Il y a 55 ans, Daniel Johnson menait la charge pourun fédéralisme des nations

Il y a 55 ans, Daniel Johnson menait la charge pourun fédéralisme des nations

 

 

Une doctrine nationale arrivée à maturité

Le 5 février 1968, il y a 55 ans, Daniel Johnson prenait la parole devant tous les représentants du Canada anglais réunis. Il prononçait sans doute le discours le plus important de sa carrière d’homme d’État, un discours remarquable et percutant. Il plaidait un projet de réforme des institutions qui ne sera jamais repris avec la même hauteur, par les premiers ministres du Québec qui suivront. Johnson incarnait alors une doctrine politique élaborée par les Canadiens-Français au cours des décennies précédentes, elle avait atteint le stade de la maturité. Il parlait à l’occasion d’une conférence constitutionnelle qu’il avait lui-même réclamée. Face à lui, Lester B. Pearson, premier ministre du Canada, Pierre Elliot Trudeau, ministre de la Justice nouvellement élu, ainsi que les neuf premiers ministres des provinces anglophones écoutaient perplexes. Ce serait un euphémisme de dire que l’assemblée ne lui était pas favorable. Trois ans plus tôt, Johnson s’était fait remarquer comme l’auteur d’un livre intitulé Égalité ou indépendance. Il n’en fallait pas plus, pour que la partie se joue à un contre dix. Johnson tiendra bon.

 

Logique et persistant, Johnson reviendra sur les thèmes de son livre, élaborant sur la question nationale dans toute son amplitude, revenant sur les fondements historiques des revendications du Québec et du Canada français et, finalement, après avoir brossé le tableau d’une inégalité systémique incrustée dans les mœurs du Canada anglais, prenant la totalité de la question nationale à bras le corps, évitant l’écueil d’un réductionnisme qui l’aurait fait se limiter à quelques enjeux conjoncturels ou à quelques irritants particuliers, il proposa un nombre limité de réformes structurelles très concrètes qui, une fois adoptées, auraient changé la face du Canada.

 

L’allocution est aussi exceptionnelle parce que, contrairement à ce qui arrive souvent pour ce genre d’exercice, Johnson s’exprimait dans un cadre décisionnel et non pas dans une de ces assemblées de partisans conquis d’avance. Que la pugnacité constitutionnelle de Johnson n’ait pas eu de suite n’a pas été sans conséquences malheureuses. Une cascade de reculs suivra. Ses successeurs feront chacun à leur façon des concessions, tenant difficilement le cap à un contre dix, ou prenant carrément congé du front constitutionnel. Il faut admettre qu’il faut des nerfs solides pour résister à la pression dans de telles circonstances. Mais, ce qui est plus grave, c’est que la clarté doctrinale de Johnson s’est assez vite émoussée après sa mort précoce, au point que le directeur de l’Action nationale, François-Albert Angers, conclura en 1980 que le sens de la lutte nationale avait changé.[1]

 

Dans les paragraphes qui suivent, nous allons voir rapidement quelques cas qui illustrent la difficulté qu’ont eue les premiers ministres à tenir la barre face à l’intransigeance canadian.

Nous examinerons ensuite l’affaiblissement puis la rupture du lien qui avait toujours uni la langue française à la culture nationale.

Avant de conclure, nous reviendrons sur les points saillants des propositions constitutionnelles inédites de Daniel Johnson.

 

Tenir la barre à un contre dix

Selon Gilles Lesage, journaliste au Devoir qui couvrait l’événement, Jean-Jacques Bertrand, successeur immédiat de Johnson, aurait peut-être été intimidé au cours d’une séance à huis clos. Il raconte qu’au sortir de la conférence constitutionnelle de février 1969, M. Bertrand, apparemment accablé, ne rend pas public un texte vigoureux qui avait été préparé à l’issue de la conférence. Le document restera dans sa poche. [2]

 

Robert Bourassa, à son tour, aura beaucoup de difficulté à garder le cap. « Robert Bourassa semblait croire qu’en rejetant la Charte de Victoria et en poursuivant les négociations, il allait remporter le gros lot. Il n’en fut rien. De Victoria à Charlottetown, c’est l’érosion du capital de sympathie du Québec dans le dossier constitutionnel qui s’est joué.[3] »

Plus tard, l’échec de l’Accord du lac Meech sera pour Robert Bourassa l’occasion d’une belle prestation d’indignation télévisée, beaucoup s’en souviennent. Mais ses engagements, renforcés par un ton assez solennel, resteront sans suite.

