La guerre civile et l’intervention des États-Unis au Laos de 1954 à 1962 (1ere partie)

La guerre civile et l’intervention des États-Unis au Laos de 1954 à 1962 (1ere partie)
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Il s’agit d’une traduction des 3 derniers chapitres du livre « The Furtive War » (La guerre furtive) écrit par le journaliste australien Wilfred Burchett et publié en 1963. Le récit de Burchett est particulièrement intéressant parce qu’il se trouvait sur place et a été le témoin direct d’une partie de ces évènements. Les 8 premiers chapitres traitent du Vietnam à la même période. Le livre n’a jamais été traduit en français mais on peut en lire l’intégralité en version originale anglaise sur le lien suivant : https://www.marxists.org/burchett/1963/the-furtive-war

Ci-dessous la traduction du neuvième chapitre :

La guerre furtive de Wilfred Burchett, chapitre 9

Contre-révolution
Un assassinat fatidique

Le 18 septembre 1954, le bruit assourdissant d’une arme à feu brisait le silence de la capitale laotienne, Vientiane. L’homme assassiné était Kou Voravong, ministre laotien de la Défense et chef du Parti démocrate du Laos. Ses « crimes », de l’avis de ceux qui ont payé l’assassin thaïlandais – et organisé son vol de retour à travers le Mékong vers la Thaïlande – étaient multiples. En tant que délégué à la Conférence de Genève de 1954, il avait signé les accords de cessez-le-feu, conformément aux instructions de son Premier ministre, Souvanna Phouma. Un autre délégué, son hôte fumeur de cigares cette nuit fatidique, avait refusé de signer. Il s’agissait de Phoui Sananikone, ministre des Affaires étrangères à l’époque de Genève. De plus, à l’Assemblée nationale, Voravong venait de révéler qu’un agent américain avait payé à Sananikone 1 000 000 $ pour ne pas signer, et que l’argent avait été déposé dans une banque suisse.

Kou Voravong et son épouse Sounthone en 1951, lors d’un voyage à Nice en France (Crédit photo : Wikipédia)

Pour ajouter à ses « crimes », Kou Voravong avait dénoncé des plans d’attaque perfide contre les forces du Pathet Lao (NDT: mouvement communiste) alors qu’elles se regroupaient dans les deux provinces du nord aux termes des accords de Genève. Enfin, seulement neuf jours auparavant, l’homme qui gisait désormais immobile sur le sol de la villa de Sananikone avait organisé et participé à la première rencontre entre les princes demi-frères, Souvanna Phouma et Souphanouvong, visant à entamer les négociations politiques entre le gouvernement royal et le Pathet Lao, comme prévu à Genève.

John Foster Dulles

Il a fallu près de huit ans pour remédier aux effets politiques de l’assassinat et à ses implications. Dans la fureur des accusations résultant de l’assassinat, avec des billets en dollars de la CIA à Vientiane aussi abondants qu’une pluie de téléscripteurs de Wall Street, le gouvernement de Souvanna Phouma a été contraint de démissionner. Il a été remplacé par Katay Don Sasorith, qui avait attiré l’attention sinistre de John Foster Dulles avec un livre, Laos – Ideal Cornerstone in the Anti-Communist Struggle in Southeast Asia. Katay et Sananikone étaient les deux politiciens dans lesquels le département d’État, sans parler du département des fonds secrets, plaçait leurs principaux investissements au Laos.

C’était plus qu’une figure de style. C’était littéralement vrai. Toute « l’aide » en dollars américains passait par une banque que Katay avait spécialement fondée à cet effet. Katay, un petit fonctionnaire colonial jusqu’à ce que John Foster le prenne sous son aile, est soudainement devenu le principal capitaliste laotien, avec de lourds investissements dans tous les domaines par lesquels « l’aide » américaine pouvait être acheminée. Il y avait un dicton à Vientiane, lorsque j’ai visité la capitale pour la première fois en 1956 : « Là où il y a du Lao Thai, il y a aussi du Katay ». La banque « Lao-Thai » et le monopole « Lao-Thai » étaient des affaires privées de Katay et de ses amis thaïlandais haut placés, pour écrémer les quelque 50 000 000 $ qui devaient être versés dans le pays chaque année.

