L’auteur est syndicaliste
Nous voici gouvernés depuis plus de quatre ans par une coalition politique qui avait comme principal projet de société celui de prendre le pouvoir. Les promoteurs de cette formation improvisée de nationalistes et d’entrepreneurs nous diront que les projets ne manquent pourtant pas. Il y a eu d’ailleurs le projet important de réformer le mode de scrutin qu’on a dû abandonner puisqu’apparemment la classe laborieuse ne se bousculait guère pour en débattre dans les autobus. Ces mêmes autobus qui dépasseront les voitures dans le nouveau tunnel. Un projet sans études, création d’un parti sans membres.
Non seulement ce qui aurait pu être assurément une des réformes les plus démocratiques de notre histoire depuis le droit de vote aux femmes n’est jamais venue sous la CAQ, mais la réalité pandémique a permis à monsieur Legault de gouverner par décrets et de se mettre en scène quotidiennement dans une adresse à la nation où il remerciait sans relâche le monde ordinaire.
Derrière ce spectacle journalier se signaient des contrats sans appel d’offres, question de dispenser en urgence matériel et conseils dorénavant impossibles à fournir par l’appareil étatique, qui souffre de malnutrition, rongé par le ver solitaire néolibéral; doctrine érigée en salut efficace par la totalité des partis politiques qui se sont succédé au pouvoir depuis les quarante dernières années au Québec.
Or, malgré un déficit de légitimité démocratique, la CAQ réussit là où ça compte électoralement. Le tour de force habile, mais – ô comment – consternant relativement au présent gouvernement est sa capacité à s’ériger dans le paysage politique comme le seul représentant des Québécoises et Québécois. En saupoudrant un « nous » aussi inclusif que notre actuel ministre du Travail, le premier ministre attise la division, nourrit la peur et consolide un fonds de commerce émotif. Comme si notre terre était menacée, que ce soit sur le terrain de la laïcité, de nos juridictions constitutionnelles ou de nos frontières.
Parlant de frontières! La frontière conceptuelle du « nous » de François Legault est devenue récemment nébuleuse et elle a trahi son identité véritable lors d’une question au sujet de la démission de la présidente d’Hydro-Québec. Lorsque notre premier ministre a affirmé aux journalistes que Mme Brochu « n’avait pas de problèmes avec nous autres », il ne référait maintenant plus ici au peuple, avec ce « nous », mais à un petit groupe d’individus qui se partagent le pouvoir : Pierre Fitzgibbon et François Legault, deux multimillionnaires qui gouvernent visiblement dans l’intérêt d’eux autres.
Ce qui, pour tout dire, est encore beaucoup plus menacé donc que notre langue, nos consciences, nos frontières et notre terre, c’est nous autres! Derrière les simulacres nationalistes se dissimule une petite classe de gens qui ne font absolument rien pour le peuple. Pendant que ce gouvernement crée le « panier bleu », il laisse un géant comme Amazon venir bafouer nos lois du travail – gagnées par le sang de celles et ceux qui ont extirpé le Québec francophone de sa misère – et il laisse exploiter les Québécoises et les Québécois qui y travaillent par des oligarques étrangers qui ne paient aucun impôt ici.
Pendant qu’il remercie les anges gardiens de la santé, surreprésentés par les femmes et les gens racisés, il les laisse plus souvent qu’autrement crever sans statut, ne reconnaissant au passage ni la crise du logement ni le racisme systémique, pour ne citer que ces réalités largement documentées. Lorsqu’il tire sur les syndicats, c’est aux Québécoises et aux Québécois qu’il s’en prend. À l’heure où les défis sociaux, politiques et climatiques sont plus immenses que jamais, il est grand temps de prendre le pouvoir, nous autres.
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