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par Aníbal Garzón
Élu en 2021, le président péruvien Pedro Castillo a commis des erreurs. Beaucoup d’erreurs. Or celles des dirigeants de gauche pèsent plus lourd que les autres, puisque les médias pardonnent tout aux conservateurs. Si les faux pas de M. Castillo ont tant compté, c’est qu’ils ont offert à ses adversaires une justification au projet qu’ils avaient imaginé dès son arrivée au pouvoir : le renverser.
Monsieur Pedro Castillo, le président péruvien, a été destitué le 7 décembre par le Congrès. Les députés lui reprochaient une tentative de coup de force à leur encontre et l’instauration d’un état d’exception dans le pays. Déclarant le chef d’État coupable du « délit de révolte », le Congrès le fit emprisonner, le parquet requérant auprès de la Cour constitutionnelle une détention provisoire de dix-huit mois.
Alors que le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) évoque le « suprême recours (…) à la révolte contre la tyrannie et l’oppression », l’article 346 du code pénal de la République du Pérou condamne la révolte d’une «peine jamais inférieure à dix ans et jamais supérieure à vingt ans d’expatriation ». Le pouvoir est évidemment soucieux de condamner toute rébellion comme une menace contre l’ordre ; pour les mouvements sociaux, la révolte peut constituer un moyen de construire le nouveau monde auxquels ils aspirent. Mais que se passe- t-il lorsque c’est le pouvoir qui se révolte ?
Le 11 avril 2021, à la surprise générale, un inconnu remporte le premier tour de la présidentielle péruvienne, avec 18,92 % des suffrages : M. Castillo, de descendance indigène, issu de l’une des villes les plus pauvres du pays et candidat de Pérou libre (PL), un parti fondé par M. Vladimir Cerrón et revendiquant une ligne marxiste-léniniste-mariatéguiste, du nom de l’intellectuel péruvien José Carlos Mariátegui (1894-1930).
Sa victoire représente un camouflet pour l’élite politique de Lima, souvent raciste, toujours néolibérale, habituée à diriger le pays sans avoir à se soucier du monde rural, et prompte à renvoyer tout projet de gauche aux exactions de la guérilla du Sentier lumineux. Très vite, la bourgeoisie péruvienne active les leviers de son pouvoir sur la société afin d’entraver la menace Castillo, un « plouc communiste », selon elle, qui prétend convoquer une Assemblée constituante et parle de transformation sociale.
Comme bien souvent, tout commence dans les médias, notamment les deux plus importants quotidiens du pays, El Comercio et La República. Le Groupe Comercio appartient à la famille Miró Quesada, l’une des plus riches du Pérou, qui contrôle environ 80% de la presse écrite du pays et détient également des sociétés dans le domaine du tourisme, de l’exploitation minière, de l’immobilier et de la banque. Le groupe a profité de la dictature de M. Alberto Fujimori, au pouvoir de 1990 à 2000. En 2011, deux journalistes qui avaient travaillé pour El Comercio, Patricia Montero et José Jara, ont expliqué avoir été licenciés « pour avoir refusé de suivre la directive consistant à soutenir la candidature de Keiko Fujimori [lors de la campagne présidentielle de 2011] et d’attaquer le président de l’époque [Ollanta] Humala ». Le deuxième journal le plus lu du pays, La República, est dirigé par le fils de son fondateur, Gustavo Mohme Llona (décédé en 2000), un homme d’affaires lié à une autre fraction de l’élite néolibérale, structurée autour du parti Acción Popular.
De concert, les deux publications ont engagé une campagne de dénigrement contre M. Castillo. D’abord sous la forme d’une invisibilisation, alors qu’il était candidat ; puis par le biais d’attaques directes à la suite de sa victoire au second tour de la présidentielle, le 6 juin 2021, et de sa prise de fonctions, le 28 juillet 2021. Le Centre stratégique latino-américain de géopolitique (Celag) a analysé les « unes » d’El Comercio et de La República du 1er janvier au 30 novembre 2022. Il conclut que les informations présentées y étaient « négatives » pour M. Castillo dans, respectivement, 79 % et 78 % des cas. « Négatives », le terme relève de l’euphémisme : « Pedro Castillo est un ennemi de la liberté d’expression et de la presse » (La República, 31 octobre 2022) ; « La justice enquête sur les conseillers de Castillo pour soupçon de crime organisé » (La República, 11 mars 2022) ; « Le président et sept membres de sa famille ont bénéficié de faveurs de la part de chefs d’entreprise » (El Comercio, 12 juillet 2022). Aucune des accusations portées n’était démontrée.
