Pour Serge Halimi, Emmanuel Macron est « un homme contre un peuple » : « Quelques semaines après l’accession de M. Emmanuel Macron à l’Élysée, un de ses partisans, l’actuel président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, résuma la politique économique et sociale qui allait suivre : « Objectivement, les problèmes de ce pays impliquent des solutions favorables aux hauts revenus. » Ces privilégiés prouveraient ensuite leur reconnaissance envers leur bienfaiteur puisque, entre 2017 et 2022, du premier tour d’une élection présidentielle à l’autre, M. Macron vit son score chez les plus riches passer de 34 % à 48 %. Quand la gauche est au pouvoir, elle démontre rarement autant de maestria à satisfaire son électorat…
Le chef de l’État ayant également accru sa popularité auprès des électeurs de plus de 65 ans d’un scrutin présidentiel à l’autre, on mesure la portée du « courage » dont M. Macron se gargarise lorsqu’il cherche à convaincre le pays d’accepter une « réforme » des retraites dont les principales victimes seront les classes populaires, qui ont très majoritairement voté contre lui. Alors que sa remise en cause des conquis sociaux épargnera le capital, tout comme les retraités (même les plus aisés), elle imposera donc deux années de travail supplémentaires aux ouvriers, dont l’espérance de vie en bonne santé est inférieure de dix ans à celle des cadres supérieurs. Pour ceux que le salariat a souvent usés, épuisés, cassés, la ligne d’arrivée recule à nouveau. Le temps du repos, des projets, des engagements choisis sera mangé par le travail obligatoire ou par le chômage. »
Retraites : Annie Ernaux nous demande de relever la tête : « Un grand mouvement social ne se contente jamais de pousser des revendications. Il porte au jour une aspiration collective à changer la vie ; il saisit ses participants et les métamorphose. C’est l’expérience qu’a vécue l’écrivaine Annie Ernaux lors des manifestations de novembre-décembre 1995.
Comme souvent, on n’avait pas vu venir les choses. Jacques Chirac venait de remporter l’élection présidentielle en dénonçant la « fracture sociale ». Il incarnait une droite populaire, du moins soucieuse de son électorat populaire. À la différence du projet pour les retraites du pouvoir actuel, celui de 1995 sur la Sécurité sociale, l’alignement du public sur le privé concernant les pensions, et autres points de réforme, n’avait pas été du tout annoncé, préparé par des débats. En novembre 1995, ça nous est tombé dessus et on a mis un peu de temps à comprendre ce qui se jouait. Mais il y avait cette arrogance d’Alain Juppé, le premier ministre et auteur du plan, sa morgue de celui qui sait mieux et donne la sensation humiliante en l’écoutant de faire partie d’une masse forcément stupide. Je crois qu’au début on a surtout refusé ça, cette arrogance. Qu’on avait besoin de relever la tête. »
Thomas Jusquiame étudie « Les cuisines de la surveillance automatisée » : « Le Parlement français examine cet hiver un texte qui légaliserait la vidéosurveillance automatisée afin de prévenir les mouvements de foule lors des Jeux olympiques de Paris en 2024. Or ce procédé de contrôle total des populations par des programmes informatiques existe déjà. Une enquête en immersion dans une entreprise qui fabrique ces outils en détaille le fonctionnement concret.
Directeur technique de la société XXII, M. Souheil Hanoune ne craint pas les paradoxes lorsqu’il vante les mérites de son logiciel d’analyse vidéo : « J’appelle cela “l’humanisation par l’automatisation”, ou comment l’intelligence artificielle nous permet de gagner du temps pour l’investir dans ce qui fait de nous des humains. » Son associé, M. William Eldin, voit encore plus loin : « Sa magie, c’est qu’elle est infinie, et votre limite d’imagination, c’est sa limite. » De quelle « magie » s’émerveille-t-il ? De la vision par ordinateur : des algorithmes traitent de manière automatique les pixels d’images issues d’une caméra afin d’en extraire diverses informations. »
Faut-il se résigner ou faire confiance aux « imaginaires de l’avenir », demande Évelyne Pieiller : « La résignation présentée comme seule position réaliste face à un présent trop complexe pour être compris par les simples citoyens est une arme au service du maintien de l’ordre. Mais l’imaginaire collectif semble aujourd’hui travaillé par le refus du fatalisme et par le désir d’imaginer d’autres visions du monde à habiter. Lénine et Mai 68 le disaient déjà : « Il faut rêver. »
Pour Philippe Descamps, au Groenland, l’indépendance avance « à petits pas » : « Immense île de glace immanquable sur les planisphères, le Groenland frappe les imaginaires. Convoité pour le contrôle stratégique de l’Arctique, il nourrit des fantasmes d’eldorado minier ou d’apocalypse climatique. Sur le chemin de son émancipation politique, le peuple inuit recherche les ressources lui permettant de préserver un État social fort pour répondre aux contraintes de sa géographie. »
Anne-Cécile Robert nous montre « La guerre en Ukraine vue d’Afrique » : « Forum universel de 193 pays, l’Assemblée générale des Nations unies révèle les lignes de fracture d’une nouvelle géopolitique. Ainsi le vote des résolutions concernant l’Ukraine montre-t-il une Afrique divisée et réticente à suivre les choix occidentaux. Le renouveau des relations du continent avec la Russie ne saurait expliquer, à lui seul, ces hésitations inédites. »