Katay Don Sasorith (Crédit photo : Alchetron)

L’un des mouvements les plus modestes de Katay sur l’échelle économique et sociale avait été d’épouser la sœur du prince Boun Oum de Champassac, la plus méridionale des trois principautés d’origine du Laos. Jusqu’à ce que les Américains commencent à les financer, l’essentiel du trésor de Katay et de Boun Oum provenait de la contrebande d’opium, saisi sur des taxes monstrueuses prélevées sur les minorités Lao Xung et Lao Thenh par les agents de Boun Oum. À l’origine, ces transactions sur l’opium étaient passées entre les mains de l’ancien empereur Bao Dai du Vietnam. Plus tard, Katay s’est arrangé pour qu’ils soient acheminés par l’intermédiaire de membres de la famille de Ngo Dinh Diem. Mais ce n’était rien comparé à la récolte d’un premier ministre compradore engagé dans la vente de tout un pays.

Sananikone, qui était devenu le deuxième plus grand capitaliste du pays, a dû se contenter de récoltes beaucoup plus petites, les miettes en fait qui tombaient de la riche table de Katay. Cela provoqua une amère jalousie entre les deux hommes, chacun avait son propre parti politique. Bien qu’il ait organisé l’assassinat de Voravong (comme on le disait librement à Vientiane), bien qu’il se soit montré aussi fidèle agent des États-Unis que le maître le plus exigeant pouvait l’exiger, il avait été presque complètement poussé dans l’ombre par Katay.

De toute évidence, une dette s’accumulait que Katay devait régler après avoir empoché les premiers millions de dollars. Elle a été présentée personnellement par Dulles fin février 1955. Ce dernier s’était rendu à Vientiane après une réunion de l’OTASE (NDT: L’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est, mise en place entre 1954 et 1977, était un pacte militaire pro-occidental et anti-communiste regroupant la Thaïlande ainsi que les Philippines avec des États d’autres régions du monde, États-Unis, France, Royaume-Uni, Pakistan, Nouvelle-Zélande et Australie) à Bangkok. Cinq semaines plus tard, Katay produit les premiers dividendes sur des investissements déjà considérables en ouvrant une offensive contre les troupes du Pathet Lao. Ces derniers, ayant participé à la guerre de résistance contre les colonialistes français pratiquement dans tout le pays, s’étaient repliés dans les deux provinces septentrionales de Sam Neua et Phong Saly conformément aux accords de Genève, en attendant un règlement politique négocié entre le Pathet Lao et le Gouvernement royal.

Dès le début, en effet, Katay avait accepté la demande américaine d’une «solution militaire». En avril 1955, cela devait sembler très facile à Katay. Quelques semaines plus tôt, il avait assisté à la réunion inaugurale de l’OTASE en tant qu’« observateur ». Il avait entendu Dulles se vanter que les États-Unis « avaient maintenant un plus grand potentiel militaire dans le Pacifique qu’au plus fort de la guerre contre le Japon ». Dulles avait répertorié 400 navires de la marine, dont les plus grands porte-avions américains, et 350 000 membres du personnel naval et des marines ; cinq divisions de l’armée et des unités de soutien totalisant 300 000 hommes « armés des dernières armes », 30 escadrons aériens et tout le reste de l’attirail « au bord de la guerre ».

Avec tout cela pour le soutenir, avec des armes et des avions américains et des dollars illimités déjà à sa disposition à l’intérieur du pays, comment Katay aurait-il pu ne pas faire face à quelques centaines de guérilleros du Pathet Lao en quelques semaines ? L’OTASE était là pour le soutenir en cas de difficultés.

