Unis sont le premier fauteur de guerre au monde. Les États-Unis n’ont pas été en guerre que pendant 16 ans au cours de leurs 240 ans d’histoire. Les États-Unis ont été à l’origine d’environ 80 % de tous les conflits armés qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.
Les États-Unis sont également les premiers à violer la souveraineté et à s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays. Selon les rapports, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont cherché à renverser plus de 50 gouvernements étrangers, se sont immiscés dans les élections d’au moins 30 pays et ont tenté d’assassiner plus de 50 dirigeants étrangers.
Les États-Unis sont également la première source d’antagonisme et de confrontation entre blocs. L’OTAN dirigée par les États-Unis est responsable des guerres en Afghanistan, en Irak et en Syrie, qui ont fait plus de 900 000 morts et créé 37 millions de réfugiés. Elle a également rendu le continent eurasiatique moins stable. L’impact de la quadrilatérale initiée par les États-Unis et de l’AUKUS sur la sécurité et la stabilité de l’Asie-Pacifique appelle également à la vigilance.
Tant que l’hégémonisme et la belligérance des États-Unis subsisteront, le reste du monde aura du mal à obtenir la paix qu’il mérite.
La dernière question de la conférence de presse a permis un autre tir :
Reuters : Le Wall Street Journal a rapporté que l’administration Biden pourrait publier des renseignements montrant que la Chine envisage de fournir des armes pour soutenir la guerre de la Russie en Ukraine. Quel est le commentaire de la Chine à ce sujet ?
Wang Wenbin : …
En parlant de la publication de renseignements précieux, les États-Unis pourraient publier des renseignements sur la vérité derrière l’explosion du Nord Stream. Nous espérons que les États-Unis fourniront une réponse sérieuse et responsable à ces révélations dès que possible, plutôt que de rester évasifs.
Aujourd’hui, le ministère des affaires étrangères a publié la position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne. Elle comporte douze points :
- Respecter la souveraineté de tous les pays.
- Abandonner la mentalité de guerre froide.
- Cesser les hostilités.
- Reprendre les pourparlers de paix.
- Résoudre la crise humanitaire.
- Protéger les civils et les prisonniers de guerre.
- Assurer la sécurité des centrales nucléaires.
- Réduire les risques stratégiques.
- Faciliter les exportations de céréales.
- Mettre fin aux sanctions unilatérales.
- Assurer la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement.
- Promouvoir la reconstruction post-conflit.
Le deuxième point est essentiel :
Abandonner la mentalité de guerre froide. La sécurité d’un pays ne doit pas être recherchée au détriment des autres. La sécurité d’une région ne doit pas être obtenue par le renforcement ou l’expansion de blocs militaires. Les intérêts et les préoccupations légitimes de tous les pays en matière de sécurité doivent être pris au sérieux et traités correctement. Il n’existe pas de solution simple à une question complexe. Toutes les parties devraient, en suivant la vision d’une sécurité commune, globale, coopérative et durable et en gardant à l’esprit la paix et la stabilité à long terme du monde, contribuer à forger une architecture de sécurité européenne équilibrée, efficace et durable. Toutes les parties devraient s’opposer à la recherche de leur propre sécurité au détriment de celle des autres, empêcher la confrontation entre blocs et œuvrer ensemble pour la paix et la stabilité sur le continent eurasien.
Ce point souligne la « sécurité égale et indivisible » dont Poutine avait parlé le 23 février 2022. La Chine soutient ainsi pleinement la position centrale de la Russie.
Hier, l’Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution qui exige que la Russie quitte l’Ukraine. Si la majorité des pays ont voté en faveur de la résolution, ceux qui ont voté contre ou se sont abstenus (notamment la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Iran et l’Afrique du Sud) représentent près de la moitié de la population mondiale.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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