Akram Belkaïd analyse la « neutralité intéressée d’Alger et de Rabat : « Le 7 novembre, l’Algérie annonçait officiellement déposer une demande d’adhésion auprès des Brics, regroupement qui comprend le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, et dont les économies contribuent à 40 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. L’idée avait déjà été évoquée en juillet par le président Abdelmadjid Tebboune, pour lequel cette demande, qui a d’ores et déjà reçu le soutien de Moscou et de Pékin, « protégera l’Algérie, pionnière du principe de non-alignement, des frictions entre les deux pôles ». Au-delà des considérations économiques qui entourent cette candidature – les spécialistes algériens sont partagés quant à sa pertinence –, le moment choisi par Alger n’est pas anodin. Il s’inscrit clairement dans une démarche diplomatique qui vise à tirer profit de la crise internationale née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Officiellement, l’Algérie est neutre, conformément à son principe de non-ingérence dans les affaires d’autrui. Dans la réalité, cette position est plus ambiguë et vise à se rapprocher encore plus du partenaire russe. Depuis le mois de mars, la diplomatie algérienne s’abstient sur les résolutions des Nations unies mettant directement en cause la Russie. Il lui arrive même de voter contre de tels textes, comme ce fut le cas avec la résolution du 8 avril excluant la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU). »
Olivier Kempf entend le « fracas des armes à l’épreuve des stocks » : « Parce qu’il met en jeu des masses considérables d’hommes et de matériels ou parce qu’il se déroule sur de nouveaux terrains – l’espace, notamment –, le conflit entre Kiev et Moscou est d’une nature inédite. Sauf épuisement brutal d’une des parties, il paraît peu susceptible d’aboutir à une victoire militaire. Pendant ce temps, la diplomatie reste à l’arrêt. »
Pour Charles Enderlin, Israël vient de connaître « un coup d’État identitaire » : En donnant la priorité aux réformes politiques exigées par ses alliés nationalistes et ultraorthodoxes, M. Benyamin Netanyahou entreprend de transformer en profondeur la démocratie israélienne. Les pouvoirs de la Cour suprême mais aussi ceux des juges sont dans le collimateur d’une coalition qui projette d’étendre la part du religieux dans l’enseignement public et ne rien céder aux Palestiniens.
Pour Alexandre Zevin, malgré le Brexit, la souveraineté britannique est « introuvable » :
Le 14 janvier dernier, le premier ministre britannique Rishi Sunak annonçait la fourniture de chars Challenger 2 à l’Ukraine. Londres ouvrait ainsi la voie à la livraison d’armes lourdes à Kiev : depuis le début de l’invasion russe, le Royaume-Uni donne le « la » à l’Europe, au diapason des États-Unis. En dépit du Brexit. En dépit des discours français sur la souveraineté stratégique européenne. »
Ingrid Therwath dénonce « la pieuvre de l’Internationale hindoue » : « Jouant l’Inde contre la Chine, les dirigeants occidentaux font les yeux doux au premier ministre Narendra Modi, transformé en parangon de démocratie. Pourtant, il s’appuie sur une idéologie hindouiste extrémiste, l’« hindutva », qui incite à la haine religieuse dans le pays et… à l’extérieur. À bas bruit, son parti et ses alliés ont bâti une organisation mondiale aux multiples ramifications. »
Et Lou-Eve Popper estime que « L’ombre de Narenda Modi plane sur les affrontements à Leicester » : « C’est un soulagement. Après deux années de pandémie, le quartier de Belgrave Road célèbre à nouveau Diwali,la fête des lumières hindoue. Sur Golden Mile, artère baptisée ainsi en raison de ses nombreux magasins de bijoux en or, des guirlandes en forme de lampes à huile ont été accrochées. Dans la nuit du 9 octobre 2022, des feux d’artifice fusent pour marquer le début des festivités. Mais quelque chose cloche dans ce faubourg du nord de Leicester. La mairie a dépêché des bataillons de policiers pour assurer le bon déroulement de la soirée. D’ordinaire pleine à craquer en journée à cette période, l’avenue demeure désespérément calme. « Les familles viennent normalement de Birmingham pour s’acheter de nouvelles parures et bijoux. Aujourd’hui, c’est vide », soupire un commerçant en désignant sa boutique de saris désertée. « Les gens des environs nous appellent régulièrement pour savoir s’ils peuvent venir faire du shopping à Leicester. Ils sont effrayés », renchérit le propriétaire d’un magasin de prêt-à-porter voisin. »
Jens Malling a découvert « Une mine d’art dans une mine d’uranium » : « Aux yeux des Occidentaux, l’art peut servir l’argent mais pas la politique : toute création issue d’une république socialiste est nécessairement suspecte. Suivant ce principe, des trésors artistiques destinés aux ouvriers ont été abandonnés aux souris dans les friches industrielles d’Allemagne de l’Est après la chute du Mur. Comme cette collection de toiles découverte à Chemnitz, ancienne Karl-Marx-Stadt… »
Anne Vigna se demande si le Brésil ne va pas connaître « un bolsonarisme sans Bolsonaro » : « Dépourvus du soutien des médias, d’une grande partie du patronat et des élites politiques, les réseaux de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro ont tenté un putsch le 8 janvier dernier. Sans doute espéraient-ils un ralliement des militaires. En dépit de son échec, le courant politique incarné par l’ancien président vient de démontrer qu’il n’avait plus besoin de son meneur d’hier pour exister. »
Que reste-t-il de Novembre-décembre 1995, demande Nicolas Da Silva ? : « À chaque réforme des retraites, le gouvernement et les médias délimitent un cadre de discussion qui laisse dans l’ombre l’enjeu le plus décisif. Le système créé en 1946 donnait en effet aux salariés eux-mêmes, et non pas aux entreprises ou à l’État, la direction des caisses de la « Sécu ». Depuis, une volonté a animé les réformateurs de tout poil : reprendre ce pouvoir.
