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par Aktham Souleimane
De la Grèce qui offre son aide à l’ennemi turc et l’Arménie qui ouvre ses frontières avec le même ennemi historique, en passant par les appels téléphoniques du président égyptien Al-Sissi et du roi Abdallah II de Jordanie au président Bachar al-Assad, à l’atterrissage de l’avion saoudien à Alep, etc., les lignes de démarcation se rompent à un rythme accéléré selon le concept que les spécialistes désignent par la « diplomatie des catastrophes naturelles » [disaster diplomacy].
C’est une diplomatie basée sur le principe consistant à dépasser les querelles et les différences devant l’horreur d’une catastrophe naturelle, puis sur l’exploitation de ce dépassement afin d’aboutir à une situation meilleure et durable sans déterrer les faits du passé. Cependant, le tremblement de terre qui a frappé la Syrie et la Turquie à l’aube du 6 février restera dans les annales comme le premier phénomène de ce que l’on pourrait désigner par les « batailles des catastrophes naturelles ».
En effet, alors qu’un grand nombre de Syriens récupéraient les corps meurtris de leurs bienaimés de sous les décombres et que tous les Syriens essuyaient leurs larmes pour se précipiter au secours de leurs frères, une idée lumineuse germait dans l’esprit des experts de l’OTAN. L’’idée d’exploiter le séisme afin d’obtenir ce qu’ils n’ont pas pu obtenir pendant les années de guerre et de siège. Autrement dit, ils ont décidé de mener la « bataille du séisme » au lieu de mettre en pratique la diplomatie des catastrophes naturelles.
Une volonté clairement manifestée ces derniers jours dans le cadre d’une vaste campagne médiatique et diplomatique menée par l’Occident collectif dans le seul but de forcer « le régime » syrien à accepter, sous la pression d’une résolution contraignante du Conseil de sécurité de l’ONU, l’ouverture de points de passage supplémentaires avec la Turquie, en plus du point de passage ouvert à Bab al-Hawa.
Il est important de rappeler que la question des points de passage frontaliers remonte au mois de juillet 2014 lorsque le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité la résolution 2165 soumise par la Jordanie, l’Australie et le Luxembourg. En pratique, elle permet aux organisations humanitaires des Nations Unies et à leurs partenaires d’acheminer leur aide à travers les frontières de la Syrie « sans » le consentement de l’État syrien.
[ « La résolution 2165 a ouvert quatre points de passage sans que le régime syrien n’ait à approuver l’accès humanitaire », s’est réjouie Mme Samantha Power, la représentante des États-Unis ; tandis que M. Bachar al-Jaafari, le représentant de la Syrie, a accusé certains États membres du Conseil de sécurité d’invoquer l’aide humanitaire pour mettre en œuvre leurs visées expansionnistes en Syrie et au Moyen-Orient.]
Il faut dire que tout au long de ces dernières années d’une guerre sans merci, la campagne malveillante de l’Occident collectif s’est focalisée sur l’aspect humanitaire pour justifier la violation de la souveraineté syrienne. Cependant, entre 2014 et 2023, la situation a changé tant en Syrie qu’à l’international. Ce qui a permis à Damas, avec le soutien de l’allié russe, de concrétiser nombre de succès diplomatiques, à commencer par la résolution consistant à maintenir ouvert un seul point de passage à la frontière turque, celui de Bab al-Hawa non loin d’Idleb, puis à ramener de 12 à 6 mois la validité de cette résolution.
[Avec l’adoption de la résolution 2165 en 2014, puis ses renouvellements successifs, le Conseil de sécurité a mis en place un mécanisme transfrontalier permettant aux agences des Nations unies et à leurs partenaires d’utiliser les points de passage de Bab al-Salam, Bab al-Hawa (tous deux depuis la Turquie), Al-Ramtha (depuis la Jordanie) et Al Yarubiyah (depuis l’Irak), pour acheminer l’aide humanitaire, sans l’accord de Damas… Cependant, le mécanisme s’est vu fortement réduit en 2020 et 2021, avec désormais un seul point de passage encore ouvert, Bab al-Hawa (résolutions 2504, 2533 et 2585), à la suite des vetos de la Russie et de la Chine.]
La dernière prolongation de cette résolution portant sur le point de passage de Bab al-Hawa a été adoptée par le Conseil de sécurité le 9 janvier 2023 sans heurts et dans le calme ; ce que certains observateurs ont attribué à l’affrontement russo-occidental en Ukraine, lequel interdirait l’ouverture de fronts supplémentaires.
Et puis la terre a tremblé et le séisme est apparu pour les dirigeants de l’Occident collectif comme une chance de remonter le temps. D’autant plus que la magie s’est retournée contre le magicien, à partir du moment où leur pratique des doubles standards a éclaté au grand jour du fait de leur tiédeur face à la catastrophe syrienne par comparaison avec leur empressement à aider la Turquie, et aussi, suite à la découverte des effets désastreux des sanctions et plus précisément, des mesures coercitives unilatérales et illégitimes contre la Syrie, sur les chances de survie des victimes coincées par un temps glacial sous les décombres.
Face à ce constat, des voix se sont élevées pour réclamer la levée effective des prétendues sanctions contre la Syrie. Des voix venues d’acteurs internationaux tels que la Russie et la Chine, d’associations humanitaires, ecclésiastiques, populaires et médiatiques. Des voix qui se sont fait l’écho de la souffrance des Syriens, aussi bien dans le monde arabe que dans le camp occidental, pour s’opposer aux sanctions globales et puis à la levée partielle et temporaire annoncée par le Département du Trésor américain :
[Le 9 février, l’office de contrôle des actifs étrangers [OFAC], lequel dépend du Département du Trésor américain, a annoncé la publication de la licence générale 23 ((GL)23] pour la Syrie afin de contribuer aux efforts de secours suite au tremblement de terre ».]
L’article accompagnant le texte de la licence dit : la (GL)23 autorise pendant 180 jours toutes les transactions liées à l’aide aux victimes du séisme qui seraient autrement interdites… afin que ceux qui fournissent de l’aide puissent se concentrer sur ce qui est le plus nécessaire : sauver des vies et reconstruire… Les programmes de sanctions américains ne ciblent pas l’aide humanitaire légitime… Cette nouvelle autorisation s’ajoute aux importantes autorisations humanitaires déjà en vigueur pour les ONG, les organisations internationales (OI) et le gouvernement américain… Si l’allègement des sanctions ne peut à lui seul inverser les défis structurels de longue date et les tactiques brutales du régime Assad, il peut garantir que les sanctions n’entravent pas l’assistance vitale nécessaire suite à cette catastrophe…
NB : Nous avons souligné quelques termes qui résument l’analyse de l’économiste libanais Ibrahim Allouche. Il constate que la levée de l’interdiction de transfert des fonds vers la Syrie, telle qu’elle est présentée dans l’article et le texte de la (GL)23, ne s’applique pas à l’État syrien ou à l’une de ses institutions ou succursales, y compris la Banque centrale syrienne, comme elle ne s’applique à aucune société ou association contrôlée par l’État syrien, directement ou indirectement, à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie, pas plus qu’elle ne s’applique à toute personne travaillant pour l’une ou l’autre de ces entités.
M. AIlouche relève aussi la sinistre ironie du paragraphe (b) de la (GL)23, lequel prolonge l’interdiction d’importer du pétrole syrien et ses dérivés aux États-Unis alors, qu’avec leurs affidés, ils contrôlent 90% des puits de pétrole syriens. Une grande partie du pétrole brut volé est expédié vers le nord de l’Irak où il est vendu à bas prix, tombant parfois à 15 dollars le baril. Il est ensuite raffiné et soit utilisé sur place, soit mélangé avec du pétrole local pour être acheté par la Turquie où une partie est consommée, l’autre partie étant exportée vers diverses destinations, y compris Israël. Autrement dit, les États-Unis d’Amérique sont la source du pétrole syrien volé et non son importateur. D’où sa conclusion : par la (GL)23, les États-Unis tentent tout simplement de sauver leur image de défenseurs des droits humains et d’absorber la pression populaire croissante pour la levée des sanctions ou, plus exactement, du blocus hermétique imposé à la Syrie ; NdT].
C’est alors que l’Occident a tenté de reprendre « l’initiative humanitaire » ; soit à la manière de la ministre allemande des Affaires étrangères, Analina Birbock, laquelle a prétendu que les bulldozers de secours ne pouvaient pas être livrés aux Syriens parce que le « régime a fermé les frontières » en négligeant les conséquences des sanctions américaines adoptées par son pays ; soit par le recours à la force militaire en planifiant un projet de résolution du Conseil de sécurité, lequel serait adopté sous le chapitre VII et obligerait l’État syrien à ouvrir tous les points de passage transfrontaliers faute de quoi c’est la guerre et, au minimum, la poursuite de la propagande meurtrière.
Plus clairement, le but de cette dernière manœuvre au sein du Conseil de sécurité est un nouveau chantage visant la souveraineté syrienne sous le prétexte humanitaire de protéger les Syriens du nord-ouest du pays de la colère de la nature cette fois-ci ; [le nord-ouest syrien étant occupé par la Turquie et les terroristes du Front al-Nosra et Cie ; NdT].
D’où la propagande menée tambour battant par les médias, les réseaux sociaux et de prétendus révolutionnaires syriens, aussi bien en Occident que dans un certain monde arabe. Une propagande inique se résumant à dire : « les victimes du tremblement de terre sont des victimes d’ Al-Assad, l’État syrien n’est pas qualifié pour faire face à la catastrophe, tantôt par manque de volonté, tantôt par manque de compétences, voire par l’absence du sens de ses responsabilités… ».
Ce qui précède permet de comprendre la décision prise par le gouvernement syrien « en accord avec l’ONU » et les départements concernés : l’ouverture de deux points de passage supplémentaires à Bab al-Salam et Bab al-Raï pour une période de trois mois. Par conséquent, les planificateurs occidentaux, qui ne s’attendaient pas à une telle démarche, sont sortis déçus de la réunion du Conseil de sécurité tenue à huis clos le 13 février ; la partie russe s’étant appuyée sur la décision syrienne pour déclarer, en substance : « Nul besoin d’une résolution internationale. L’accord du gouvernement syrien quant à l’ouverture de deux passages supplémentaires est suffisant. Il s’agit d’un territoire syrien comme le reconnaissent tous les membres du Conseil de sécurité, territoire sur lequel l’État syrien a le droit d’exercer sa souveraineté ».
C’est donc par un accord bilatéral entre le gouvernement syrien et l’ONU que Damas a déjoué le piège ourdi par ses ennemis et a réussi à atteindre un double objectif. D’abord, celui de soutenir une aide urgente aux populations du nord-ouest de la Syrie tout en préservant la souveraineté du pays d’une résolution contraignante et extrêmement dangereuse pour la suite. Ensuite, celui de faire comprendre que le séisme est une circonstance exceptionnelle qui ne peut souffrir ni du maintien des sanctions occidentales, ni du maintien de la fermeture de certains passages transfrontaliers. Autrement dit : à circonstance exceptionnelle, procédure exceptionnelle.
Reste à attendre les répliques de la bataille du séisme car, maintenant que l’Occident a perdu sa bataille politique, des tensions supplémentaires sont prévisibles. Et, il n’y a toujours pas la moindre trace d’un bulldozer allemand venu secourir les victimes syriennes de la terrible tragédie…
source : Al-Mayadeen
traduit et commenté par Mouna Alno-Nakhal
PS : M. Souleimane ne pensait sans doute pas si bien prévoir des répliques de la bataille du séisme… La rédaction de ce texte à peine achevée à l’aube de ce 19 février, nous apprenons par l’Agence d’information SANA qu’à 0H22, Israël a envoyé une rafale de missiles depuis le Golan syrien occupé en direction de Damas. Les défenses aériennes auraient intercepté et abattu la plupart des missiles, mais les résultats préliminaires de cette agression comptent 5 morts dont 1 militaire, 15 blessés dont certains sont dans un état critique, des destructions et des dommages matériels dans nombre de quartiers résidentiels dans Damas et ses environs. L’article, non encore traduit par l’Agence, montre des photos en tout point comparables à celles vues suite au séisme qui a frappé la Syrie et la Turquie.
Cette agression plus le massacre commis par les terroristes de Daech, dans le sud-est de la ville de Sokhnah dans la banlieue est de Homs, le 17 février, et dont le nombre de morts s’élève désormais à 68 civils partis ramasser des truffes pour arrondir leurs fins de mois en ces temps difficiles, certains d’entre eux étant toujours portés disparus, en dit long sur les monstres froids qui commandent et qui exécutent… Puissent les morts reposer en paix et les blessés se rétablir au plus vite.
Aktham Souleimane a travaillé pour la radio Voice of Germany, puis pour la chaîne qatarie Al-Jazeera en tant que directeur de son bureau à Berlin avant d’annoncer sa démission le 27 décembre 2012 pour son manque de professionnalisme face aux événements du prétendu printemps arabe.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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