En se faisant complices de la campagne de diffamation contre Assange, les journalistes peuvent éviter de réfléchir à la différence entre ce que fait Wikileaks et ce qu’ils font.
Par Jonathan Cook
[Ceci est le texte de mon intervention à la conférence #LibérezLaVérité : Pouvoirs secrets, liberté des médias et démocratie, qui s’est tenue à l’église St Pancras, à Londres, le samedi 28 janvier 2023. Les autres intervenants étaient l’ancien ambassadeur britannique Craig Murray et la journaliste d’investigation italienne Stefania Maurizi, auteur du récent ouvrage Pouvoir secret : Wikileaks et ses ennemis.
L’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn a également remis le prix Gavin MacFayden, le seul prix médiatique décerné par les lanceurs d’alerte, à Julian Assange pour être « le journaliste dont le travail illustre le mieux l’importance d’une presse libre ». Craig Murray a accepté le prix au nom d’Assange. La vidéo de l’événement est accessible ici.].
Source : jonathancook.substack.com, le 30 janvier 2023
Traduction : lecridespeuples.fr
Lors d’une interview en 2011, Julian Assange a fait une observation pertinente sur le rôle de ce qu’il appelle les « institutions morales » de la société, telles que les médias libéraux :
« Ce qui motive un journal comme le Guardian ou le New York Times, ce ne sont pas leurs valeurs morales intérieures. C’est simplement qu’ils ont un marché. Au Royaume-Uni, il existe un marché appelé ‘libéraux éduqués’. Les libéraux éduqués veulent acheter un journal comme le Guardian, et une institution est donc créée pour répondre à ce marché. […] Ce qui est dans le journal n’est pas le reflet des valeurs des gens de cette institution, c’est le reflet de la demande du marché. »
Assange a vraisemblablement acquis ce point de vue après avoir travaillé étroitement l’année précédente avec les deux journaux sur les Carnets de guerre en Afghanistan et en Irak.
L’une des erreurs que nous commettons généralement à propos des médias dits « grand public » est d’imaginer que leurs points de vente ont évolué dans le cadre d’une sorte de processus ascendant graduel. Nous sommes encouragés à supposer qu’il existe au moins un élément d’association volontaire dans la manière dont les publications médiatiques se forment.
Dans sa forme la plus simple, nous imaginons que des journalistes ayant une vision libérale ou de gauche gravitent autour d’autres journalistes ayant une vision similaire et qu’ensemble, ils produisent un journal libéral de gauche. Nous imaginons parfois que quelque chose de similaire se produit entre les journalistes de droite et les journaux de droite.
Tout cela exige d’ignorer l’éléphant dans la pièce : les propriétaires milliardaires. Même si nous pensons à ces propriétaires — et en général on nous décourage de le faire — nous avons tendance à supposer que leur rôle est principalement de fournir le financement de ces exercices libres de collaboration journalistique.
Pour cette raison, nous en déduisons que les médias représentent la société : ils offrent un marché de la pensée et de l’expression dans lequel les idées et les opinions correspondent à ce que ressent la grande majorité des gens. En bref, les médias reflètent un spectre d’idées acceptables plutôt que de définir et d’imposer ce spectre.
Des idées dangereuses
Bien sûr, si l’on s’arrête pour y réfléchir, ces hypothèses sont ridicules. Les médias sont constitués d’organes appartenant à des milliardaires et à de grandes entreprises et servant leurs intérêts — ou, dans le cas de la BBC, d’une société de radiodiffusion entièrement dépendante des largesses de l’État.
En outre, presque tous les médias d’entreprise ont besoin des revenus publicitaires d’autres grandes entreprises pour éviter de perdre de l’argent. Il n’y a rien d’ascendant dans cet arrangement. Il est entièrement descendant.
Les journalistes opèrent dans le cadre de paramètres idéologiques strictement définis par le propriétaire de leur média. Les médias ne reflètent pas la société. Ils reflètent les intérêts d’une petite élite, et de l’État de sécurité nationale qui promeut et protège cette élite.
Ces paramètres sont suffisamment larges pour permettre un certain désaccord — juste assez pour que les médias occidentaux paraissent démocratiques. Mais les paramètres sont suffisamment étroits pour restreindre les reportages, les analyses et les opinions, de sorte que les idées dangereuses —dangereuses pour le pouvoir des entreprises et de l’État— n’ont presque jamais droit de cité. En clair, le pluralisme des médias est le spectre de la pensée admissible au sein de l’élite du pouvoir.