Cependant, les choses ne se sont pas développées comme Katay ou Dulles l’avaient prévu. Elles l’ont rarement fait. L’offensive lancée contre Sam Neua, semblait d’abord aller de l’avant. Après quelques semaines, les troupes de Katay avaient poussé pour capturer Muong Peun, à environ 20 miles au sud de la capitale provinciale, et Katay a envoyé un « gouverneur » – une autre violation des accords de Genève qui plaçaient les deux provinces sous l’administration du Pathet Lao en attendant le règlement de l’accord négocié. Dans les mois qui suivirent, les affaires militaires se compliquèrent. Les offensives s’enlisent et les guérilleros harcèlent l’arrière des troupes de Katay. Les bataillons de commandos parachutés par des avions américains sur les sommets et les crêtes des montagnes, au plus profond du territoire du Pathet Lao, ont constaté qu’ils ne pouvaient pas descendre de leurs sommets et crêtes. Ils sont donc restés là-haut et ont mangé les rations froides scientifiquement préparées mais au gout mauvais que les avions américains continuaient de leur larguer. Lorsque les choses tournaient mal sur le champ de bataille, Katay était prêt à négocier, jusqu’à ce qu’il se soit regroupé pour de nouvelles attaques – un schéma constant tout au long de 1955.

Lorsque les deux princes s’étaient rencontrés le 9 septembre de l’année précédente, ils s’étaient rapidement mis d’accord sur le lieu et la date des pourparlers pour un accord politique entre le gouvernement royal et le Pathet Lao, et sur les sujets à aborder. Les pourparlers devaient commencer le 30 décembre. Mais avec Katay en selle et le lancement de l’offensive contre le Pathet Lao, cet effort initial pour exécuter les accords de Genève échoua. Une étude détaillée du déroulement des pourparlers en 1955 rend la lecture fatigante. Ils s’arrêtaient et repartaient selon les exigences des activités militaires de Katay. Avant qu’ils ne soient finalement rompus en novembre 1955, les délégués royaux les avaient interrompus sept fois en partant simplement sans fixer de date pour leur retour. Les délégués du Pathet Lao n’ont pas une seule fois interrompu les pourparlers. Au lieu de cela, ils ont attendu patiemment le retour des délégués royaux. Chacune des cinq fois où les pourparlers ont été interrompus sur la Plaine des Jarres, les délégués du Pathet Lao ont été gardés comme des prisonniers. « Si nous essayions de nous éloigner de plus de cinquante pas de la résidence, m’a dit plus tard Nouhak, l’un des délégués, les militaires armaient leurs fusils. Même si nous devions aller aux toilettes, nous étions suivis par la police ».

Au cours des pourparlers, les délégués de Katay ont exigé la dissolution de toutes les organisations du Pathet Lao, y compris les forces armées, le Front Lao Itsala, les organisations de femmes et de jeunes. Ils voulaient faire revivre le système inique « tasseng » de semi-esclavage, aboli depuis longtemps dans les régions du Pathet Laos.

Après le transfert des pourparlers à Vientiane, une tentative a été faite pour soudoyer les dirigeants du Pathet Lao, mais cela a échoué. Enfin, des pourparlers directs ont été organisés par la Commission internationale entre Souphanouvong et Katay à Rangoon, à partir du 19 octobre 1955. Un accord de cessez-le-feu a été conclu, mais un jour plus tard, les troupes de Katay ont lancé une offensive majeure dans les deux provinces garanties au Pathet Lao par les accords de Genève, Sam Neua et Phong Saly. Au cours des cinq semaines suivantes, les forces de Katay ont lancé 34 attaques. Le prince Souphanouvong m’a raconté après la réaction du Pathet Lao face à la violation ouverte par Katay de l’accord de cessez-le-feu lors d’une interview dans son quartier général de la jungle :

Le prince Souphanouvong en 1978

« Tout a dû être préparé longtemps à l’avance et la touche finale a été donnée alors que Katay signait les accords de cessez-le-feu pour endormir notre vigilance et faire croire au monde extérieur qu’il voulait la paix. La délégation royale a finalement unilatéralement rompu les pourparlers deux semaines après l’accord de Rangoon. À ce moment-là, plus de la moitié de leur armée se trouvait déjà à l’intérieur de nos deux provinces. Ils nous avaient forcés dans une position où les seules alternatives étaient de se rendre ou de se battre. Bien sûr, nous avons décidé de nous battre », a-t-il déclaré. « Et nous nous battrons sous le slogan de la paix, de la démocratie et de l’indépendance. Nous nous battrons et nous vaincrons », a-t-il ajouté avec beaucoup de conviction.

L’offensive futile

À partir de fin novembre 1955, les plus grandes offensives sont lancées contre les positions du Pathet Laos et, en décembre, Katay organise des élections dont les Pathet Lao sont exclus. Vers cette époque, j’ai visité la région du Pathet Lao et j’ai pu rencontrer les dirigeants, les cadres, les soldats de base et les gens qui vivaient dans les régions administrées par ce dernier.