Le pouvoir considérable du Congrès
Monsieur Castillo ne remporte le second tour de l’élection présidentielle que par une différence de 45 000 voix (50,13 % des suffrages) avec Mme Fujimori, la fille de l’ancien président (49,87 % des suffrages). Avant même la fin du dépouillement par les autorités électorales (Junta Nacional Electoral, JNE), mais alors que la victoire de PL se dessine, le clan fujimoriste dénonce une « fraude électorale » avant d’exiger un nouveau décompte des voix et l’annulation de 200 000 bulletins de vote, jugés « irréguliers ». La mobilisation populaire en faveur de M. Castillo refroidit toutefois, un temps, les ardeurs de l’élite conservatrice. Les fujimoristes abandonnent leurs démarches mais leur pensée demeure limpide : M. Castillo sera peut-être un président légal, mais ils ne lui accorderont pas le statut de président légitime. De fait, une étiquette commence à poursuivre le nouveau chef de l’État : celle de « président autoproclamé ».
Le verrou conservateur se manifeste également au sein de l’armée. Le 17 juin 2022, M. Francisco Sagasti, président intérimaire à la suite de la démission de M. Manuel Merino le 15 novembre 2020, dénonce la rédaction d’une lettre par des militaires à la retraite demandant aux forces armées de « ne pas reconnaître la victoire de Pedro Castillo à la présidence ». Là aussi, la « grande muette » envoie un message au syndicaliste enseignant : nous vous avons en ligne de mire.
L’une des promesses de PL, lors de la campagne présidentielle, était d’organiser un processus constituant pour changer une Carta magna d’autant plus discréditée qu’elle avait été héritée de M. Fujimori. Les choses ne s’annonçaient pas faciles. La formation ne disposait que de trente-sept sièges sur cent trente au sein d’un Congrès fragmenté où dix partis étaient représentés, dont Fuerza popular (Force populaire), le parti fujimoriste, avec vingt-quatre sièges. Or le Congrès jouit d’un pouvoir considérable au Pérou, et sa capacité à entraver l’action de l’exécutif explique en grande partie la crise politique dans laquelle le pays a plongé depuis plusieurs années. En six ans, le palais présidentiel a connu six locataires, dont trois ont subi un processus de destitution parlementaire après avoir été déclarés en état d’« incapacité morale permanente », sur la base de l’article 113 de la Constitution en vigueur. Dans un pays où la figure du président a été discréditée par les scandales de corruption liés à l’affaire Odebrecht — cinq anciens présidents soupçonnés et, pour certains, emprisonnés —, la faiblesse du groupe PL au Congrès annonçait les tentatives de destitution à venir.
La première intervient en novembre 2021. M. Castillo n’est au pouvoir que depuis quatre mois. Vingt-neuf députés présentent une première motion visant à le destituer sur la base d’un soupçon de financement illicite de PL et pour trafic d’influence visant à promouvoir certaines personnes au sein des forces armées. La manœuvre ne recueille que quarante-six voix, contre les quatre-vingt-sept nécessaires pour passer. Quatre mois plus tard, une nouvelle motion est déposée, à nouveau défaite même si elle recueille cette fois cinquante-cinq voix. Le Congrès parvient, par ailleurs, à empêcher le président Castillo de participer au sommet de l’Alliance du Pacifique, qui devait se tenir le 25 novembre 2022, en présence des chefs d’État de la Colombie, du Chili, du Mexique et du Pérou. Le prétexte ? Le président ne doit pas quitter le pays afin de pouvoir répondre aux questions de la justice dans le cadre d’enquêtes ouvertes pour corruption. En solidarité avec son homologue andin, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador décide finalement de reporter la rencontre.
La vague de « guerre judiciaire », ou lawfare, qui balaie depuis plusieurs années l’Amérique latine progressiste n’a pas épargné le Pérou. En un peu plus d’un an, la justice a ouvert six enquêtes contre M. Castillo, lui reprochant notamment de « piloter une organisation criminelle au sein de son gouvernement ». La démarche était vaine puisque la Constitution confère l’immunité au président : il s’agissait donc de ternir son image, y compris en s’attaquant à des membres de sa famille. Il fut reproché à certains de ses neveux de profiter de projets d’infrastructure publique pilotés par le ministère des transports, à sa belle-sœur d’avoir bénéficié de contrats de la part du ministère du logement, à M. Castillo lui-même de promouvoir des militaires et des policiers contre d’importantes sommes d’argent, etc. Aucune des accusations portées n’a dépassé la phase préliminaire de l’enquête.
À ces opérations de déstabilisation médiatique, militaire, législative et judiciaire, M. Castillo a répondu… en commettant beaucoup d’erreurs politiques. Au cours des seize mois de sa présidence, il a nommé soixante-dix-huit ministres pour pourvoir les dix-neuf portefeuilles de son gouvernement… Dix jours après avoir pris ses fonctions, il demandait à son ministre des affaires étrangères de démissionner : M. Héctor Bejar, un ancien guérillero guévariste, auquel la presse reprochait d’avoir suggéré que l’État péruvien avait mené des actions terroristes avec le soutien de la CIA dans le cadre de sa lutte contre les mouvements progressistes, à la fin des années 1970 — ce qui est loin de relever de l’inimaginable. Quatre mois plus tard, il renvoyait son premier ministre Guido Bellido et ouvrait la porte de son gouvernement à des personnalités politiques de droite.
Peu à peu, un président élu par un peuple fatigué des dysfonctionnements d’institutions discréditées, qui souhaitait une Assemblée constituante et des réformes structurelles, s’est donné pour mission d’apaiser un adversaire qui, pourtant, n’avait d’autre objectif que d’obtenir sa destitution. Cette attitude conduisit M. Castillo à rompre avec PL en juin 2022. Le président aurait pu tenter de mobiliser ses soutiens, de façon à faire échec aux manœuvres de ses adversaires. Il a préféré céder aux pressions d’un Congrès que ses turpitudes délégitimaient pourtant un peu plus à chaque épisode aux yeux des classes populaires.
« Sans la moindre preuve »
Au cours des derniers mois, il était devenu évident que M. Castillo devait choisir : abdiquer ou se révolter, la seconde option présentant le risque d’offrir à ses adversaires un boulevard pour lui reprocher un coup de force. Confronté à une troisième motion de censure du Congrès, le mercredi 7 décembre, et alors que l’opposition s’attendait à obtenir le vote de soixante-sept députés, un Pedro Castillo fatigué et tremblant choisit finalement de prendre la parole à la télévision pour dénoncer le coup d’État permanent dont il fait l’objet depuis sa prise de fonctions.
La plupart des médias n’ont pas rendu compte de la première partie de son discours, la plus importante. M. Castillo y explique que « la majorité du Congrès, qui défend les intérêts des grands monopoles et oligopoles, a tout fait pour tenter de détruire l’institution présidentielle ». « Le Congrès a rompu l’équilibre des pouvoirs et l’État de droit pour instaurer une dictature du Congrès avec l’aval de la Cour constitutionnelle », ajoute-t-il. À travers ses multiples motions de censure, mais également en boycottant « plus de soixante-dix projets de loi d’intérêt national et destinés à améliorer la vie des secteurs les plus vulnérables ». « Sans la moindre preuve, le Congrès impute au président des délits en se fondant bien souvent sur des affirmations de la presse mercenaire, corrompue et cynique, qui diffame et calomnie en liberté », poursuit l’homme en fixant la caméra. Ayant dressé un tableau noir, mais juste, de la démocratie péruvienne, M. Castillo conclut que, de façon à rétablir la souveraineté populaire, il prend « la décision de déclarer l’état d’exception pour rétablir l’État de droit et la démocratie en dissolvant temporairement le Congrès et en convoquant des élections pour une Assemblée constituante dans les neuf mois ».
Pour l’opposition, le président vient de tenter un autogolpe : un coup de force décidé depuis la présidence afin de se maintenir au pouvoir. En réalité, pour la première fois de son mandat, peut-être, celui que ses adversaires avaient, dans les faits, empêché d’être président vient d’incarner le peuple qui l’a élu. Il en brandit le droit à la rébellion contre un ordre social et des institutions injustes.
Enfermé dans une geôle péruvienne, celui qui n’avait jamais invité le peuple à se mobiliser bénéficie depuis son arrestation d’une immense vague de soutien populaire. L’actuelle présidente, l’ancienne vice-présidente Dina Boluarte, vient de décréter l’état d’urgence, de militariser les provinces rurales du pays et de déchaîner une violente répression policière. Le 21 décembre, les chefs d’État de douze pays latino-américains avaient appelé au rétablissement de l’ordre démocratique au Pérou. Parmi eux, le Mexique, le Venezuela, la Colombie, Cuba, le Nicaragua, la Bolivie, l’Argentine. Mais pas le Chili. En position de faiblesse dans son pays en dépit de sa prise de fonctions le 1er janvier 2023, le président élu brésilien Luiz Inácio Lula da Silva est lui aussi prudent. À ce stade, pour les conservateurs péruviens, rien n’est joué.
source : El Siglo
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