Si cela ne vous semble pas évident, il peut être utile de considérer les médias comme n’importe quelle autre grande entreprise, comme une chaîne de supermarchés, par exemple.
Les supermarchés sont de grands entrepôts qui stockent une large gamme de produits, une gamme similaire dans toutes les chaînes, mais qui se distingue par des variations mineures de prix et de marque.
Malgré cette similitude essentielle, chaque chaîne de supermarchés se présente comme radicalement différente de ses rivales. Il est facile de se laisser prendre au piège, et c’est ce que font la plupart d’entre nous : au point de commencer à s’identifier à un supermarché plutôt qu’aux autres, en croyant qu’il partage nos valeurs, qu’il incarne nos idéaux, qu’il aspire à des choses qui nous sont chères.
Nous savons tous qu’il y a une différence entre Waitrose et Tesco au Royaume-Uni, ou entre Whole Foods et Walmart aux États-Unis [ou entre Leclerc et Carrefour en France]. Mais si nous essayons d’identifier ce qui fait cette différence, il est difficile de savoir — au-delà des stratégies marketing concurrentes et du ciblage de publics différents.
Tous les supermarchés partagent une idéologie capitaliste de base. Tous sont pathologiquement motivés par le besoin de générer des profits.
Tous essaient d’alimenter un consumérisme rapace chez leurs clients. Toutes créent une demande excessive et des déchets. Toutes externalisent leurs coûts sur l’ensemble de la société.
Capter les lecteurs
Les publications médiatiques sont à peu près les mêmes. Elles sont là pour faire essentiellement la même chose, mais elles ne peuvent monnayer leur similitude qu’en la présentant —en la commercialisant— comme une différence. Ils se démarquent non pas parce qu’ils sont différents, mais parce que pour être efficaces (sinon toujours rentables), ils doivent atteindre et capter des groupes démographiques différents.
Les supermarchés le font en mettant l’accent sur différents aspects : est-ce le Coca-Cola ou le vin qui sert de produit d’appel ? Faut-il privilégier les références écologiques et le bien-être des animaux plutôt que le rapport qualité-prix ? Il en va de même pour les médias : les médias se présentent comme libéraux ou conservateurs, du côté de la classe moyenne ou des travailleurs non qualifiés, comme défiant les puissants ou les respectant.
La tâche principale d’un supermarché est de fidéliser une partie de la clientèle afin d’éviter qu’elle ne se tourne vers d’autres chaînes. De même, un média renforce un ensemble supposé de valeurs partagées par un groupe démographique spécifique afin d’empêcher les lecteurs de chercher ailleurs leurs informations, leurs analyses et leurs commentaires.
L’objectif des médias dominants n’est pas de découvrir la vérité. Il ne s’agit pas de surveiller les centres de pouvoir. Il s’agit de capter les lecteurs. Dans la mesure où un média surveille le pouvoir, dit des vérités difficiles, c’est parce que c’est sa marque, c’est ce que son public attend de lui.
Les « bons » journalistes
Quel est le rapport avec le sujet d’aujourd’hui ?
Eh bien, cela permet notamment de clarifier une question qui déconcerte beaucoup d’entre nous. Pourquoi les journalistes ne se sont-ils pas levés en masse pour soutenir Julian Assange, surtout depuis que la Suède a abandonné l’enquête préliminaire la plus longue de son histoire et qu’il est devenu évident que la persécution d’Assange ouvrait la voie, comme il l’a toujours dit, à son extradition vers les États-Unis pour avoir dénoncé leurs crimes de guerre ?
La vérité est que, si le Guardian, le New York Times [et Le Monde] réclamaient la liberté d’Assange ;
- s’ils avaient enquêté sur les lacunes flagrantes du dossier suédois, comme l’a fait Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture ;
- s’ils avaient dénoncé les dangers de laisser les États-Unis redéfinir la tâche principale du journalisme comme une trahison en vertu de la loi draconienne et centenaire sur l’espionnage ;
- s’ils avaient utilisé leur force et leurs ressources substantielles pour poursuivre les demandes de liberté d’information, comme Stefania Maurizi l’a fait à ses propres frais ;
- s’ils avaient signalé les abus juridiques sans fin dont fait l’objet le traitement d’Assange au Royaume-Uni ;
- s’ils avaient rapporté, plutôt que d’ignorer, les faits révélés lors des audiences d’extradition à Londres ;
- bref, s’ils avaient maintenu la persécution d’Assange sous les feux de la rampe, il serait déjà libre. Les efforts déployés par les différents États concernés pour le faire disparaître progressivement au cours de la dernière décennie seraient devenus futiles, voire contre-productifs.
Voir Toute la vérité sur Julian Assange : ‘Un système assassin est en train d’être créé sous nos yeux’
À un certain niveau, les journalistes comprennent cela. C’est précisément pourquoi ils essaient de se persuader, et de vous persuader, qu’Assange n’est pas un « vrai » journaliste. C’est pourquoi ils se sont persuadés qu’ils n’ont pas besoin de faire preuve de solidarité avec un pseudo-collègue journaliste, ou même pire, qu’il est normal d’amplifier la campagne de diabolisation de l’État sécuritaire.
En ignorant Assange, en le traitant comme un étranger et non comme un confrère, ils peuvent éviter de réfléchir aux différences entre ce qu’il a fait et ce qu’ils font. Les journalistes peuvent éviter d’examiner leur propre rôle de serviteurs captifs du pouvoir des entreprises.
Révolution médiatique
Assange risque 175 ans dans une prison de haute sécurité, non pas pour espionnage mais pour avoir publié des articles de presse. Le journalisme n’exige pas de qualification professionnelle particulière, comme c’est le cas pour la chirurgie cérébrale ou le notariat. Il ne dépend pas d’une connaissance précise et abstruse de la physiologie humaine ou de la procédure juridique.
Au mieux, le journalisme consiste simplement à recueillir et à publier des informations qui servent « l’intérêt public ». Public : c’est-à-dire qu’il sert à vous et à moi. Cela ne nécessite pas de diplôme. Il n’est pas nécessaire d’avoir un grand bâtiment ou un riche propriétaire. Chuchotez-le : chacun d’entre nous peut faire du journalisme. Et quand nous le faisons, les protections journalistiques devraient s’appliquer.
Assange a excellé dans le journalisme comme personne avant lui parce qu’il a conçu un nouveau modèle pour forcer les gouvernements à devenir plus transparents et les fonctionnaires plus honnêtes. C’est précisément pour cela que l’élite qui détient le pouvoir secret veut le détruire, lui et ce modèle.
Si les médias libéraux étaient réellement organisés de bas en haut plutôt que de haut en bas, les journalistes seraient scandalisés — et terrifiés — par les États qui torturent l’un des leurs. Ils auraient réellement peur d’être la prochaine cible.
Car c’est la pratique du journalisme pur qui est attaquée, et non un seul journaliste.
Mais ce n’est pas ainsi que les journalistes mainstream voient les choses. Et à vrai dire, leur abandon d’Assange — le manque de solidarité — est explicable. Les journalistes ne sont pas complètement irrationnels.
Les grands médias, en particulier les médias libéraux et leurs journalistes-serviteurs, comprennent que la révolution médiatique d’Assange — incarnée par Wikileaks — est une menace bien plus grande pour eux que l’État de sécurité nationale.
Des vérités difficiles à assimiler
Wikileaks offre un nouveau type de plateforme pour le journalisme démocratique dans laquelle le pouvoir secret, avec ses corruptions et ses crimes inhérents, devient beaucoup plus difficile à manier. En conséquence, les journalistes mainstream ont dû faire face à des vérités difficiles qu’ils avaient évitées jusqu’à l’apparition de Wikileaks.
Premièrement, la révolution médiatique de Wikileaks menace de saper le rôle et les privilèges du journaliste mainstream. Les lecteurs ne doivent plus dépendre de ces « arbitres de la vérité » grassement rémunérés. Pour la première fois, les lecteurs ont un accès direct aux sources originales, aux documents non médiatisés.
Les lecteurs ne doivent plus être des consommateurs passifs d’informations. Ils peuvent s’informer eux-mêmes. Non seulement ils peuvent éliminer l’intermédiaire — les médias dominants — mais ils peuvent enfin évaluer si cet intermédiaire a été tout à fait honnête avec eux.
C’est une très mauvaise nouvelle pour les journalistes mainstream. Au mieux, cela leur enlève toute aura d’autorité et de prestige. Au pire, cela garantit qu’une profession déjà tenue en piètre estime est considérée comme encore moins digne de confiance.
Mais c’est aussi une très mauvaise nouvelle pour les propriétaires de médias. Ils ne contrôlent plus l’agenda des informations. Ils ne peuvent plus servir de chiens de garde institutionnels. Ils ne peuvent plus définir les limites des idées et des opinions acceptables.
Le journalisme de copinage
Deuxièmement, la révolution Wikileaks jette une lumière peu flatteuse sur le modèle traditionnel du journalisme. Elle montre qu’il est intrinsèquement dépendant — et donc complice — du pouvoir secret.
L’élément vital du modèle Wikileaks est le lanceur d’alerte, qui risque tout pour faire sortir des informations d’intérêt public que les puissants veulent dissimuler parce qu’elles révèlent de la corruption, des abus ou des infractions à la loi. Pensez à Bradley Manning et Edward Snowden.
L’élément vital du journalisme mainstream, en revanche, est le copinage. Les journalistes mainstream concluent une transaction implicite : l’initié fournit au journaliste des bribes d’informations sélectionnées qui peuvent être vraies ou fausses et qui servent invariablement les intérêts de forces invisibles dans les allées du pouvoir.
Pour les deux parties, la relation d’accès dépend de la volonté de ne pas contrarier le pouvoir en exposant ses profonds secrets.
L’initié n’est utile au journaliste que tant qu’il a accès au pouvoir. Cela signifie que l’initié va rarement offrir des informations qui menacent réellement ce pouvoir. S’il le faisait, il se retrouverait rapidement au chômage.
Mais pour être considéré comme utile, l’initié doit offrir au journaliste des informations qui semblent être révélatrices, qui promettent au journaliste un avancement de carrière et des prix.
Les deux parties jouent un rôle dans un jeu de charades qui sert les intérêts communs des médias dominants et de l’élite politique.
Au mieux, le copinage offre aux journalistes un aperçu des jeux de pouvoir entre des groupes d’élite rivaux aux programmes contradictoires — entre les éléments les plus libéraux de l’élite du pouvoir et les éléments les plus belliqueux.
L’intérêt public n’est invariablement servi que de manière très marginale : nous avons une idée partielle des divisions au sein d’une administration ou d’une bureaucratie, mais très rarement de l’étendue de ce qui se passe.
Pendant une brève période, les composantes libérales des médias dominants ont troqué leur accès historique pour rejoindre Wikileaks dans sa révolution de la transparence. Mais ils ont rapidement compris les dangers de la voie dans laquelle ils s’engageaient — comme le montre clairement la citation d’Assange par laquelle nous avons commencé.
La carotte et le bâton
Ce serait une grave erreur de supposer que les médias dominants se sentent menacés par Wikileaks simplement parce que ce dernier s’est bien mieux débrouillé qu’eux pour demander des comptes au pouvoir. Il ne s’agit pas d’envie. Il s’agit de peur. En réalité, Wikileaks fait exactement ce que les médias dominants ne veulent pas faire.
Les journalistes servent en fin de compte les intérêts des propriétaires des médias et des annonceurs. Ces sociétés sont le pouvoir caché qui dirige nos sociétés. En plus de posséder les médias, elles financent les politiciens et les groupes de réflexion qui dictent si souvent l’actualité et l’agenda politique. Nos gouvernements déclarent que ces entreprises, en particulier celles qui dominent le secteur financier, sont trop grosses pour faire faillite. Parce que le pouvoir dans nos sociétés est le pouvoir des entreprises.
Les piliers qui soutiennent ce système de pouvoir secret des élites — ceux qui le déguisent et le protègent — sont les médias et les services de sécurité : la carotte et le bâton. Les médias sont là pour protéger le pouvoir des entreprises par la manipulation psychologique et émotionnelle, tout comme les services de sécurité sont là pour le protéger par la surveillance invasive et la coercition physique.
Wikileaks perturbe cette relation confortable des deux côtés. Il menace de mettre fin au rôle des médias dominants dans la médiation des informations officielles, en offrant au public un accès direct aux secrets officiels. Et, ce faisant, il ose exposer le savoir-faire des services de sécurité dans leurs activités de violation de la loi et d’abus, leur imposant ainsi une surveillance et une retenue malvenues.
En menaçant d’imposer la responsabilité démocratique aux médias et aux services de sécurité, et en exposant leur collusion de longue date, Wikileaks ouvre une fenêtre sur le degré d’opacité de nos démocraties.
Le désir commun des services de sécurité et des médias d’entreprise est de faire disparaître Assange dans l’espoir que son modèle révolutionnaire de journalisme soit abandonné ou oublié pour de bon.
Ce ne sera pas le cas. La technologie ne disparaîtra pas. Et nous devons continuer à rappeler au monde ce qu’Assange a accompli, et le prix terrible qu’il a payé pour cela.
