par Hans Wurst
Je voudrais creuser une idée essentielle qui est peu developpée chez les commentateurs :
Ce sont d’abord les États-Unis qui mènent un combat existentiel.
Un combat existentiel dans ce qu’ils considèrent comme leur essence : être le Premier, le Souverain, le Maitre du Monde.
Le combat américain et leur erreur ukrainienne ne se comprennent me semble-t-il qu’avec l’aide de cette idée : les États Unis ont pris conscience il y a quelques années de leur déclin, – j’allais dire de leur destin – de l’inexorable chute de leur niveau de vie, de leur régression au rang de simple puissance. Et cela ils ne peuvent pas le supporter ou même l’imaginer. Toute leur culture exceptionnaliste le refuse. Ils s’y accrochent. Même Trump, le paria le reconnait, lui qui a choisi le MAGA, « make america great again », rendre à l’Amerique sa grandeur.
Le terme existentiel est un terme faisant référence à la continuité physique dans le temps et l’espace. C’est la vie réduite à son essence nue. Mais il peut être employée dans un sens abstrait, et être perçu comme une qualité objective – surtout lorsqu’elle est menacée d’anéantissement. Ici je prends ce terme de façon totalement différente du sens courant, je ne suggère pas que que les États-Unis sont concrètement menacés, non ce que je dis c’est que c’est leur statut, c’est l’idée qu’ils se font d’eux même qui sont ménacés.
« The world America made » est un monde imaginaire et c’est cet imaginaire qui est menacé.
Cette guerre concerne à la base le maintien du monde unipolaire. Les États Unis ne peuvent se résoudre a en accepter la mutation en un monde multipolaire dont ils ne seraient qu’une partie. Les Russes et les Chinois l’ont très vite compris et ils ne se sont pas privés de le faire savoir , en particulier auprès des BRIC’s.
Les commentateurs n’arrivent généralement pas à comprendre ce qui se passe car ils ont été nourris au lait de cet exceptionnalisme américain, ils vivent eux aussi dans cet imaginaire. Ils répugnent à remettre en cause leurs catéchismes, au premier rang desquels la conviction que la « nation indispensable » est la seule souveraine digne de définir les paramètres d’un « ordre international fondé sur des règles ».
Les médias en particulier ont intériorisé ce catéchisme. et, ils partagent avec les élites américaine cette perception de soi comme supérieur, irréprochable. Même les vassaux des USA croient conduire la planète vers un destin glorieux sinon juste.
Nous sommes dans l’évangile exceptionnaliste de l’Occident.
Il suffit d’écouter les Borrell et autres pour s’en convaincre : nous ne sommes pas dans l’exceptionnalisme de l’homme blanc mais presque, nous sommes dans une de ses dérivées.
En tant que Maitres du Monde, Souverain, les États-Unis ont le droit et le devoir de gérer la souveraineté mondiale ; ils distribuent la souveraineté, ainsi ils peuvent donner la souveraineté qui leur manque aux Ukrainiens et la retirer aux Russes qui ne la méritent pas, car ce sont des sous-hommes.
Le casting du film que se passent les américains a choisi les « bons », les Ukrainiens et les les « méchants », les Russes. De même en occident , dans les pays, les « bons » sont ceux qui soutiennent l’entreprise de maintien de l’unipolarité, les « méchants » sont ceux qui considèrent qu’elle est dépassée.
La guerre n’est pas une guerre entre deux nationalismes régionaux, l’Ukrainien et le Russe, non c’est une lutte entre l’unilatéralisme occidental et son ennemi préféré, le Russe !
L’unilatéralisme occidental a pour épine dorsale, l’axe anglo américain on l’a vu clairement avec les positions en pointe de Boris Johnson qui veut maintenant être le patron de l’OTAN. Ce n’est donc pas un hasard si l’Empire a choisi sa victime ; la Russie.
La vassalisation de la Russie n’a jamais cessé dêtre l’objectif des anglo-saxons. C’est une ligne directrice historique.
Si vous m’avez suivi jusque là, vous admettez que cette guerre est une lutte existentielle entre la souveraineté russe et la continuité impériale anglo-saxone. Cette interpretation a le mérite d’abord de permettre de comprendre le role en pointe des anglais, ils sont dans une position de déclin desespérée, et ensuite l’aveuglement des élites américaines qui sont sous influence idéologique. Nous ne sommes ni dans le pratique ni dans le réaliste mais dans le mythe historique.