Selon les prisonniers capturés, des « conseillers » militaires américains dirigeaient les opérations depuis une base juste au sud de la province de Sam Neua, à Xieng Khouang. Ils avaient essayé d’envoyer des troupes par voie terrestre, mais celles-ci avaient été bloquées par la guérilla. Des avions ont donc été utilisés pour les parachuter. La stratégie américaine consistait à former une ligne, allant du sud-ouest au nord-est et articulée en un point situé à environ 30 milles de la capitale provinciale. Dès que la ligne serait formée, elle pivoterait sur son axe nord pour engloutir la ville de Sam Neua. D’un coup ou deux, comme des troupes sur un terrain de parade, elle dégagerait la province jusqu’à la frontière vietnamienne.

Comme l’opération de Dien Bien Phu, elle devait paraître bien sur les cartes de guerre que les Américains sont si experts à dessiner lors des préparatifs. Au début, un peloton a été largué sur un sommet de montagne et, comme d’habitude, rapidement anéanti. La fois suivante, deux pelotons ont été largués et éventuellement une compagnie pour chaque pic. Les pics étaient occupés en triangle et chaque coin d’un triangle absorbait une compagnie, un bataillon par triangle. Et il n’y avait que des pics à maintenir dans les provinces de Sam Neua et de Phong Saly. Pire encore, du point de vue des États-Unis et de Katay, les troupes ne pouvaient pas établir de contact entre elles. Elles ne pouvaient pas descendre dans les vallées pour relier leurs positions. Elles ont essayé, mais ont été taillées en pièces par les guérilleros et les troupes régulières du Pathet Lao.

À la mi-décembre, une grande partie des meilleures troupes de l’armée royale ressemblait au malheureux chasseur qui « était monté dans un arbre mais ne pouvait pas en descendre » à cause du tigre qui l’attendait en bas. Six bataillons d’infanterie, une compagnie de parachutistes et 15 compagnies de commandos étaient bloqué au sommet d’un total de 35 pics à Sam Neua, et il y avait des milliers d’autres montagnes à couvrir. Ils ne pouvaient pas bouger et ils ne pouvaient pas se connecter entre eux. Les tentatives de se regrouper et de former une ligne définie leur ont coûté de lourdes pertes. Le feu du Pathet Lao les a renvoyés en courant vers leurs tranchées au sommet des montagnes. Ils ne pouvaient même pas se déplacer pour réquisitionner de la nourriture. Il fallait les ravitailler en parachute.

Les flancs des montagnes sont restés aux mains du Pathet Lao. Derrière les crêtes, toute la zone était tenue par la guérilla. Devant eux se trouvaient les forces régulières du Pathet Lao. Lorsque les ordres furent donnés pour le grand balayage, quelques troupes disjointes ont tenté d’avancer pour se heurter à une grêle de feu. Des conscrits royaux frigorifiés, fatigués et affamés sont descendus des montagnes avec des drapeaux blancs, maudissant Katay, maudissant les Américains et demandant à se rendre. Ils ont été accueillis comme des frères.

La défaite des opérations de novembre-décembre de Katay pouvait être dissimulée pendant un certain temps, mais pas pour toujours. Les hôpitaux de Vientiane étaient pleins de victimes, sans bras et sans jambes, de la politique menée par Katay au nom des Américains. Katay tenta de disperser le plus possible les blessés dans les provinces, et lors de la campagne pour les élections de décembre 1955, menée sans la participation du Pathet Lao, il présenta sa défaite comme une grande « victoire ».

Comme il contrôlait la machine électorale, le parti de Katay a remporté la majorité des sièges. Il convient toutefois de noter qu’à Vientiane, où les procédures de vote et de dépouillement pourraient être plus équitablement contrôlées, le parti dirigé par Thao Bong Souvannavong est arrivé en tête. Il avait fait campagne sur la base de véritables négociations avec le Pathet Lao pour mettre fin à la guerre civile. À son initiative, le groupe « Salut national » s’est formé au sein de l’Assemblée nationale, s’engageant à mettre fin à la guerre contre le Pathet Lao par des négociations, certains membres du propre parti de Katay rejoignant ce groupe. Il y avait une crise gouvernementale prolongée au moment même où la défense obstinée de Sihanouk de la neutralité cambodgienne et le rejet de l’OTASE attiraient l’attention du monde et des Laotiens. Finalement, après presque trois mois de crise, le prince Souvanna Phouma réussit à former un gouvernement. Il s’est engagé à régler le différend avec le Pathet Lao par des « moyens diplomatiques », à poursuivre une politique de neutralité et à fonder sa politique étrangère sur les cinq principes de la coexistence.

Katay et Dulles et tout ce qu’ils représentaient avaient été vaincus. La chute de Katay était un signe qu’un règlement avec le Pathet Lao ne pouvait être réalisé par des moyens militaires. Il ne pouvait y avoir aucune « liquidation » des forces du Pathet Lao et aucune « occupation » militaire des deux provinces du nord.

L’accord de 1956

En juillet 1956, le prince Souphanouvong, chef des forces armées du Pathet Lao, descendit d’un avion à l’aéroport de Vientiane. C’était la première fois qu’il y mettait les pieds depuis plus de dix ans. La majeure partie de la période depuis la bataille de Thakhek en 1946, il l’avait passée dans la jungle. Mais il avait l’air soigné et en forme. Des membres éminents du gouvernement étaient là pour le rencontrer. À sa descente d’avion, il fut accueilli par une chaleureuse accolade de son frère, le Premier ministre le prince Souvanna Phouma avec qui il allait bientôt entamer des négociations. Il y avait d’autres membres du cabinet présents qui avaient également participé au soulèvement d’août 1945 contre les Français et qui avaient été avec Souphanouvong en exil en Thaïlande. L’arrivée du leader du Pathet Lao était le résultat de tâtonnements délicats depuis quelques mois pour jeter les bases de nouvelles négociations.

Il ne fallut pas longtemps avant qu’un accord soit trouvé sur certains principes de base, sur un ordre du jour et sur la forme que devaient prendre les négociations. Celles-ci sont énoncées dans des déclarations communes des 5 et 10 août. Il fut décidé de créer trois commissions, dont deux politiques et la troisième militaire, pour parvenir à un accord sur les différents problèmes en cause. Les commissions ont commencé leurs travaux le 29 septembre et, le 31 octobre, un accord complet avait été conclu sur les détails précis de l’exécution du cessez-le-feu (Depuis que Souvanna Phouma avait pris ses fonctions de Premier ministre, il n’y avait eu pratiquement aucune activité sur le front). Deux jours plus tard, la première commission politique parvenait à un accord sur « les voies et moyens d’appliquer une politique de paix et de neutralité » et tombait entièrement dans le cadre de l’accord de Genève.

L’Accord appelait à une politique étrangère fondée sur les cinq principes de coexistence pacifique ; l’aide de tous les pays désireux d’aider le Laos « sans aucune condition politique ou économique », et l’établissement immédiat de relations diplomatiques avec tous les pays voisins. Il proclame que le Laos « n’adhérera à aucune alliance militaire et ne permettra à aucun pays d’établir ses bases militaires sur le territoire laotien en dehors de celles envisagées dans les accords de Genève ».

Un troisième accord, signé le 24 décembre, garantit les droits civiques aux membres et sympathisants des forces du Pathet Lao, ainsi qu’aux anciens résistants dans tout le pays, « conformément à l’esprit de réconciliation nationale et d’unification de la Patrie et conformément aux aspirations de tout le peuple ».

En outre, le Neo Lao Haksat (Front National Uni Laotien, créé en janvier 1956 comme une version encore plus large du Front Lao Itsala) et tous ses affiliés ont été reconnus comme des organisations politiques légales. Ce serait une infraction punissable de prendre des mesures disciplinaires ou discriminatoires à l’encontre des membres et sympathisants du Pathet Lao ou d’imposer des restrictions à leurs libertés démocratiques en raison de « l’activité militaire, politique ou administrative exercée du 9 mars 1945 à ce jour ». Le personnel du Pathet Lao serait intégré dans les différents services administratifs et techniques en fonction de ses fonctions et de ses rangs dans l’administration du Pathet Lao, avec les mêmes priorités et privilèges que les membres du gouvernement royal.

La joie régnait dans tout le pays lorsque ces trois accords ont été couronnés le 28 décembre par un communiqué conjoint publié par Souvanna Phouma et Souphanouvong annonçant l’intention de former un gouvernement d’union nationale avec la participation du Pathet Lao.

Après la formation du nouveau gouvernement, le Neo Lao Haksat commencerait à fonctionner comme n’importe quel autre parti politique. En ce qui concerne les deux provinces du nord, poursuit le communiqué, « les deux princes ont convenu qu’immédiatement après la formation du gouvernement d’union nationale, l’administration ainsi que les unités de combat dans les deux provinces de Phong Saly et de Sam Neua seraient placées sous le contrôle dudit gouvernement ».

Soldats du Pathet Lao (1962)
La veille de la Saint-Barthélémy laotienne

Si l’accord de décembre 1956 sur la formation du gouvernement de coalition nationale sous Souvanna Phouma apparaît comme une mauvaise blague de l’histoire à la lumière des événements ultérieurs, il est tout de même utile de s’en souvenir en essayant de voir plus loin après l’accord similaire de juin 1962.

L’ambassade des États-Unis a lancé une formidable campagne contre les accords de 1956. Les membres de l’ambassade ont personnellement rendu visite à chaque membre de l’Assemblée nationale pour acheter des votes afin d’empêcher la ratification. Lorsque les pots-de-vin ont échoué, des menaces furent utilisées pour que toute l’aide américaine soit coupée le jour où les « communistes » entraient dans un gouvernement laotien, et les approvisionnements en riz et en pétrole ont été interrompus en guise d’avertissement. J’ai visité Vientiane au plus fort de la campagne américaine avec un visa valable une semaine et rapidement prolongé à deux semaines à l’arrivée à l’aéroport. Mais à la demande spécifique des conseillers américains de la police de Katay, j’ai été expulsé dans les 24 heures. Les Américains ne voulaient pas de témoins oculaires à ce moment-là. Mais j’ai réussi à rencontrer des députés de l’Assemblée nationale qui m’ont parlé des énormes pots-de-vin offerts pour un vote « non » sur les accords.

Il n’y a pas de place ici pour entrer dans toutes les intrigues et les hauts et les bas qui ont suivi. Les pressions américaines ont réussi à retarder la formation d’un gouvernement de coalition jusqu’en août 1957, et une nouvelle série d’accords a dû être négociée en octobre de la même année, prévoyant le contrôle royal sur les deux provinces et l’intégration de deux bataillons Pathet Lao dans l’armée royale. Le prince Souvanna Phouma a dirigé le nouveau gouvernement et a également occupé le ministère de la Défense. Le prince Souphanouvong est devenu ministre de la Planification économique et un deuxième membre du Pathet Lao, Phoumi Vongvichit, a été nommé ministre de l’Éducation. De manière inquiétante, Katay est devenu ministre de l’Intérieur, tandis que Sananikone est devenu ministre des Affaires étrangères. L’administration royale a pris le relais à Sam Neua et Phong Saly en novembre 1957. Les membres du Pathet Lao sont retournés dans leurs villes et villages d’origine,

Les élections « complémentaires », qui devaient se tenir en janvier 1958, ont été reportées à mai, afin que Katay ait plus de temps pour des « préparations adéquates ». Celles-ci comprenaient l’encerclement de chaque bureau du Neo Lao Haksat avec des gardes armés, l’arrestation de quiconque s’y approchait, y compris de nombreux fonctionnaires du Neo Lao Haksat; empêchant toute campagne électorale sous prétexte qu’il s’agissait de « propagande subversive ». Mais les élections ont eu lieu le 4 mai et ont été un choc terrible pour le Département d’État américain. Le Neo Lao Haksat n’a présenté que dix candidats pour les 21 sièges – et neuf ont été élus. Le Santiphap Pencan, ou Parti de la paix et de la neutralité qui leur est allié, a remporté trois des quatre sièges en lice, en plus des quatre qu’il détenait déjà à l’Assemblée nationale. Seuls quatre des 26 candidats de Katay (pour 21 sièges !) ont été élus, et aucun de Sananikone. Les résultats ont créé une panique noire pour Katay et ses bailleurs de fonds américains. Douze députés Pathet Lao et alliés élus sur 14 présentés pour 21 sièges ! Et des élections générales pour les 59 sièges de l’Assemblée nationale d’ici un an! Il n’était pas nécessaire d’être un génie des mathématiques pour prévoir les résultats. Un mois après les élections du 4 mai, Katay et Sananikone ont annoncé qu’ils s’étaient associés pour former le « Rassemblement du peuple laotien ». C’était un travail médiocre et rafistolé et les Américains le savaient. Mais il y avait peu d’autres politiciens qui acceptaient de prendre leur argent à cette époque. Deux jours plus tard, quelque chose de plus proche et de plus cher au cœur de la CIA a été lancé. « Le Comité pour la Défense des Intérêts Nationaux » (CDNI), formé par des officiers de l’armée à l’esprit fasciste dirigé par « l’homme fort » le général Phoumi Nosavan,

Dès lors, les choses devaient aller vite, et de manière satisfaisante en ce qui concernait les États-Unis. Par le simple processus de payer 100 000 dollars à la hausse pour chaque vote à l’Assemblée nationale, les Américains ont renversé le gouvernement de Souvanna Phouma le 22 juillet. Le prince a été invité par Savang Vatthana, le prince héritier, à former un autre gouvernement le lendemain. Deux semaines plus tard, Souvanna Phouma a dû annoncer qu’il n’était pas en mesure de former un gouvernement car le nouveau Comité du général Nosavan, qui ne détenait pas un seul siège à l’Assemblée, réclamait huit des 12 postes ministériels. Sananikone a ensuite été invité à former un gouvernement et, l’ampleur des pots-de-vin américains étant alors si généreuse qu’il fallait être un patriote assez solide pour refuser, il a reçu l’approbation de l’Assemblée nationale par 27 voix contre 21 avec 11 abstentions le 18 août pour un gouvernement qui a violé tous les accords en excluant les deux ministres Neo Lao Haksat. Les ministères de la Défense et de l’Intérieur ont été placés entre les mains de Katay, et comment il a dû se frotter les mains avec joie à ce moment-là.

Maintenant, il pouvait vraiment frapper et se venger de ces défaites humiliantes de 1955. Et il a frappé. Dans les deux provinces du nord, la répression a été particulièrement sauvage. Tous les cadres du Pathet Lao sur lesquels les troupes et la police de Katay ont pu mettre la main ont été assassinés. À Sam Neua, des troupes ont d’abord été envoyées pour sceller les frontières avec le Nord-Vietnam, puis les tueries systématiques ont commencé. À Phong Saly, seul un cadre a pu s’enfuir. Il y avait peu de chances de s’échapper. L’ancien personnel du Pathet Lao était depuis longtemps membre de l’administration royale, à la suite du processus d’intégration convenu. Ils ont été tués à leur poste. Dans le bas Laos ce fut la même chose. Dans la province d’Attopeu, une ancienne base de résistance dans laquelle le personnel du Pathet Lao n’était revenu qu’après les accords d’octobre 1957, les membres de tous les bureaux du Neo Lao Haksat ont été assassinés. Dans les autres provinces, les seules variations concernaient la proportion de personnes tuées par rapport à celles arrêtées. Des têtes décapitées étaient plantées sur des pieux dans les centres de district et de province comme preuve que le Pathet Lao avait physiquement cessé d’exister.

C’était une Saint-Barthélémy laotienne, mais étalée sur plusieurs mois. Katay n’avait pas assez de troupes et de policiers pour faire le travail sanglant d’un seul coup. Les meurtres et les arrestations se sont poursuivis jusqu’au début de 1959, dans le cadre de la préparation essentielle du coup de grâce prévu contre les deux bataillons et de l’arrestation des dirigeants du Pathet Lao. Ce fut la toile de fond de la crise de mai 1959 et de la reprise de la guerre civile.

Connivence de l’étranger

Sur le front international, la réouverture de la guerre civile par le gouvernement de Sananikone a conduit à une activité effrénée. Pour dissimuler l’importation illégale d’armes américaines, Sananikone alléguait (17 janvier 1959) que les troupes du Nord-Vietnam avaient violé les frontières laotiennes. Dans sa réponse, le Premier ministre Pham Van Dong de la République démocratique du Vietnam dénonce la répression féroce du Pathet Lao et dénonce l’importation massive d’armes américaines. Pour examiner l’accusation d’intervention du Nord, qu’il a niée, il a exigé la convocation immédiate de la CIC (NDT: La Commission Internationale de Contrôle était une force internationale créée en 1954 pour superviser la mise en œuvre des accords de Genève qui ont mis fin à la première guerre d’Indochine. Elle surveillait le respect des cessez- le-feu et notait toute violation. L’organisation était composée de délégations de diplomates et de militaires du Canada, de la Pologne et de l’Inde représentant respectivement les blocs non-communistes, communistes et non-alignés.). Le 11 février, lors d’une conférence de presse, Sananikone a annoncé qu’en ce qui concernait son gouvernement, la CIC avait cessé d’exister.

Immédiatement, les gouvernements du Nord-Vietnam et de Chine, en tant que pays voisins et participants à la Conférence de Genève de 1954, ont demandé à l’Union soviétique et à la Grande-Bretagne, en tant que coprésidents de la réunion de Genève, de prendre des mesures contre la répudiation unilatérale par le gouvernement laotien des accords de Genève. Le gouvernement britannique ne répondant pas, l’URSS envoie le 26 mars 1959 une note à Londres proposant que les coprésidents demandent à la CIC de se réunir au plus vite. Le 20 avril, Nehru a également fait une demande similaire.

Il y eut un silence assourdissant de la part du gouvernement britannique.

Puis vint la fuite des deux bataillons du Pathet Lao. Le 30 mai 1959 encore, l’URSS tenta d’amener les Britanniques à convoquer à nouveau la CIC. Les ministres des Affaires étrangères britannique et soviétique se sont rencontrés à Genève (du 4 au 8 juin) pour discuter du Laos, et finalement le 9 juin, dix semaines après la demande soviétique initiale, le gouvernement britannique a daigné répondre qu’il « n’a constaté » aucune violation des Accords de Genève.

Après des défaites retentissantes pour ses troupes dans les provinces du nord par les forces reconstituées du Pathet Lao, Sananikone a de nouveau prétendu qu’une « invasion » du Nord-Vietnam était en cours. Le 4 août 1959, il proclama l’état d’urgence dans les anciennes bases du Pathet Lao de Sam Neua et Phong Saly et dans trois autres provinces. Dans le même temps, il lança un appel à l’aide de l’ONU, réitérant la demande quelques semaines plus tard, exigeant notamment l’envoi d’une « Force d’urgence » des Nations unies. Le 12 août, le gouvernement chinois condamna la répression au Laos, accusa les États-Unis d’intensifier la création de bases militaires près des frontières de la Chine et du Nord-Vietnam, et exiga de nouveau la réactivation de la CIC. Cinq jours plus tard, le gouvernement soviétique exprima de nouveau son point de vue selon lequel des conditions normales pourraient être rétablies si le gouvernement laotien mettait en œuvre les accords de 1954 en coopération avec la CIC. Le 5 septembre, le gouvernement du Nord-Vietnam a exprimé des opinions similaires.

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité tenue le 7 septembre 1959, pour examiner la plainte laotienne. L’URSS a souligné que la campagne de répression du gouvernement de Sananikone avait provoqué la guerre civile et a de nouveau appelé à un retour aux accords de Genève. Le 14 septembre, le gouvernement soviétique appela à une conférence internationale à laquelle participeraient les pays qui ont pris part à la Conférence de Genève de 1954, mais cela a été rapidement refusé par les Britanniques, et un porte-parole du Département d’État américain a déclaré qu’une telle conférence serait « inutile et perturbatrice. » Néanmoins, une décision majoritaire au Conseil de sécurité a entraîné l’envoi d’une mission d’observation de l’ONU au Laos – qui n’a trouvé aucune preuve de forces d’invasion du Nord.

(À suivre)

source : The Furtive War de Wilfred G. Burchett;

Publié : par International Publishers, New York 1963;

Retranscrit : par Emerson Tung pour marxists.org 2007.

source : Marxists via La Gazette du Citoyen
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Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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