 

Finalement, à l’occasion des négociations de Charlottetown, Bourassa cédera tout, dans un bras de fer à dix contre un.[4] Ses conseillers André Tremblay et Diane Wilhelmy, le 28 août 1992, diront de lui qu’il semble avoir l’habitude de « s’écraser » à la table des négociations. « De Victoria à Charlottetown, il oscille, il hésite et il finit par décevoir. »[5]

 

Pendant ce temps, chez les souverainistes, si c’est différent, ce n’est guère plus reluisant. Sous les coups répétés d’influenceurs fédéraux, une affaire également bien documentée,[6] on s’était interdit toute initiative constitutionnelle, à moins d’avoir obtenu au préalable un mandat référendaire. La chaise sera donc laissée vacante par la partie la plus intéressée à ce que les choses changent. Faute de négociations constitutionnelles, une perte de temps selon plusieurs, on se satisfera d’assemblées publiques et d’un bon gouvernement. C’est Johnson qui était de loin le plus lucide. Son avant-propos du livre Égalité ou indépendance commence avec cette phrase :

 

« L’histoire de la nation canadienne-française est avant tout l’histoire de ses luttes constitutionnelles, l’histoire d’un peuple à la recherche d’une patrie. »[7]

 

Rappelons encore que la souveraineté-association (Lévesque[8]) et la souveraineté-partenariat (Parizeau), une fois les « brumes de la guerre » dissipées, si on peut dire, une victoire référendaire, en dépit de certaines croyances, ne pouvait conduire qu’à la même table où c’était assis Daniel Johnson. La coexistence de deux nations au Canada, certes, dans l’inégalité et l’injustice, on a raison de le dire, remonte à deux siècles et demi. Dans le monde réel, cette relation ne peut se terminer dans sa forme actuelle sans des négociations, vraisemblablement pénibles et pouvant se prolonger quelques années[9] avant qu’un nouveau rapport se décide entre les parties. Penser qu’un tel réaménagement qui établirait une certaine égalité entre les nations peut se faire rapidement relève de la pensée magique. Daniel Johnson en était fort conscient. Même si le rapport de force lui était favorable en 1968, beaucoup plus qu’il ne l’est aujourd’hui, il agissait avec prudence. Il s’était investi de bonne foi dans des négociations où il entendait mettre cartes sur table. Il était relativement avantagé parce que c’était avant deux reculs notables : 1- la fin précipitée de la continuité historique entre le Québec et le Canada français et 2- avant les expériences référendaires, vacuums constitutionnels coûteux qui affaibliront le rapport de force. La dégradation du poids politique du Québec et des Canadiens-Français face à Ottawa était en cours.

 

L’illusion funeste des indépendantistes pressés des années 1960 était que, pour fonder une nation québécoise, une opération en deux temps, il fallait accélérer la séparation du Canada français en deux groupes pour se donner d’abord un territoire bien net. Et dans un deuxième temps, fabriquer un destin commun avec les anglophones du Québec, qu’on appellerait à voter oui dans le cadre d’une nation commune sortie de l’imaginaire. La suite prouva que de séparer le Canada français en deux était plus facile que de séparer le Québec du Canada. Le premier passa, le deuxième ne passera pas.

 

Les états généraux du Canada français, en particulier les assises de 1969, servirent de prétexte pour la dispute. Les Canadiens-Français des autres provinces furent placés au pied du mur, intimés à voter en faveur du droit du Québec à l’autodétermination. Un vote assez déconnecté, du reste, une exigence peu fraternelle quand on songe à la crainte de représailles que redoutait la diaspora canadienne-française dans un tel cas de figure. D’ailleurs, pourquoi demander aux Canadiens-Français de l’ouest de se prononcer sur un tel enjeu, quand on pense que les états généraux avaient pour principale mission d’adopter des positions communes aux Canadiens-Français, en prévision des négociations constitutionnelles qui commençaient ?[10] Cette division de la nation historique, même si pour certains elle était déjà donnée pour morte,[11] ne faisait que contribuer aux objectifs de Trudeau. Selon moi, sans la discorde introduite par des indépendantistes pressés et une vision à courte vue, le profond ressentiment avec lequel les délégués de l’extérieur du Québec repartirent chez eux aurait été évité.

 

Une nation soudée par la langue et la culture remplacée par des locuteurs de l’anglais ou du français

Une nation est constituée pour l’essentiel par une langue et une culture commune. Les deux aspects étant inséparablement liés.