Pour Hélène Richard, « Pouchkine est désormais « victime de Poutine » : « Pour les enseignants de russe des collèges et lycées français, la guerre en Ukraine assombrit des perspectives déjà moroses. L’invasion russe pourrait décourager les vocations, alors que les effectifs épousent les soubresauts de la géopolitique. En expansion durant la guerre froide, la filière a pâti de l’effondrement de l’Union soviétique, mais l’enthousiasme de quelques pédagogues maintient le bateau à flot. »
Thimothée de Rauglaudre observe « Le pape contre les croisades occidentales » : « À la fois chef d’État et autorité religieuse, le pape se veut médiateur sur la scène internationale, notamment lors de conflits armés. Dans le cas de l’Ukraine, cette position traditionnelle lui attire les accusations de naïveté et de complaisance vis-à-vis de Moscou. L’histoire récente de la diplomatie vaticane révèle un pacifisme plus subtil qu’il n’y paraît. »
Meriem Laribi nous dit « là où Julian Assange a des amis » : « S’il est un domaine dans lequel l’arrivée de la gauche au pouvoir change la donne en Amérique latine, c’est celui de la politique étrangère. Alors que plusieurs dirigeants appellent à une relance des processus d’intégration régionale, les capitales passées à gauche n’hésitent pas à afficher leurs désaccords avec Washington. Notamment sur le « dossier Assange ».
Pour Pascal Corazza, le cinéma peut être « Au service des bonnes causes : « Certains films visent à améliorer le monde. Comment les y aider ? En les identifiant à un message et en ciblant le public apte à le répercuter. Mais il n’est pas certain que le cinéma y gagne, et pas davantage l’engagement non balisé. »
François Bégaudeau (« De mon temps ») nous parle d’un monde que certains ont connu quand le téléphone portable n’existait pas : « Nous autres anciens devons accomplir notre devoir de transmission. Témoigner auprès de la jeunesse qu’une planète Terre sans téléphone portable a été possible.
Délicate mission. Il faudra être singulièrement persuasif pour que les digital natives, catégorie anthropologique vouée à l’extinction quand tous les vivants seront nés sous le régime digital, conçoivent que l’objet n’a pas de tout temps prolongé les membres supérieurs des humains. Qu’il s’agit d’une greffe. Que 99,9999 % de nos congénères passés ici-bas n’ont pas joui de cet outil providentiel. Que longtemps au bout des bras il y eut seulement des mains. Parfois nous ne savions pas quoi en faire. Embarrassés nous les fourrions dans nos poches.
Même ainsi démunis, nous traversâmes les siècles, assemblâmes des trois-mâts, inventâmes la belote, écrivîmes Macbeth, brûlâmes des sorcières. Puis imaginâmes le téléphone. Puis en imaginâmes une variante sans fil que nous autres séniles appelons encore téléphone portable, par référence à une norme révolue.
Qu’est-ce qui nous est arrivé ? Nos souvenirs sont brumeux. C’est allé si vite. En 1992 personne n’en avait et dix ans plus tard tout le monde. Littéralement tout le monde. Le monde entier.
Nous ne savons pas bien ce qui nous est arrivé mais nous pouvons jurer que nous ne l’avons pas voulu. Auprès de mon neveu je soutiens, main sur le cœur, qu’en 1992 on ne croisait jamais un individu qui, claquant des dents, plié en deux, hurlait son manque de téléphone transportable. On s’en passait très bien. On n’en avait même pas l’idée. L’offre s’est imposée sans demande. »
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir