Par Ronald Guillaumont
Il y a plusieurs années je me suis déjà attardé sur le fameux « Devoir de réserve » et la Liberté d’Expression qui est un Droit pour chacun d’entre nous. J’avais déjà publié sur le sujet et je pense qu’il est temps de « remettre le couvert » en une seule publication afin que chacun puisse y réfléchir et se faire sa propre opinion.
Préambule :
Devoir ou droit de réserve ?
Encore une fois, lors de l’énoncée des évènements d’actualité, nos reporters et nos élus de différents partis de droite comme de gauche, à tous les niveaux, commentent les différents évènements de l’actualité en utilisant l’expression « Droit de réserve ».
Bien que sachant la différence entre un DEVOIR ou un DROIT, je suis très étonné que nombre de nos intellectuels fassent encore un amalgame entre ces deux expressions de la langue Française.
En effet, en ce moment même sur toutes les chaînes de télévision relatant l’actualité , nous constatons que nos énarques, politiques ou journalistiques, font tous ce même amalgame et chaque fois que j’entends « Droit de réserve », cette expression me fait bondir.
Cet amalgame serait-il voulu ? Car je n’ose croire que nos énarques ne savent pas de quoi ils parlent…
Qu’est-ce que un Droit ?
A mes yeux un Droit est un acquis. Nous avons le droit de vivre, le droit de respirer, le droit de nous déplacer et le droit de nous exprimer. Ces « droits » sont clairement définis dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Droit est donc la Faculté reconnue de jouir d’une chose, d’accomplir une action
Qu’est-ce qu’un Devoir ?
D’une façon simple et compréhensible pour tous, je pense que nous pouvons définir le Devoir comme une « Obligation ». Nous avons le Devoir de laisser vivre notre voisin, nous avons le Devoir de vivre et de respecter les obligations de la communauté à laquelle nous appartenons où à laquelle nous voulons nous associer.
Le Devoir est ce que l’on doit faire selon la loi, les convenances ou règles morales.
Alors ? Pourquoi cet amalgame entre Droit et Devoir ? Ceci serait-il voulu par certains de nos énarques ? Pourquoi pouvons nous très facilement définir les différents devoirs qui incombent à la vie sociétale ou militaire alors qu’en contrepartie il n’existe aucune définition précise du Devoir de réserve ? Remarquez bien que j’ai dit Devoir de réserve.
Je pense détenir une partie de la réponse…
En définissant précisément le « Devoir de réserve » nous lui donnons donc un cadre et par la même nous ouvrons la voie à la liberté d’expression.
En refusant de définir ce cadre nous réduisons la liberté d’expression à moins que son minimum, nous la réduisons à la simple appréciation de l’autorité directement supérieure, c’est à dire que la liberté d’expression devient une chimère n’ayant plus aucune existence légale.
Un devoir est une obligation qui peut être de nature juridique ou morale. Les devoirs constituent la contrepartie des droits des citoyens.
Que sont des libertés et des droits fondamentaux ?
Il s’agit des libertés et les droits reconnus par la constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la constitution de 1946 (repris par celle de 1958) et les principes fondamentaux auxquels ces textes renvoient. Ils sont à la base de la démocratie et le Conseil constitutionnel a fortement contribué à renforcer leur respect.
On peut distinguer différentes catégories :
- les droits inhérents à la personne humaine : ils sont pour la plupart établis par la Déclaration de 1789. Il s’agit de l’égalité (art. 1), de la liberté, de la propriété, de la sûreté et de la résistance à l’oppression (art. 2) ;
- les droits qui sont des aspects ou des conséquences des précédents : ainsi du principe d’égalité découlent, par exemple, le suffrage universel (Suffrage universel : Droit de vote accordé à tous les citoyens majeurs.), l’égalité des sexes, mais aussi l’égalité devant la loi, l’emploi, l’impôt, la justice, l’accès à la culture.
Le principe de liberté induit l’existence de la liberté individuelle, d’opinion, d’expression, de réunion, de culte, de la liberté syndicale et du droit de grève. (Grève : Arrêt du travail par les salariés d’une entreprise ou d’un service pour la défense de leurs intérêts communs..) Le droit de propriété implique la liberté de disposer de ses biens et d’entreprendre.
Le droit à la sûreté justifie l’interdiction de tout arbitraire, la présomption d’innocence, le respect des droits de la défense, la protection de la liberté individuelle par la justice ;
- les droits sociaux, c’est-à-dire les prestations à la charge de la collectivité : comme le droit à l’emploi, la protection de la santé, la gratuité de l’enseignement public.
Selon la Déclaration de 1789, l’exercice de ces droits et libertés fondamentaux n’a de limites « que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits » (art. 4).
Qu’est-ce qu’un devoir ?
Un devoir est une obligation qui peut être de nature juridique ou morale. Les devoirs constituent la contrepartie des droits des citoyens.
Dans un sens juridique, le mot « devoir » est employé comme synonyme du mot « obligation ». Un vendeur a donc le devoir de livrer l’objet qu’il a vendu, tandis que l’acheteur a le devoir de payer le prix de cet objet. Bien souvent, ce terme désigne des obligations juridiques dont la connotation morale est importante (ex : les devoirs du mariage).
Le terme de devoir peut aussi désigner une réalité plus morale, qui doit guider le citoyen dans son comportement dans l’espace public. On pourrait évoquer le devoir de respecter la propriété d’autrui. S’il recouvre des obligations juridiques, il est affirmé comme une obligation plus large pour le citoyen à l’égard des autres. Dans cette perspective, on peut rappeler que le régime de l’an III (1795) avait placé, pour la première fois dans l’histoire institutionnelle française, en préambule à sa Constitution, une « déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen ».
Cette notion de devoir retrouve aujourd’hui une certaine actualité. Face aux incivilités et violences urbaines, mais également face à la montée de l’abstention, (Abstention – Non participation à un scrutin), on fait valoir que si le citoyen jouit légitimement de ses droits, il est aussi contraint de respecter des devoirs qui résultent également de sa qualité de citoyen.
Ainsi, peut-on lire sur les cartes d’électeurs la mention » Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique « . De même, la loi du 26 novembre 2003 sur la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (Nationalité : Lien juridique donnant à un individu la qualité de citoyen d’un État.) introduit un entretien individuel dans la procédure de naturalisation (Naturalisation : Procédé par lequel un individu acquiert une nationalité autre que sa nationalité d’origine.). Le candidat doit y faire preuve d’une connaissance suffisante des droits, mais aussi des devoirs, conférés par la nationalité française.
En conclusion et au vu de ce qui précède je suis intimement convaincu que c’est de manière volontaire que nos dirigeants font l’amalgame entre Droits et Devoirs.
Comment nos Énarques pourraient-ils ainsi se tromper si ce n’était dans le but de tromper le petit peuple et ainsi se cacher derrière un devoir non défini législativement ?
Ronald Guillaumont
Le Devoir de réserve
Et non pas le « Droit de réserve »comme certains si souvent le disent. D’autres s’essaieront à le nommer autrement ; « devoir de loyauté, obligation de réserve»
Quelque soit le nom qu’on lui donne, le devoir de réserve, qui est une notion souvent évoquée, n’existe pas dans le droit administratif de la fonction publique en France.
Le seul texte de référence est la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il s’agit de la loi Le Pors. Dans ce texte il n’est nulle part fait mention d’un « devoir de réserve », ni d’une « obligation de réserve ». Nous développerons ceci ci-dessous.
En attendant il serait intéressant que chacun fasse son analyse et y apporte son commentaire ou ses idées. C’est seulement et seulement ainsi que les Gendarmes, les militaires et les Citoyens pourront avancer en matière de liberté d’expression en espérant qu’ils finiront par se faire entendre dans un premier temps et ensuite se faire écouter.
Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Loi dite loi Le Pors.
Anicet Le Pors, qui fut ministre de la Fonction Publique de 1981 à 1984 et qui à ce titre fut l’auteur de cette loi de référence, a publié dans le journal « Le Monde » du 31 janvier 2008 une tribune où il revient sur les principes qui ont guidé la rédaction de ces textes sur le statut général des fonctionnaires.
Il y explique notamment que c’est volontairement que le devoir de réserve n’a pas été intégré aux obligations des fonctionnaires, laissant à la jurisprudence le soin de réguler certaines situations rares et très particulières : un amendement tendant à inscrire l’obligation de réserve dans la loi a été rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983, et il fut alors précisé que celle-ci était « une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas.
Dans cette même tribune, Anicet Le Pors précise que ce supposé « devoir de réserve » des fonctionnaires ne saurait en aucun cas être confondu avec le « secret professionnel » et la « discrétion professionnelle » évoqués dans l’article 26 de la loi, qui concernent « les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ». Il ne peut donc s’agir des faits, informations ou documents portés à la connaissance de tous les citoyens (par exemple des lois ou projets de lois, ou des déclarations publiques des membres du gouvernement).
Plus important, Anicet Le Pors rappelle l’article 6 de la loi : « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. » Et Le Pors renvoie alors à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, (…) pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », rappelant par là que la loi sur le statut des fonctionnaires ne saurait s’opposer à la Déclaration de 1789, sauf à dénier aux fonctionnaires leur qualité de citoyen !
Une réponse à une question écrite d’un député, publiée au Journal Officiel de l’Assemblée nationale (JOAN du 8-10-2001), fournit les mêmes explications avec des mots différents (Voir ICI) : « L’obligation de réserve, qui contraint les agents publics à observer une retenue dans l’expression de leurs opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire, ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique. »
Ce texte du J.O. précise : « Il s’agit d’une création jurisprudentielle, reprise dans certains statuts particuliers, tels les statuts des magistrats, des militaires, des policiers… ». Il ne s’agit donc pas d’une obligation statutaire s’appliquant à tous les agents du fait qu’ils sont agents du service public (titulaires ou non), mais d’une contrainte organisée au cas par cas seulement pour certains fonctionnaires, du fait de leur fonction spécifique (magistrats, militaires, policiers…) ou de leur position dans la hiérarchie (ambassadeurs, préfets…).
Et encore, pour aucun de ces fonctionnaires, l’obligation de réserve n’est inscrite nommément dans leurs statuts (hormis pour les membres du Conseil d’ État dont le statut invite chaque membre à « la réserve que lui imposent ses fonctions ».
le texte du J.O. rappelle que « c’est à l’autorité hiérarchique dont dépend l’agent (…) qu’il revient d’apprécier si un manquement à l’obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d’engager une procédure disciplinaire ». Il faut à ce propos noter que lorsque les médias rapportent des cas de fonctionnaires sanctionnés pour manquement à « l’obligation de réserve », en réalité les sanctions sont maquillées en mutations ou déplacements, car aucune sanction officielle ne pourrait être prise pour un manquement à une règle qui n’existe pas dans la loi.
Le texte du J.O. conclut enfin : « il convient de rappeler, au plan des principes, que cette obligation de réserve ne saurait être conçue comme une interdiction pour tout fonctionnaire d’exercer des droits élémentaires du citoyen : liberté d’opinion et, son corollaire nécessaire dans une démocratie, liberté d’expression. Ces droits sont d’ailleurs, eux, expressément reconnus par l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (…) ».
De fait, la question est toujours celle-ci : quelles limites l’administration (état, collectivités territoriales) peut-elle assigner à la liberté d’expression de ses agents, garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? La réponse n’est jamais claire.
Une affaire vient encore de nous le rappeler : le 19 juin 2008 était publiée dans le Figaro une tribune très critique des projets du gouvernement, signée par un groupe d’officiers (parmi lesquels semble-t-il de hauts gradés) anonymement regroupés sous le pseudonyme de Surcouf.
D’après une dépêche de l’agence Reuters du 11 juillet 2008 , l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, interrogé sur d’éventuelles sanctions envers les auteurs de cette tribune, a fourni une réponse plutôt ambivalente : « Il y a un principe simple. Les militaires ont le droit d’expression depuis la dernière réforme. Mais il y a un cadre, l’obligation de loyauté et le droit (sic) de réserve. On verra les choses en fonction de ce cadre-là ». (voir ici)
Comme on peut le constater, le ministre lui-même, concernant des fonctionnaires d’un secteur très sensible (l’armée) et haut placés dans la hiérarchie, commence par reconnaître la prééminence de la liberté d’expression.
Et dans un deuxième temps seulement, il cherche à « cadrer » ce droit fondamental, en invoquant de façon un peu aléatoire deux principes : « l’obligation de loyauté », et un autre principe qu’il nomme « droit de réserve »(sic).
L’absence de référence à un quelconque texte réglementaire précis est ici renforcée par l’approximation qu’il commet : en effet, si le « devoir de réserve » (ou « obligation de réserve ») a été souvent discuté, il n’est jamais réfléchi que comme « devoir » et non comme « droit », son intention étant clairement de protéger l’administration de la libre expression de ses agents, et non pas de protéger l’agent lui-même.
Cette confusion est parfois entendue dans le langage courant, elle n’en est pas moins un non-sens.
Ronald Guillaumont
Source: Lire l'article complet de Profession Gendarme