« Je serais bien étonné que les plus réfléchis des Canadiens français eussent encore l’espérance de conserver leur nationalité. » Remarquons tout de suite que Lord Durham, en 1839, ne parlait pas de la perte d’une langue, mais d’une « nationalité ». Ce qui dépasse en implications le seul aspect linguistique.

 

Des insatisfactions apparaissent chez les Canadiens-Français peu après la Confédération de 1867. On ne fera pas un inventaire des causes ici, mais, pour rappel, la création unilatérale de la Cour suprême par Ottawa (1876), les soulèvements populaires à la pendaison de Louis Riel (1880), l’élection du nationaliste Honoré Mercier (1887) et la crise de la conscription de 1917 témoignent déjà de nombreuses frictions. Les promesses d’un fédéralisme décentralisé faites en 1865 ne se réalisent pas. Parallèlement, on assiste à un dynamisme national nouveau stimulé par l’œuvre d’éducation de Lionel Groulx et d’autres intellectuels. Les gouvernements de Maurice Duplessis et de Jean Lesage formulent des revendications d’autonomie armés de dossiers bien étoffés. En juillet 1963, le malaise est si grand que le gouvernement de Lester B. Pearson est amené à former une commission d’enquête « sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme », aussi appelée Commission Laurendeau-Dunton, du nom de ses co-présidents. On notera avec satisfaction que le titre même de la commission projette clairement l’idée d’une nation complète avec la liaison inséparable qui est faite entre la langue et la culture au sens large.

 

Dans son allocution du 5 février 1968, Daniel Johnson insistera pour que la réforme du fédéralisme trouve son inspiration dans les pages de l’Introduction générale au Rapport de la Commission Laurendeau-Dunton, dont le Livre 1 vient d’être rendu public. C’est dire tout le bien qu’il y trouvait, Trudeau n’en voyait aucun.

 

On trouve beaucoup de passages intéressants dans cette fameuse Introduction générale, dont le passage suivant, à l’article 56 : « Nous en concluons que la vitalité de la langue est une condition nécessaire du maintien intégral d’une culture, mais n’en est pas du tout une condition suffisante. II est donc nécessaire de traiter à fond, dans notre rapport, la question du bilinguisme, mais il serait tout à fait insuffisant et, en définitive, illusoire de nous en tenir à cet ordre de considérations et de négliger d’autres conditions également vitales du maintien et du progrès des cultures anglaise et française au Canada. »[12]

 

Par précaution, le 8 novembre 1963, le père Richard Arès, connu pour son engagement dans les milieux nationalistes, intervient à la Commission pour faire valoir à quel point il juge important, dès le départ :

« …qu’il s’agit de biculturalisme, et non pas seulement de bilinguisme, ce qui implique que vous devez examiner la situation faite, non pas seulement à la langue, mais aussi à la culture du groupe canadien-français, ainsi qu’aux institutions qui la soutiennent et la transmettent, telles que, par exemple, les écoles »[13]  

 

Dans son allocution du 5 février, Johnson mettra en garde Ottawa contre l’idée de séparer la langue et la culture nationale :

« Il ne suffit pas en effet d’étendre l’usage du français dans les institutions fédérales et de reconnaître aux minorités françaises des autres provinces des droits collectifs comparables à ceux dont bénéficient déjà les anglophones du Québec; ce n’est là qu’une solution partielle. Il faut surtout que les Canadiens français, s’appuyant sur leur situation majoritaire au Québec, puissent s’y donner des cadres, des institutions, un milieu qui soient parfaitement accordés à leur culture et à leurs aspirations. »[14]

 

Un an plus tard, Jean-Jacques Bertrand, successeur de feu Daniel Johnson, enfoncera le clou à l’occasion de la troisième conférence fédérale-provinciale :

« La dualité canadienne ne tient donc pas seulement à une différence de langues; elle tient, avant tout, à des façons différentes de voir, de sentir, de réagir devant les événements. Un Canadien français n’est pas la transposition dans une autre langue d’un Canadien anglais. Il parle différemment parce qu’il est différent. »[15]

 

Trudeau restera insensible à toutes ces plaidoiries. Il tournera le dos à ce que demandait Johnson, Bertrand, et en général, toute la classe nationaliste canadienne-française. Il fera adopter la loi sur les langues officielles en 1969,[16] une loi qui coupait la langue française de son substrat socioculturel, autrement dit de toute référence nationale. Elle ne reconnaissait pas deux nations au Canada, mais seulement des individus, des locuteurs d’une ou l’autre des deux langues officielles. Trudeau allait donc à l’encontre de l’ouverture manifestée par son ex-patron, L. B. Pearson. Il n’attendra pas non plus que la Commission BB livre son dernier rapport avant de passer à l’action et, du même coup, il balayait du revers de la main les chefs de file nationalistes du Québec.  

 

Ce qui ne laisse pas d’étonner quand on regarde ces événements, c’est la facilité avec laquelle les élites nationalistes (et indépendantistes) acceptèrent le changement de paradigme, passant assez vite au trudeauisme. Par exemple, entre autres conséquences, les associations patriotiques de jadis se redéfinissent en groupes de défense de la langue française.

Trudeau avait créé une opposition d’intérêts entre les francophones du Québec et ceux de l’extérieur. C’était une bonne stratégie pour détruire la nation. Il mettait les deux groupes devant un dilemme à la Salomon, faisait perdre d’un bord ce qui était gagné de l’autre. Selon le principe tordu de la symétrie, ce qui était donné aux Canadiens-Français de l’extérieur devait être donné dans la même mesure aux Anglos du Québec. Cette vision déformée de la réalité en matière linguistique ne pouvait l’emporter dans l’opinion qu’en cas de renoncement à nos intérêts nationaux communs, lesquels pouvaient encore s’affirmer tant que la nation canadienne-française avait ses défenseurs. Le piège institué par Trudeau se situe dans la fragmentation provinciale et la dénationalisation générale. Contre toute attente, les espoirs d’une libération rapide du Québec jouaient en faveur du plan Trudeau, le vrai maître du jeu. Le souverainisme québécois accordait en effet une grande importance au fait de n’être après tout que Québécois.

 

Au fond, pour réfuter l’approche de Trudeau, on ne pouvait y arriver qu’en s’appuyant sur l’enracinement historique des nations canadiennes-françaises et acadiennes, ce que les indépendantistes du Québec, convaincus d’avoir le vent dans les voiles, ne voulaient pas faire. Dans un contexte différent où l’unité nationale eut été sauvegardée, les Canadiens-Français du Québec auraient pu prendre l’initiative, interpeller Trudeau pour lui rappeler qu’il n’y avait qu’une seule nation minoritaire au Canada, et ce depuis 1850. Cette minorité souffrait depuis la Conquête d’un manque de reconnaissance nationale et subissait des pressions incessantes pour s’assimiler. Au Québec, les Canadiens anglais ne jouissaient-ils pas d’un statut plus favorable ? Privilégié même ? N’avait-on pas décrit cette minorité comme la plus choyée du monde ?

 

Pour réfuter Trudeau, on n’a pas osé souvent recourir au concept de minorité dominante, comme on parlait par exemple des Français minoritaires dans leurs colonies africaines. Ils exerçaient néanmoins le pouvoir à titre de détenteurs de la « majorité politique », sans constituer pour autant une majorité démographique. Un jour, René Lévesque s’était échappé, qualifiant notre « majorité politique » québécoise de Rhodésiens ! Pour le sociologue Georges Balandier, « Le volume d’un groupe social ne suffit pas à faire de ce dernier une minorité… »[17] Une minorité statistique ne fait pas d’elle une minorité sociologique, soit une minorité socialement, politiquement et économiquement subordonnée.

 

Bref, le sort de la minorité anglophone au Québec n’a rien à voir avec les fragiles minorités francophones du Canada. Les Anglos du Québec n’ont jamais eu de difficulté à bien financer leurs institutions d’éducation et de santé. Donc, cette minorité confortablement adossée au Canada anglophone et à la puissance anglo-saxonne n’avait pas besoin des protections réclamées par un peuple en voie d’assimilation. Parler de symétrie dans un tel cas est une pure malhonnêteté intellectuelle. La nation canadienne-française a perdu la main quand elle a cessé de réclamer sa pleine reconnaissance par Ottawa. Voilà, selon moi, l’argumentaire qu’il aurait fallu servir à P. E. Trudeau. Et à mon sens, c’est un simple dérivé des solutions mises de l’avant par Daniel Johnson il y a deux générations.

 

Le souverainisme, qui a toujours fait grand cas de sa majorité québécoise, s’est pris au piège de ses propres illusions. On a cru faire de l’aménagement linguistique du territoire un grand chantier, en oubliant que le patron logeait à Ottawa. La situation du Québec est en fait davantage celle d’un Banthoustan, où l’on se drape de tous les apparats et le vocabulaire d’un État souverain, sans en avoir l’autorité. La méprise dans le point de vue des Québécois francophones a été de tenir pour un honneur ou un progrès qu’on les prenne dans la loi sur le bilinguisme comme une majorité. Croyant prendre leurs affaires en main, et laisser les minorités francophones hors Québec loin derrière, ils se retrouvent rattrapé à leur tour par la même menace d’une mise en minorité.

 

Le passage des Canadiens-Français à Québécois francophones, Ontarois, Fransaskois, etc. marque la perte d’une pleine identité. Peu comprennent que beaucoup de nos maux viennent de là. Ce qu’on avait appelé un temps, la lutte nationale a été remplacé par une lutte linguistique amputée de sa profondeur identitaire légitime.

 

Johnson et le fédéralisme à deux

Apportons une précision tout de suite. Ce n’est pas le fédéralisme qui pose problème, le fédéralisme étant une manière d’accommoder des réalités humaines diverses au sein d’un même État. Le fédéralisme est très répandu. Ce qui pose problème c’est le fédéralisme canadien qui est une fraude instituée pour ne pas prendre en compte les réalités nationales et substituer ces dernières (Canadiens-Français, Acadiens…) par des entités administratives territoriales, les provinces. Johnson propose une solution : au fédéralisme à dix, il faut superposer un fédéralisme à deux.

 

Défense de la nation sociohistorique :

« Or, nous savons tous que le peuple canadien n’est pas homogène. Nous savons tous, même si quelques irréductibles feignent encore de ne pas l’admettre, qu’il se compose de deux

nations. À quoi nous servirait-il de fermer les yeux sur cette réalité fondamentale qui s’appuie sur l’histoire, sur la sociologie et sur le vouloir-vivre collectif ? » (Notre soulignement)

« Pour être réaliste, cette constitution devra en outre être conçue comme le principe organisateur non seulement du Canada à dix, mais aussi du Canada à deux. Qu’à l’égard de

certains problèmes, il continue d’y avoir dix provinces juridiquement égales, malgré leurs disparités géographiques et démographiques, nous n’y avons aucune objection; mais par

ailleurs, nous ne voyons pas pourquoi la même constitution ne consacrerait pas aussi, dans les faits comme dans les textes, l’égalité juridique de nos deux communautés culturelles, malgré leur inégalité numérique. »[18]

Si Patrick Taillon et Amélie Binette croient que le statut de Victoria valait mieux que ce qui suivit, c’est dire que si on avait poursuivi dans la veine de Johnson, un Victoria+++, largement bonifié, était possible au bout du processus.[19]

 

Allons-nous vers une constitution fédérale des nations du Québec ?

Aujourd’hui, les Canadiens-Français sont en voie de minorisation numérique au sein même du Québec, les nationalistes civiques se préoccupent de redéfinir la nation pour y inclure la diversité montante. Avec la loi 99 et ses Considérants, a-t-on jeté les bases peut-être inconsciemment de ce qui pourrait être une constitution fédérale des nations du Québec ? Si c’était le cas, les Canadiens-Français, qui sont certes des Québécois, ne sont pas cependant des Abénakis, ni des Mohawks, ni des membres de la « communauté aux droits consacrés », qui sont aussi des Québécois. Par conséquent, dans le cadre d’une future constitution à laquelle plusieurs s’intéressent, les Canadiens-Français devraient prendre leurs dispositions pour ne pas finir dans les limbes politiques. Ils ont eux aussi des intérêts particuliers à défendre, ce que le législateur péquiste, soit dit en passant, ne comprenait visiblement pas en 2000, au moment de rédiger la loi. Pour défendre leurs intérêts nationaux particuliers, les Canadiens-Français n’ont pas d’autre choix, ils devront revêtir de nouveau leur identité historique.

 

Certes, le référendum a quitté l’actualité, mais c’est encore dans son ombre, dans ses replis, dans sa logique que se conçoit toujours la question nationale. Or, un redressement s’impose ici encore une fois, car le droit des nations ne relève pas du droit démocratique, même si c’est dans ce cadre, on pourrait dire dans ce piège, qu’il a été rangé antérieurement. Sans un retour en force d’un droit international à même d’assurer aux petites nations la capacité de se perpétuer dans l’être, de disposer des droits et des pouvoirs nécessaires pour assurer leur avenir, aucun déblocage de la question nationale n’est apparemment possible pour les Canadiens-Français. La seule voie du progrès, et, du reste, de salut, serait entre temps qu’ils réaffirment aussi massivement que possible leur existence à titre de nation socioculturelle et historique, en attendant des jours meilleurs. Faute de prendre cette direction, avec la domination anglo-saxonne qui nous encercle de partout et nous mine de l’intérieur, notre avenir est en péril.

 

Trudeau était un mondialiste, un mondialiste d’avant-garde, dangereux et articulé. L’ingénierie d’État qu’il a mis en place au Canada avait pour but de faire disparaître les nations et de les remplacer par des individus privés de leur droit à une appartenance collective. Dissoudre le tissu national par le biais d’une immigration massive qu’on ne veut surtout pas intégrable. Nous sommes face à la diversité partout et l’identité nationale nulle part. Le mondialisme affecte aujourd’hui l’Europe, les nations d’Europe, qui, au même titre que les Canadiens-Français, commencent à craindre pour leur continuité historique.

 


[1] François-Albert Angers, Les dangers d’une opération référendaire mal engagée et mal conduite, L’Action nationale https://gilles-verrier.blogspot.com/2018/10/en-1980-francois-albert-angers-plaide.html

[2] Le Devoir – Gilles Lesage rapporte le 11 déc. 1969 (p.1 et 2) que « Le premier ministre a laissé entendre que ses collègues des autres provinces à huis clos ont laissé percer une certaine impatience au sujet de l’insistance du Québec à vouloir refaire la constitution du tout au tout. (…) Le plus agressif en ce sens est certainement M. Thatcher de la Saskatchewan qui a déclaré carrément : « Cessons de tenir des conférences fédérales-provinciales uniquement pour examiner les problèmes du Québec. » »

https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2777740?docsearchtext=Le%20Devoir%2011%20d%C3%A9cembre%201969

[3] Patrick Taillon et Amélie Binette, Le Devoir, 5 juin 2021 https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo-histoire/607839/constitution-la-charte-de-victoria-le-premier-bi-bluff-bi-de-robert-bourassa

[5] Patrick Taillon et Amélie Binette op. cit.

[7] Johnson, Daniel, Égalité ou indépendance, 1965, p.11

[8] Faut-il vraiment blâmer le peuple pour l’échec du projet péquiste ?

Je ne veux pas briser mais transformer radicalement notre union avec le Canada

René Lévesque, oct. 1978

Au fond, ce n’est pas si grave que Lévesque ait dit cela. Les positions néo-fédéralistes se retrouvent partout chez lui. Le problème c’est qu’il n’a pas tenu parole. Il porte avec Claude Morin la responsabilité peu honorable d’avoir tu ses engagements constitutionnels en 1981. Qui chez ses partisans n’aurait pas été satisfait qu’il conteste l’agenda constitutionnel imposé par Trudeau ? Qu’il plaide à Ottawa la transformation l’union fédérale ? Qu’il dénonce la subordination pour défendre une relation d’égalité !

https://gilles-verrier.blogspot.com/2018/09/un-bilan-du-pq-sur-la-question-nationale.html

[9] Les négociations du BREXIT ne prirent pas moins de quatre ans

[11] « Ce livre raconte l’histoire d’un peuple qui n’existe plus », même si Yves Frenette dans sa Brève histoire des Canadiens français (Boréal), veut encore enfoncer le clou en 1998 (mais au bénéfice de qui ?), l’idée avait déjà ses partisans et ses acteurs au sein de la mouvance indépendantiste progressiste des années 1960, déjà proche du trudeauisme. Non pas que le maintien d’un Canada français indivisible ne posait pas des défis de taille. Ce maintien était du reste la meilleure défense contre la segmentation provinciale et le péril d’une identité exclusivement linguistique et individuelle. Mais tous les défis seront considérés comme insurmontables, la disparition qui ne trouvera aucun remède devant des instincts de mort qui frappent aujourd’hui à la porte du Québec français lui-même. L’analyse sous-estime assez généralement le rôle d’un Québec, plus prompt à donner le coup de grâce trudeauiste qu’à identifier les motifs de rassemblement. 

[12]  Recommandation no 56 de l’Introduction https://publications.gc.ca/collections/collection_2014/bcp-pco/Z1-1963-1-5-1-1-fra.pdf

[16] Loi sur les langues officielles au Canada https://www.uottawa.ca/calc/loi-langues-officielles-1969

[17] Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Presses universitaires de France, 1982, 4e éd.

[19] Patrick Taillon et Amélie Binette, op. cit

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