***
En France, Le Monde et Mediapart sont de beaux exemples de cette fausse gauche atlantiste, qui a soutenu les groupes terroristes en Syrie, diffamé Assange et porte le folliculaire Navalny aux nues. Cf. par exemple cet éditorial du Monde suite à l’arrestation d’Assange et à son inculpation par les Etats-Unis, développements qui lui donnaient entièrement raison : au lieu de faire son mea culpa, Le Monde s’enfonce ignominieusement :
« Julian Assange est un justiciable comme les autres. Ses démêlés avec la police ont commencé parce qu’il a refusé de se rendre à une convocation de la police suédoise qui souhaitait l’entendre après les plaintes de deux femmes pour agression sexuelle, au motif fantaisiste, à l’époque, qu’il craignait que la Suède ne le livre à la CIA. Il a eu tort de refuser de s’expliquer sur ces graves accusations. »
Comme l’établit le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils MELZER, lorsqu’il était réfugié à Londres, la Suède a refusé d’interroger Assange à l’ambassade d’Equateur ou via vidéo (alors que durant la même période, de tels interrogatoires de suspects entre la Suède et l’Angleterre ont eu lieu dans 44 autres cas) et de lui garantir qu’il ne serait pas extradé :
« Assange n’a pas cherché à se cacher de la justice. Par l’intermédiaire de son avocat suédois, il a proposé aux procureurs plusieurs dates possibles d’interrogatoire en Suède. Cette correspondance existe. Ensuite, les événements suivants se sont produits : Assange a eu vent du fait qu’une affaire criminelle secrète avait été ouverte contre lui aux États-Unis. À l’époque, cela n’a pas été confirmé par les États-Unis, mais aujourd’hui nous savons que c’était vrai. À partir de ce moment, l’avocat d’Assange a commencé à dire que son client était prêt à témoigner en Suède, mais il a exigé l’assurance diplomatique que la Suède ne l’extraderait pas aux États-Unis. [Ce risque était tout à fait réel, car] quelques années auparavant, le personnel de sécurité suédois avait livré à la CIA deux demandeurs d’asile, tous deux enregistrés en Suède, sans passer par la moindre procédure judiciaire. Les abus ont commencé à l’aéroport de Stockholm, où ils ont été maltraités, drogués et transportés par avion en Égypte, où ils ont été torturés. Nous ne savons pas s’il s’agit des seuls cas de ce type. Mais nous sommes au courant de ces deux cas car les hommes ont survécu. Tous deux ont par la suite déposé plainte auprès des agences des droits de l’homme de l’ONU et ont obtenu gain de cause. La Suède a été obligée de payer à chacun d’eux un demi-million de dollars en dommages et intérêts. Les avocats d’Assange affirment que pendant les près des sept ans au cours desquels leur client a vécu à l’ambassade d’Équateur, ils ont fait plus de 30 offres pour organiser la visite d’Assange en Suède, en échange d’une garantie qu’il ne serait pas extradé vers les États-Unis. La Suède a refusé de fournir une telle garantie en faisant valoir que les États-Unis n’avaient pas fait de demande formelle d’extradition. »
Voir également l’infâme article de Mediapart Julian Assange, l’histoire d’une déchéance, qui prend au sérieux les accusations de viol et valide sans l’ombre d’une preuve la thèse de la collusion avec la Russie :
[…] Depuis Londres, le fondateur de WikiLeaks annonce qu’il refuse de se rendre en Suède au motif que cette procédure n’est qu’un prétexte. Selon lui, dès qu’il foulera le sol suédois, les États-Unis demanderont son extradition pour être jugé pour espionnage, crime passible de la peine capitale. Sous le coup d’une procédure d’extradition accordée par la justice anglaise, Julian Assange va tout d’abord mener une bataille juridique pour en obtenir l’annulation. Une fois tous les recours épuisés, il se réfugie, le 19 juin 2012, dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur qui lui accorde l’asile politique. Il y restera cantonné dans une pièce de l’immeuble sans pouvoir sortir au risque d’être immédiatement interpellé par les policiers britanniques qui le surveillent en permanence.
Avec ces accusations sexuelles, Julian Assange tombe de son piédestal. Son image de chevalier blanc se fissure et, même au sein de WikiLeaks, des langues se dénouent, dévoilant un tout autre visage. De nombreux témoignages décrivent un homme égocentrique, intransigeant et exigeant de ses collaborateurs une obéissance absolue.
