Affaire Elghawaby: la régression prémoderne du gouvernement fédéral

Affaire Elghawaby: la régression prémoderne du gouvernement fédéral

La nomination d’Amira Elghawaby à titre de représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie du gouvernement fédéral a provoqué toute une controverse. Alors que les uns allaient jusqu’à souhaiter la démission de la principale intéressée, d’autres cherchaient tant bien que mal à justifier, si ce n’est excuser, ses déclarations incendiaires à l’endroit de la population québécoise. S’en est suivi un vif débat sur la laïcité, les lois québécoises y faisant référence, ainsi qu’une relecture psychanalytique de l’histoire du Québec, histoire qui expliquerait la méfiance des Québécois au sujet de la religion. Essayons de démêler tout cela.

Disons les choses clairement: ce n’est pas un hasard si le principe de laïcité a vu le jour dans les sociétés chrétiennes. Participant de l’enseignement de Jésus selon lequel « il faut remettre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12,17; Mt 22,21; Lc 20,25), la théologie catholique a graduellement approfondi la nature de cette distinction des ordres temporel et spirituel.

Deux-mille ans de christianisme ont permis de comprendre que le politique, pour atteindre sa fin propre, devait être régi selon des critères inhérents aux sciences connexes telles que la philosophie, l’économie, la sociologie, etc.

De son côté, le catholicisme a tant bien que mal (et malgré de nombreux soubresauts) assimilé les enseignements de son Maitre. D’où l’évacuation graduelle de ses prétentions temporelles et l’affirmation de sa véritable raison d’être, celle-ci ne consistant pas en l’établissement d’une société chrétienne, puisque « [son] Royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18,35). Il est donc vrai et bien que l’État ne soit pas régi par une autorité tirant sa légitimité d’une révélation quelconque. Si révélation il y a, elle ne peut avoir pour but l’établissement d’un régime politique.

Laïcité et État-providence

La laïcité est donc la formulation politicolégale d’un principe émergeant historiquement et philosophiquement de la théologie catholique. Penser que l’avènement du principe de laïcité et son application se sont opérés parallèlement ou, pire, contre l’Église est une supercherie qui oblitère complètement l’histoire des idées.

Ce court préambule nous aide à y voir plus clair sur la situation actuelle et les problèmes qui en surgissent. Comment appliquer un principe tirant sa source de la théologie catholique à l’ensemble de la société et, donc, à des citoyens ne partageant pas la même foi ? À cela s’ajoute la taille de l’État en régime social-démocrate, qui réduit au minimum l’espace de la société civile (espace occupé en partie par les religions, associations, groupes communautaires, etc.). Vivre pleinement sa foi en régime laïc, là où l’État-providence est partout présent, peut sembler asphyxiant pour plusieurs; je peux le comprendre.

Diminuer la taille de l’État semble donc une avenue plus que raisonnable pour permettre un plus grand « vivre ensemble ». D’un côté, cela laisserait davantage d’espace aux religions, aux associations ou à toute autre organisation, espace de liberté nécessaire à l’accomplissement de leurs missions propres.

Non subventionnées par des fonds publics, ces institutions pourraient, d’une part, opérer selon leurs propres critères organisationnels. D’autre part, un État à taille humaine pourrait continuer d’appliquer un principe de laïcité strict sans que personne ne soit brimé dans sa sensibilité ou croyance.

Les citoyens ayant ainsi la possibilité d’évoluer normalement à l’extérieur de l’État. Ce qui n’est pas le cas en ce moment, vu l’aspect tentaculaire de l’étatisme actuel. La multiplicité des offres de sens à donner à la vie, et l’importance que ces dernières jouent dans la vie des gens nous poussent à revoir nos modèles sociopolitiques hérités de la Révolution tranquille.

Le retour du refoulé

Le respect du principe de laïcité exige de la part de l’État qu’il ne soit pas non plus à la recherche d’une légitimité dans l’ordre du sacré. L’histoire du Québec en est témoin: chercher dans la religion un gage de succès temporel ne peut mener qu’à des échecs.

Or, c’est ce qui est perceptible dans la création même de ce bureau fédéral: au lieu de laisser la religion jouer son rôle au sein de la société civile, on préfère l’intégrer à l’appareil technocratique. On retourne ainsi aux régimes médiévaux, où le trône cherchait à couvrir son autorité des oripeaux du sacré.

En ce sens, l’intégration d’une religion ou d’une autre à l’intérieur des structures du gouvernement est non seulement une vraie régression historique, mais elle est un symptôme d’un État aux prétentions démesurées préférant se théocratiser plutôt que de laisser à la société civile l’espace qui lui revient de droit.

La défiance des Québécois relativement à cette régression prémoderne du gouvernement Trudeau est en ce sens plus que légitime, mais ces derniers devraient s’attaquer aux véritables causes de cette dérive.

La nomination de Mme Elghawaby et le débat qui s’en est suivi ne doivent pas nous faire oublier la logique sous-jacente suivie par les états technocratiques, ce qui nous mène aux excès actuels. Soixante ans d’État-providence et de son hégémonie culturelle ont causé la détérioration graduelle et constante de la société civile.

Faute d’espace, l’ensemble de ses corps intermédiaires réapparaissent inéluctablement au sein même de l’appareil étatique et interfèrent dans son bon fonctionnement. La remise en cause du principe de laïcité ne pouvant mener qu’à une régression sociale et culturelle, il est impératif et urgent de repenser la taille et l’espace occupés par l’État.

Il en va de sa propre survie.

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