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Je n’ai rien à redire à l’analyse de Eric Denécé que j’approuve sans réserves.
Elle fait apparaître les responsabilités des uns et des autres dans la poursuite jusqu’au boutiste de cette guerre qui va précipiter le déclin du “camp du bien”.
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Éditorial de Eric Denécé relatif à la guerre d’Ukraine
Fin juillet 2022, lors d’une intervention consacrée à la manipulation de l’information en temps de guerre, je déclarais qu’il était difficile d’analyser aussi finement que l’on pouvait le souhaiter le conflit en cours en Ukraine, les causes réelles de son déclenchement et d’identifier formellement les auteurs de crimes de guerre, car je sais d’expérience, en tant qu’ancien analyste du renseignement, que les faits rapportés par les médias et la plupart des observateurs en temps réel sont toujours partiels, approximatifs ou biaisés, que les différents belligérants rivalisent de désinformation et que les véritables explications n’apparaissent que plus tard, à l’issue du conflit… voire parfois jamais !
Nous en avons aujourd’hui l’illustration, car des faits nouveaux – c’est-à-dire des événements qui étaient « invisibles » en temps réel par les analystes, si ce n’est par une partie des belligérants – sont peu à peu portés à notre connaissance, un an après le début de ce déplorable conflit. Évidemment, il convient d’être prudent même si les sources sont crédibles et qu’elles sont déjà en partie recoupées. Toutefois, ces révélations nous paraissent suffisamment fondées pour que nous les prenions en considération. A partir de celles-ci, il est dès lors possible d’avoir une nouvelle lecture des événements et de donner du sens à des faits et des décisions dont on ne saisissait pas jusqu’alors la logique.
Les deux récentes révélations qui modifient la donne sont :
– les déclarations concordantes de l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett, de l’économiste américain Jeffrey Sachs et des médiateurs turcs, selon lesquelles le gouvernement ukrainien a été à très proche, fin mars 2022, de signer un accord avec la Russie pour mettre un terme au conflit ;
– l’article de Seymour Hersh décrivant la manière dont les Etats-Unis ont procédé pour conduire l’opération de sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 et les conclusions d’un procureur allemand chargé de l’enquête.
La rupture des négociations
Des négociations se sont ouvertes, en mars 2022, quelques jours après le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, à l’initiative d’Israël. Dans une longue interview accordée à la chaine Channel 12, le 4 février 2023, l’ancien Premier ministre de l’État hébreu, Naftali Bennett, a révélé de nombreux détails sur les coulisses de cette médiation.
Il a expliqué que Moscou et Kiev étaient alors disposés à faire d’importantes concessions et qu’une trêve semblait possible : « Je prétends qu’il y avait de bonnes chances de parvenir à un cessez-le-feu » a-t-il affirmé, ajoutant que Poutine acceptait de renoncer aux exigences de « dénazification » et de désarmement de l’Ukraine, tandis que Zelensky consentait à ne plus demander l’adhésion de son pays à l’OTAN. De plus, à l’occasion de sa rencontre avec Vladimir Poutine, Bennett lui a demandé « Comptez-vous assassiner Zelensky ? ». Le chef d’Etat russe lui a alors promis qu’il n’éliminerait pas son homologue ukrainien.
« Tout ce que j’ai fait était coordonné avec les États-Unis, l’Allemagne et la France » a expliqué l’ancien chef du gouvernement israélien. Avant d’entreprendre cette démarche il avait en effet contacté Joe Biden, son secrétaire d’État Antony Blinken, son conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, ainsi que le chancelier allemand Olaf Scholz pour leur proposer d’être un « canal de communication » entre Poutine et Zelensky. Bennett ajoute que la médiation d’Israël « a été coordonnée dans les moindres détails avec les États-Unis, la France et l’Allemagne », qui ont finalement pris les décisions finales. Il affirme en effet que les négociations ont été rompues par les pays occidentaux qui « ont bloqué » le processus, alors même que Bennett avait « l’impression qu’ils voulaient tous les deux [Zelensky et Poutine] un cessez-le-feu ».