Dès septembre 2010, plusieurs membres de WikiLeaks quittent l’organisation en raison d’un désaccord sur la manière dont Julian Assange gère la publication des « leaks » et son refus de toute critique. Selon le site Wired, six volontaires ont quitté l’organisation à ce moment-là. Sur le tchat interne de l’organisation, Julian Assange leur aurait lancé : « Je suis le cœur de cette organisation, son fondateur, philosophe, porte-parole, codeur original, organisateur, financeur et tout le reste. Si vous avez un problème avec moi, faites chier. »
Parmi les défections, figure celle de Daniel Schmitt, porte-parole de WikiLeaks, qui annonce sa démission dans les colonnes du Spiegel. « Julian Assange réagit à toute critique avec l’allégation que je lui ai désobéi et que j’ai été déloyal vis-à-vis du projet. Il y a quatre jours, il m’a suspendu – agissant comme le procureur, le juge et le bourreau en une personne », accuse-t-il. Daniel Schmitt racontera en détail son conflit avec Assange dans un livre paru en 2011, Inside WikiLeaks. Dans les coulisses du site internet le plus dangereux du monde (Grasset, 2011).
En début d’année 2011, un autre collaborateur de WikiLeaks, Julian Ball, claque la porte de l’organisation trois mois après y être entré. Il rejoint le Guardian et décrit, dans un article publié en septembre 2011, un Julian Assange tyrannique, plus préoccupé par sa propre défense que par les idéaux de WikiLeaks. En 2014, c’est Andrew O’Hagan, l’auteur d’une Autobiographie non autorisée publiée en 2011, qui se répand dans la presse. « Il voit chaque idée comme une simple étincelle venant d’un feu dans son propre esprit. Cette sorte de folie, bien sûr, et l’étendue des mensonges de Julian m’ont convaincu qu’il était probablement un petit peu fou, triste et mauvais, malgré toute la gloire de WikiLeaks en tant que projet », affirme-t-il.
Beaucoup s’interrogent également sur la ligne éditoriale de Julian Assange. Le rédacteur en chef de WikiLeaks est notamment accusé d’être trop indulgent, voire trop proche, de la Russie, pays sur lequel l’organisation n’a publié que peu de documents. Plusieurs interventions de Julian Assange surprennent, comme lorsqu’il assure, durant quelques mois en 2012, une émission de géopolitique sur la chaîne Russia Today (RT), The Julian Assange Show. Ou lorsque, à l’occasion d’une table ronde organisée pour les dix ans de RT, il livre un discours dans lequel il appelle « à oublier le concept de liberté individuelle, qui n’existe plus ».
La question de la proximité de WikiLeaks avec la Russie va devenir centrale avec la publication, en 2016, des DNC Leaks. Le 22 juillet, trois jours avant l’ouverture de la convention annuelle du Parti démocrate, WikiLeaks publie 19 252 mails piratés dans les ordinateurs de sa direction, le Democratic National Committee (DNC). La convention doit justement entériner l’investiture d’Hillary Clinton comme candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine. Or, les mails révèlent une collusion dans la direction du parti visant à défavoriser son principal concurrent, Bernie Sanders.
Les DNC Leaks vont empoisonner la campagne d’Hillary Clinton et faire le délice de son adversaire républicain Donald Trump qui ira jusqu’à déclarer : « I Love WikiLeaks. » Le malaise est encore accentué par les déclarations de Julian Assange qui assume avoir publié ces « leaks » afin de nuire à Hillary Clinton, qu’il voit comme « un problème pour la liberté de la presse », et reconnaît avoir volontairement fait coïncider leur publication avec la convention démocrate. […]
WikiLeaks s’isole encore plus lorsque l’enquête sur le piratage des mails de la direction du Parti démocrate révèle que celui-ci a été réalisé par un groupe de hackers, Guccifer 2.0, lié aux services secrets russes, le GRU. Julian Assange démentira formellement que sa source soit des hackers et les différentes enquêtes ne permettront pas d’établir un lien direct entre WikiLeaks et Moscou. Mais pour beaucoup, la ficelle est trop grosse. Que Julian Assange se soit rendu complice, même à son insu, d’une opération de déstabilisation russe est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. […]
Pour ne rien arranger, Julian Assange multiplie les prises de position polémiques, voire parfois difficilement compréhensibles. En septembre 2017, il affirme par exemple, chiffres à l’appui, que le capitalisme, l’athéisme et le féminisme sont responsables de la stérilité de nos sociétés qui, elle-même, est la cause de l’immigration. […]
Voir notre dossier sur l’Affaire Assange.
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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples