Mme Elghawaby, la pointe de l’iceberg…

Mme Elghawaby, la pointe de l’iceberg…

Ce que certains appellent désormais l’affaire Elghawaby me fait penser à une poupée russe. Vous savez, ce genre de poupée qui en contient quatre ou cinq autres, de plus en plus petites. Amira Elghawaby, la nouvelle représentante d’Ottawa en matière de lutte contre «l’islamophobie», serait la plus minuscule. C’est un peu comme fixer la feuille sans voir la branche, le tronc, l’arbre et la forêt qui lui donnent vie.

Ne retenir que l’image d’une femme voilée qui a vomi sur la francophonie canadienne ainsi que sur le Québec et son effort de laïcité occulte de grands pans d’un débat plus profond sans lequel Mme Elghawaby ne paraderait pas aujourd’hui devant les projecteurs médiatiques. Bien sûr, plusieurs des propos qu’elle a tenus la disqualifient du rôle rassembleur qu’on lui confie. Elle a brûlé les ponts qu’on lui demande de reconstruire.

Cependant, ses propos méprisants sur le Québec sont-ils si différents de ceux qu’on peut lire ou entendre tous les jours dans les médias anglo-canadiens, où plein de bons protestants et catholiques blancs, sans voile, kippa ou turban, nous traitent d’intolérants, de xénophobes ou racistes comme si cela était une évidence? Les sites Web de leurs médias sont allés jusqu’à publier des commentaires génocidaires à notre endroit. Alors les petites vomissures de Mme Elghawaby… on en a vu d’autres!

Non, il faut élargir le regard et fixer le poste pour lequel on a pressenti Amira Elghawaby: «représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie». Déjà là, on a plus de quoi se mettre sous la dent.  Le rôle de la «représentante spéciale» est «de soutenir et d’améliorer les efforts du gouvernement fédéral dans la lutte contre l’islamophobie, le racisme systémique, la discrimination raciale et l’intolérance religieuse». Ce qu’on appelle l’islamophobie n’est qu’un des ingrédients dans la mixture toxique, clairement anti-québécoise, créée par Trudeau.

Le poste de Mme Elghawaby est donc parfaitement intégré à l’offensive juridique, annoncée par Ottawa, contre la Loi 21 du Québec. Les stratèges fédéraux ont mis dans le même pot «racisme systémique» (la baguette magique des multiculturels) et «intolérance religieuse». On ratisse très, très large, compte tenu qu’il n’existe aucun lien essentiel entre racisme et religion. Rendu sur ce terrain, on ne s’enfarge plus dans les fleurs du tapis. On est dans la destruction massive.

Par ailleurs, le simple fait d’avoir identifié l’islamophobie comme priorité sur ce plan porte à interrogation. En 2020, Ottawa avait nommé Irwin Cotler comme «envoyé spécial» du Canada dans la lutte contre l’antisémitisme, mais son mandat est davantage international. Les yeux de Mme Elghawaby ou de quiconque pourrait la remplacer seront tournés vers l’intérieur du pays, et particulièrement vers le territoire où flotte le fleurdelisé. Si je pose cette question c’est que depuis plus de 150 ans, la principale «phobie» au Canada est la francophobie et j’ai beau fouiller les tiroirs de ma mémoire, je n’ai jamais connu de «représentant spécial» en matière de francophobie…

Les poupées grossissent. Nous voici à la troisième: le concept d’islamophobie lui-même, sous-jacent à la création du poste de «représentante spéciale» et au choix de Mme Elghawaby. Le bureau du premier ministre Trudeau la définit ainsi: «Aux termes de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, l’islamophobie désigne le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur ou les actes d’hostilité envers des personnes musulmanes.» Ainsi, le poste et son titulaire s’inscrivent dans une stratégie plus générale de lutte contre le racisme… L’islam, une religion, est ainsi «racisée» peu importe que ses adeptes soient blancs, noirs ou de quelque teinte entre les deux. C’est un peu, beaucoup, odieux… enfin, pas surprenant de ce gouvernement.

Mais au-delà du racisme, on évoque les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d’hostilité envers les personnes musulmanes. Va pour les actes d’hostilité. Tous seront d’accord pour dénoncer et combattre la violence. Mais pour le reste, on nage dans le brouillard ici. Il y a confusion totale ici entre l’islam et l’islamisme. Les amalgames favorisent les préjugés et stéréotypes. Quant à la «peur», peut-on reprocher aux gens d’avoir peur, au moins un tout petit peu, quand on voit ce qui se passe en Iran, en Syrie, en Turquie, au Nigeria ou même dans certains quartiers de Paris? L’intégrisme religieux en politique, le nôtre comme celui les autres, a toujours favorisé les excès, les persécutions et la terreur. La définition ou le manque de clarté de la définition actuelle d’islamophobie au Canada permet l’intrusion du religieux dans les affaires de l’État, et favorise «les stéréotypes, les préjugés et la peur» envers la laïcité de l’État et en particulier contre son incarnation québécoise, avec un peu de francophobie comme glaçage.

Le concept d’islamophobie et la forme qu’il prend au Canada ne s’explique pas tout seul. Il s’insère dans l’idéologie plus globale du multiculturalisme, implantée par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau il y a un demi-siècle dans le but de combattre et d’abattre l’ancien «biculturalisme», le pile du face du bilinguisme et soutien à la théorie d’un pays assis en 1867 sur deux grandes cultures, anglaise et française, moteurs de la dynamique politique. Ce qu’on appelait à l’époque, parfois, la théorie des «deux nations», la française étant de plus en plus concentrée au Québec.

Trudeau père détestait le nationalisme (fédéraliste comme indépendantiste) et préférait un Canada où les droits individuels l’emportaient sur les droits collectifs. Le multiculturalisme est ainsi devenu étendard de l’État et l’est demeuré. Le fait que la liberté totale de religion soit un droit individuel, s’inscrivant dans le vaisseau amiral du multiculturalisme, dicte aujourd’hui la conduite d’Ottawa contre la laïcité de l’État version Loi 21, un droit collectif exercé par la nation québécoise (dois-je ajouter… francophone).

Enfin, au sommet de la pyramide, ou si l’on conserve l’image du début, on trouve la plus grosse poupée, il y a la Constitution. Au début, le multiculturalisme n’était que la politique officielle des gouvernements libéraux à Ottawa. Il n’avait pas d’assise constitutionnelle. Cela a changé en 1982 quand Ottawa, avec le complicité des longs couteaux anglo-provinciaux, a imposé au Québec la Charte des droits et libertés dans laquelle on peut lire à l’article 27: «Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.» Et vlan! Et pour ajouter au poids du coup de masse, on a confié aux juges d’Ottawa (la Cour suprême est nommée par le premier ministre fédéral) le soin d’interpréter la constitution canadienne. Ce dont on ne s’est pas privé.
 

Alors voilà la «poupée russe»:
– la Constitution de 1982
– le multiculturalisme, religion d’État
– la définition fédérale de l’islamophobie
– la création d’un poste de représentant spécial contre l’islamophobie
– la nomination de Mme Elghawaby.

Ne discuter que des antécédents et compétences de cette dernière ne permet pas de comprendre le portrait global. Il faut aller bien au-delà, et s’attaquer au poste lui-même (qui doit être aboli), à la définition tout croche de l’islamophobie, à l’effet dévastateur du multiculturalisme-version-Ottawa et à l’arme constitutionnelle de destruction massive que s’est donné le gouvernement fédéral sans notre consentement.
Mme Elghawaby n’est que la pointe d’un immense iceberg…

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