Ces révélations sont particulièrement importantes et permettent de comprendre que Zelensky ne décidait de rien, qu’il a accepté de se voir dicter ses décisions par les Occidentaux, et que ce sont ces derniers qui ont refusé la signature d’un cessez-le feu. Seul bémol, Bennett semble donner à la France et à l’Allemagne une importance que nous ne sommes pas sûrs qu’elles aient eu dans ce conflit, dont l’impulsion et la direction reviennent aux Américains.
Les Britanniques sont bien sûr également intervenus dans cette décision. Selon l’ex-Premier ministre d’Israël, « Boris Johnson a préconisé des mesures plus radicales. Macron et Scholz sont plus pragmatiques. Et Biden a soutenu les deux approches ». Au final, il observe qu’ils ont fait le choix de la position la plus radicale, c’est-à-dire celle des Britanniques.
Ainsi, aucune issue n’a pu être trouvée en raison de la « décision de l’Occident de continuer à frapper Poutine », de ne pas négocier et de faire passer un message aux autres États « voyous dans le monde », notamment à la Chine en raison de ses intentions vis-à-vis Taïwan a affirmé Bennett.
Israël n’a pas été le seul État ayant tenté une médiation entre les deux parties, la Turquie s’est également investie afin que le dialogue soit maintenu entre Moscou et Kiev. Et après des débuts de négociations difficiles, il semble là aussi que les pourparlers n’ont pas été loin d’aboutir.
Le 20 mars, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, assure que la Russie et l’Ukraine sont « proches d’un accord » et Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence turque, déclare dans un entretien au quotidien Hurriyetque les deux parties négocient sur six points : la neutralité de l’Ukraine, le désarmement et les garanties de sécurité, la «dénazification», le retrait des obstacles à l’utilisation de la langue russe en Ukraine, le statut de la région séparatiste du Donbass et le statut de la Crimée.
Le 29 mars, les délégations russe et ukrainienne se retrouvent à Istanbul pour un nouveau round de négociations. Le Kremlin qualifie alors les pourparlers de « significatifs » entre les deux pays. Ce même jour, le vice-ministre russe de la Défense, Alexandre Fomine, annonce officiellement le retrait, à compter du 1er avril, des forces russes de la région de Kiev et du nord de l’Ukraine. Moscou présente ce repli comme un gage de bonne volonté dans le cadre des pourparlers avec Kiev. Le 29 mars toujours, Zelensky reconnaît voir des signaux « positifs » dans les négociations russo-ukrainiennes en Turquie, mais déclare que son pays n’a pas pour autant l’intention de relâcher ses efforts militaires .
Le 30 mars, malgré les réserves du camp occidental, le négociateur en chef ukrainien estime que les conditions sont désormais « suffisantes » pour une rencontre au sommet entre Poutine et Zelensky. L’Ukraine se dit prête à adopter un statut neutre en échange de garanties sur sa sécurité, une proposition apparemment bien accueillie par Moscou qui confirme réduire son activité militaire autour de Kiev. Mais dans la soirée, tout bascule : le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, estime que les négociations n’ont donné lieu à « aucune avancée », sans que l’on sache lequel des deux camps est à l’origine de cette impasse.
Jeffrey Sachs a révélé récemment le rôle essentiel de Biden et de la petite cellule de néoconservateurs qui l’entoure –Victoria Nulland (sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques), Jake Sullivan (conseiller à la Sécurité nationale) et Anthony Blinken (secrétaire d’État), principalement – dans cette décision lourde de conséquences pour le peuple ukrainien. Il affirme que Russes et Ukrainiens en étaient alors à la septième ou huitième version d’un document final que devaient signer les deux parties lorsque les négociations ont été subitement interrompues par un revirement de Zelensky.
Selon Sachs, c’est la visite de Biden en Europe à partir du 23 mars – afin de participer à trois sommets internationaux à l’OTAN, au G7 et à l’Union européenne –, puis en Pologne, le 26, qui sonne le glas des négociations et explique le changement de position de Zelensky. Depuis Varsovie, le président américain s’est montré particulièrement intransigeant à l’égard de Moscou et s’est livré à de violentes attaques verbales contre Poutine, le qualifiant de « boucher », déclarant « il ne peut pas rester au pouvoir » et réitérant son soutien indéfectible à l’Ukraine.
Les Russes auraient alors compris que les Occidentaux ne voulaient pas leur permettre de profiter d’une victoire presque acquise et qu’ils allaient devoir faire face à une guerre longue, ce qui n’était probablement pas dans leurs plans initiaux. Est-ce pour cette raison qu’ils ont pris la décision de retirer leurs forces du nord de l’Ukraine pour les redéployer dans le Donbass ou s’agissait-il vraiment d’un geste de bonne volonté l’égard de Kiev dans le cadre des négociations ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’après que les négociations sous les auspices israéliens et turcs aient été bloquées par les Occidentaux, tout dialogue va être définitivement interrompu lorsque Kiev va accuser Moscou – à tort ou à raison – des atrocités de Boutcha.
Le sabotage des gazoducs
Seymour Hersch est une référence incontestée du journalisme d’investigation américain. Lauréat du prix Pulitzer en 1970, les nombreuses affaires qu’il a révélées durant sa carrière – du massacre de My Lai en 1968 à la véritable façon dont s’est déroulée l’élimination de Ben Laden et aux vraies raisons de la guerre en Syrie – font de lui un homme immensément respecté dans les milieux médiatique et politique d’outre-Atlantique. Sa force est de disposer de sources d’une grande qualité – acteurs engagés au cœur du conflit ou proches des centres de décision – et ses articles sont toujours fondés et très sérieux. Ce journaliste chevronné ne se livre jamais à des conjectures gratuites. L’article qu’il a récemment publié mérite donc toute notre attention.
Hersh y décrit précisément l’opération conçue et conduite par la CIA, avec l’aide de la Norvège pour saboter les gazoducs Nord Stream 1 et 2. En juin 2022, à l’occasion d’un exercice naval de l’OTAN en mer Baltique, des plongeurs norvégiens ont installé des explosifs sur les gazoducs et les ont dotés d’un dispositif de mise à feu à distance. C’est un avion de de patrouille maritime norvégien qui déclenchera l’explosion, trois mois plus tard, le 26 septembre, en larguant une bouée acoustique. Seymour Hersh déclare que la décision de saboter les gazoducs, véritable acte de guerre, a été prise en secret par le président américain Joe Biden et son entourage sans en référer au Congrès, afin d’empêcher Moscou de gagner des milliards de dollars grâce aux ventes de gaz naturel à l’Europe.
Évidemment, les autorités américaines ont dénoncé l’article de Seymour Hersh. La porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Adrienne Watson, l’a qualifié de « fiction complète » et celui de la CIA « de complètement et totalement faux ». Pour sa part, le ministère norvégien des Affaires étrangères a déclaré : « Ces affirmations sont fausses ». En toute logique, la réaction des autorités américaines et norvégiennes ne pouvait être qu’un démenti. Mais il ne convainc guère car les informations fournies par le journaliste dans son article sont particulièrement précises et plausibles, et l’on on voit mal qui d’autre que Washington avait intérêt à ce sabotage, d’autant qu’un procureur allemand vient de confirmer qu’il n’y avait aucune preuve contre la Russie dans ce dossier.
Un nouvel éclairage sur les événements
Si comme nous le croyons ces informations sont avérées, cela conduit à éclairer d’un jour nouveau les événements passés et les responsabilités respectives des acteurs impliqués dans ce conflit. Nous formulons donc les hypothèses suivantes qu’il conviendra de confirmer ou d’infirmer.
– L’« opération spéciale » russe a initialement atteint son but : faire plier le régime de Kiev. En dépit de revers militaires localisés et de pertes non négligeables, il devient possible de considérer qu’elle a été une réussite au cours des cinq premières semaines du conflit, car elle a contraint les Ukrainiens à des négociations immédiates qui ont été proches d’aboutir. Cela remet en cause les analyses de nombreux experts et des médias occidentaux qui l’ont hâtivement qualifié d’échec, ou ceux qui ont cherché faire croire – comme la Pologne – qu’il s’agissait d’une invasion de l’Ukraine… prélude à celle de l’Europe !
Tout s’inverse lors du voyage de Biden en Europe, fin mars 2022. Les Occidentaux – c’est-à-dire les Américains et les Britanniques – poussent Zelensky à poursuivre la guerre qui aurait alors pu s’arrêter rapidement, certes aux conditions russes, lesquelles se limitaient alors à la neutralité de l’Ukraine, au Donbass et à la Crimée (il n’était alors pas question de Karkiv, Kherson ou Zaporija ; ces nouvelles revendications de Moscou ont été formulées suite au revirement ukrainien).
– Cela démontre de manière indiscutable que les Etats-Unis sont les vrais responsables de la poursuite de la guerre avec la complicité du gouvernement Zelensky, qui n’est qu’un pion dans leur stratégie. Le « héros » de Kiev, soutenu par la frange ultranationaliste du régime, n’a pas hésité à sacrifier son propre peuple et l’avenir de son pays pour plaire à ses mentors occidentaux.
Ainsi, depuis avril 2022, nous assistons donc bien à une guerre américano-russe par Ukrainiens interposés qui été relancée par Washington pour essayer d’affaiblir – sans succès – la Russie, et dans laquelle les États européens se sont laissés entrainer par russophobie, suivisme ou stupidité confondante.
– C’est là une nouvelle illustration de l’insignifiance des Européens et de leur soumission totale à Washington au détriment de leurs propres intérêts. Si la France se voit reléguée à un rôle de figurant dans cette crise, en dépit des pathétiques gesticulations de son président, c’est surtout l’Allemagne qui paie le prix fort dans ce conflit. En effet, elle a été victime d’un véritable acte de guerre de la part de son allié et protecteur américain avec les sabotages de gazoducs. Mais en dépit du fait que cette opération ait des conséquences désastreuses pour l’économie d’outre-Rhin, ni le gouvernement de Berlin, ni les parlementaires, les médias ou la population n’ont bronché, se couchant littéralement devant Washington qui a ainsi atteint l’un de ses objectifs : couper définitivement l’Allemagne de la Russie en provoquant une rupture irréconciliable entre les deux États ; et réduire l’influence croissante de Berlin en Europe et son poids économique au sein du camp occidental.
Voilà qui change bien des choses quant à notre perception de ce conflit et aux responsabilités des acteurs. Ainsi est mise en lumière la double dimension du piège machiavélique tendu par les néoconservateurs américains :
– rendre la pression sur le Donbass insupportable pour la Russie afin de la pousser à intervenir militairement en Ukraine, de la décrédibiliser sur le plan international et de la couper de l’Europe de l’Ouest ;
– ne pas lui permettre de parvenir à une victoire après ses succès initiaux et l’entraîner dans une guerre longue pour l’affaiblir durablement.
En refusant une sortie négociée du conflit à l’avantage de Moscou en mars 2022, les Américains ont prolongé et aggravé le conflit. Toutefois celui-ci a évolué dans un sens qu’ils n’avaient pas prévu, car ils avaient parié sur un écroulement économique de la Russie. Mais cela ne s’est pas produit, pas davantage que la défaite de l’armée russe sur le terrain ou la mise au ban unanime de Moscou par la communauté internationale. Pire, un nouveau système économique et financier est en train de se mettre en place, qui menace l’hégémonie politique et monétaire de Washington.
Une nouvelle fois, les Américains se révèlent être de piètres stratèges et de vrais apprentis sorciers. Leur stratégie d’affaiblissement de la Russie s’est transformée en une guerre existentielle pour le maintien de leur domination sur le monde. Le piège qu’ils ont tendu pourrait bien se refermer sur eux.
source : Cf2R
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