Vous comprenez également que l’Allemagne ne peut être que le rival.
Constat qui donne tout son sens aux actions pour priver l’Allemagne d’énergie bon marché, briser ses liens trop étroits avec la Russie.
La préoccupation la plus lancinante de l’empire Anglo saxon ces dernières années a été l’avancée de la réconciliation russo-allemande et la montée de leur collaboration économique. Depuis des décennies cette perspective d’une association entre les deux pays a toujours été comprise comme la plus grande menace à la domination anglo-américaine sur le monde occidental. Ce développement des liens de complementarité devait être arrêté avant qu’il puisse prendre de l’ampleur. Cette préoccupation est devenue encore plus cruciale après le Brexit britannique qui a renvoyé la Grande Bretagne à ses vieux rêves hégémoniques de puissance maritime. Avec le Brexit la Grande Bretagne a coupé son arrimage continental et a choisi de retourner au Grand Large. À la Grande Politique. L’Ukraine c’est le stratagème de l’Empire pour fracasser le partenariat russo-allemand.
Nous sommes dans les vieux poncifs hypocrites anglo saxons, dans les qualités illusoires et imaginaires de l’Empire, bien sur financées par le crédit, la fausse monnaie, les activités spéculatives et l’échange inégal :
la ville éclatante sur la colline
la nation indispensable
le phare de la civilisation
le champion des nouveaux opprimés qui soit dit en passant sont, si on en croit le patron des services de renseignements british … sont les LGBTQ !
etc etc
Cette interprétation fondée sur le mythe et le risque existentiel abstrait est riche de conséquences car elle permet de comprendre les erreurs commises en lançant cette entreprise ukrainienne. À partir du moment ou les USA/Anglo-saxons se vivent comme supérieurs, exceptionnels, ils ont forcément tendance à considérer tous les autres comme inférieurs et donc à les sous-estimer. C’est ce qui leur est arrivé avec la Russie.
Les décideurs occidentaux n’ont pas réflêchi en fonction de la réalité, non ils ont réflêchi en fonction de la pseudo réalité qu’ils ont imaginé !
Les chefs militaires de l’OTAN, influencés par les politiciens, ont surestimé leur armée par procuration ukrainienne d’un demi-million d’hommes, « bien armés et entraînés aux normes de l’OTAN » et ils ont effectivement dédaigné l’armée russe et ses commandants.
Leur vanité les a persuadés que les Russes se briseraient en morceaux contre une force bien armée, retranchée, guidée par l’électronique americaine si supérieure… Ils étaient si confiants dans le génie de leur plan qu’ils ont encouragé de manière persuasive plusieurs centaines d’anciens combattants de l’OTAN à « partager la gloire » d’humilier les Russes et de faire tomber le régime de Poutine une fois pour toutes.
Ils se sont trompés aux limites du ridicule dans leurs calculs sur les effets des sanctions ; non seulement les russes étaient prêts, ils ont une économie réelle forte, mais en plus les BRICS ont refusé de se joindre aux embargos et sanctions. Le Rouble ne s’est pas effondré, il a rapidement repris son niveau optimum.
Ils se sont trompés en croyant que les Russes manquaient de perspicacité stratégique et de logistique. Ils se sont trompés sur toute la ligne; sans doute la plus grande erreur de calcul de toutes a été de croire que les Russes manquaient de stocks suffisants de munitions pour mener un conflit prolongé de haute intensité.
L’ignorance de l’Histoire
Plongés dans leur irréalisme idéologique, ignorants de l’Histoire, mal renseignés par leurs espions, ils ont ignoré des siècles d’histoire européenne. Ils se sont convaincus d’une manière ou d’une autre qu’ils pouvaient réussir là ou tous les autres avaient échoué : vaincre militairement la Russie et prendre le butin de ses ressources.
Les maitres du monde, les suzerains ont fantasmé une Russie intellectuellement, organisationnellement, culturellement militairement inférieure aux occidentaux. La guerre a prouvé qu’il s’agissait d’une erreur de calcul catastrophique.
Une erreur qu’ils refusent de reconnaitre. Maintenant ils imaginent que les livraisons continues d’armes occidentales à l’Ukraine peuvent geler le conflit, le mettre dans une impasse à partir de laquelle une certaine forme de victoire géopolitique pourra être forgée.
Là aussi ils restent dans l’imaginaire avec leurs mythes des deux cent mille morts russes et de milliers d’unités de blindés, de véhicules et d’artillerie détruits et d’une Force aérienne russe prétendument impuissante.
Dos au mur, soucieux de durer encore un peu, Zelensky évoque une escalade occidentale encore plus poussée sous la forme de missiles à plus longue portée et de F-16 qui pourraient bien permettre aux Ukrainiens de chasser les forces russes du Donbass, de délivrer la Crimée et pourquoi pas d’aller jusquà Moscou . Et pourquoi pas une une intervention directe de l’OTAN qui infligerait aux Russes l’humiliation, l’humiliation tant désirée. Et pourquoi pas une frappe nucléaire préventive ? Le délire est complet pas seulement chez Zelensky, mais en Pologne, chez les pays Baltes, chez Boris Johnson et les irresponsables. Verts allemands.
La différence la plus importante entre les deux camps, l’Impérial et le Russe réside dans le rapport au Réel : les Russes sont dans le réel, l’Empire est dans les airs, dans les bulles, dans la Com, dans le mensonge, dans le mythe et il vit dans l’auto-persuasion.
Les Russes sont entrée dans ce conflit conscients de la réalité qu’ils allaient devoir affronter et, ils étaient beaucoup mieux préparés pour un conflit conventionnel prolongé que toutes les armées de l’OTAN réunies.
Après une année complète de conflit l’économie russe est sur le pied de guerre. Les usines d’armement fonctionnent 24 heures sur 24 depuis des mois déjà, elles produisent tous les types d’armes dont l’année de combat a prouvé qu’elles étaient efficaces. Poutine ne se vante pas, dans son dernier discours devant les élus il s’est adressé non à la communauté internationale mais aux Russes et il a joué la carte du soutien et de l’unité nationale.
Poutine ne cesse d’expliquer qu’il croit au pouvoir de la Vérité. Elle rend fort.
Les niveaux de production russes associés à la mobilisation d’un demi-million de réservistes projettent la perspective d’une armée russe encore plus puissante qu’il y a un an, et de plus en plus forte avec chaque mois qui passe.
Pendant ce temps, tous les « surplus » des vieux stocks de l’OTAN sont épuisés. Les effets d’annonce remplacent les livraisons effectives. Les centaines de chars de combat sont devenus des dizaines, la plupart depuis longtemps hors service et nécessitant d’importantes réparations pour les rendre aptes au combat. Les équipages ne sont pas encore formés.
La réalité incontestable est que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN sont incapables de répondre aux énormes besoins matériels d’une guerre industrielle moderne.
En Prime
Point de vue : les États Unis luttent contre le sens de l’Histoire.
Les États-Unis jouent le jeu avec des règles différentes pour des intérêts différents.
Ils défendent leurs intérêts et seulement leurs intérêts.
Alors que l’EurAsie bénéficierait de la paix, les États-Unis ne bénéficient que de la guerre et de l’hostilité.
Pourquoi ?
Les États-Unis ont en effet un point de vue rationnel – et non pas un pont de vue moral – en ce qui concerne leur position géopolitique sur la planète.
En fait, ils sont tout simplement trop éloignés du centre économique et culturel du monde, qui était, est et sera toujours de plus en plus l’EurAsie.
S’ils « laissent » se développer l’EurAsie (c’est-à-dire : l’énergie de la Russie et de l’OPEP alimentant le potentiel technologique et humain de l’Europe et de la Chine), ils seront simplement laissés pour compte et perdront leur hégémonie.
D’où leur intérêt stratégique à empêcher que cela se produise.
Par conséquent, ils feront tout – et tout signifie n’importe quoi – pour empêcher que cela ne se produise. Ils manipuleront, ils se battront, ils laisseront l’Europe mourir de faim et ils tueront des masses si nécessaire.
Ils ne se soucient pas de la morale et ne se soucient pas que l’histoire les juge avec sévérité, comme ce fut le cas pour les Romains, les Britanniques et le Troisième Reich qui s’en moquaient.
Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec Mearsheimer (que j’admire intellectuellement) disant que seule la Russie est menacée existentiellement.
Les États-Unis se considèrent sont et se considèrent comme menacés parce qu’ils le sont effectivement, en vertu du sens de l’Histoire qui obéit à des forces objectives matérielles.
source : Bruno Bertez
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