Ukraine : de la guerre en Europe à la guerre européenne — EVARISTE (Respublica)

Ukraine : de la guerre en Europe à la guerre européenne — EVARISTE (Respublica)

Signe des temps, la semaine dernière, « l’Horloge de l’apocalypse » a marqué une nouvelle heure : 23 h 58 mn 30 sec, soit 90 secondes avant minuit… qui marque « la fin du monde » ! Bien sûr, c’est une vue de l’esprit, un symbole créé en 1945 par Albert Einstein et certains des principaux savants du programme Manhattan qui produisit les bombes d’Hiroshima et Nagasaki. Cette horloge spectaculaire existe tout simplement pour alerter l’humanité sur les dangers de guerre nucléaire.

Or cette année, le comité d’experts, comprenant treize prix Nobel, considère que la situation est plus grave que jamais, particulièrement du fait de la guerre en Europe. « Nous vivons à une époque de danger sans précédent, et l’horloge de l’apocalypse représente cette réalité », a expliqué Rachel Bronson, présidente du Bulletin of the Atomic Scientists. Avancer l’horaire « est une décision que nos experts ne prennent pas à la légère. Le gouvernement américain, ses alliés de l’Otan et l’Ukraine ont à leur disposition une multitude de canaux de dialogue ; nous exhortons les dirigeants à faire leur maximum pour les examiner tous afin de reculer l’horloge », a-t-elle ajouté(1). Exceptionnellement, le communiqué de presse du Bulletin a été publié en trois langues, anglaise, ukrainienne et russe. Mais pour le moment, les dirigeants politiques russes, ukrainiens, français, européens ou américains considèrent cette exhortation comme hors de propos. Et que dire des responsables politiques de gauche sur le continent, partagés entre bellicistes forcenés et aphones chroniques ? Dans cette apathie générale, la guerre continue, pire, elle change de dimension.
En effet, l’Allemagne, les États-Unis et le Royaume-Uni ont décidé de fournir des chars lourds à l’Ukraine, en particulier des blindés allemands Leopard 2. Le président Macron devrait emboîter ce pas martial dans les heures ou les jours qui viennent, avec à la clé la fourniture de chars Leclerc. Les agresseurs russes ont bien sûr réagi durement en parlant de « marche vers la co-belligérance ».

Non, nous Français et Européens, ne sommes pas encore en guerre contre la Russie. La fourniture d’armes ne constitue pas dans le droit international une preuve suffisante de co-belligérance. Mais cette fourniture d’armes peut aussi constituer une première étape vers la guerre européenne, car derrière les armes…il y a les hommes qui les portent. Or la guerre, avant de détruire du matériel, est une épouvantable « mangeuse d’hommes ». L’Ukraine manque (peut-être) d’armes, mais surtout de combattants. Arrêtons-nous un instant sur ce point déterminant.

Le manque d’effectifs du côté ukrainien
Si l’Ukraine est une grande nation au niveau de la superficie de son territoire (plus grand que la France), c’est un « petit » pays au niveau de sa population, estimée à 37 millions en 2020 (https://www.rts.ch/info/monde/11081451-lukraine-a-perdu-15-millions-dh…). Cette étude démographique montrait déjà une sous-représentation des hommes (45 %) et en particulier des jeunes, déjà partis à l’étranger pour fuir la crise économique ukrainienne. Depuis le déclenchement de l’agression russe le 24 février 2022, combien d’Ukrainiens se sont réfugiés à l’étranger, 8 ou 9 millions ? C’est difficile à dire et les données sont maintenant classées « secret défense ». Combien d’habitants se retrouvent désormais sous l’autorité des républiques autonomes rattachées à Moscou, 5 ou 6 millions ? Sur ce point également, c’est impossible à chiffrer précisément. Par contre, il est certain que la population ukrainienne réelle sous l’autorité de Kyiv (Kiev) et du gouvernement de Zelensky doit tourner autour du chiffre de 25 millions. Posons-nous la question suivante : ce petit pays en termes de population, avec peu d’hommes jeunes mobilisables, peut-il longtemps tenir face aux pertes humaines de cette guerre ? La réponse est non. Le chef d’état-major norvégien Eirik Kristoffersen dans une interview à la chaîne TV2 a déclaré « Les pertes ukrainiennes sont probablement au-delà des 100 000 morts ou blessés. De plus, l’Ukraine a environ 30 000 civils qui sont morts dans cette guerre affreuse ». Membre fondatrice de l’OTAN, la Norvège pourrait bien sous-estimer les pertes de son allié ukrainien, considèrent d’autres responsables militaires. De toutes les manières, les pertes ukrainiennes sont énormes pour un pays d’une vingtaine de millions d’habitants.

L’engrenage des engagements occidentaux
D’où la question du manque d’effectifs dès cette année et la perspective nécessaire à court terme d’engagement de contingents étrangers venus des pays de l’Union européenne. Sous quelle forme ? Des conseillers militaires ? Des membres d’unités de maintenance ? Un renforcement de la « légion étrangère » et des sociétés de mercenaires ? Nul ne peut le prévoir aujourd’hui. Mais soyons conscients qu’il s’agit de la prochaine étape obligatoire si l’on veut « continuer la guerre » en 2023 ou 2024. Dans ce cadre, il faudrait bien sûr et dès à présent « préparer » les populations européennes à cette perspective d’engagement de contingents.
L’urgence, sur le plan humain, est de définir les conditions qui permettront de mettre fin à ce conflit. Cela nécessite de préciser pour chaque belligérant, qu’il soit l’agresseur dans le cas russe ou le défenseur dans le cas ukrainien et leurs alliés, les termes d’un accord de cessez-le-feu en ce qui concerne les régions annexées à la frontière russe et la Crimée.

Un article de fond de ReSPUBLICA reviendra plus en détail la semaine prochaine sur la guerre en Ukraine. D’ores et déjà, notre rédaction s’en tient à sa position politique qui n’a jamais varié depuis le 24 février de l’année dernière : à savoir, nous ne suivrons pas les va-t’en-guerre qui veulent nous entraîner à minuit de l’Horloge de l’apocalypse. Comme nous l’avons toujours écrit(2), la seule solution réside dans l’instauration le plus vite possible d’une trêve, puis d’un cessez-le-feu ouvrant la voie d’une conférence internationale de paix sous l’égide de l’ONU et de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). Les peuples d’Europe ont trop souffert au XXe siècle pour oublier les leçons du passé, et il nous reste 90 secondes… avant minuit !

EVARISTE (Respublica)

Notes de bas de page
↑1 https://thebulletin.org/2023/01/press-release-doomsday-clock-set-at-90…
↑2 Quelques articles de ReSPUBLICA sur la guerre en Ukraine :
https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-crises/…
https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/la-paix-en-ukraine-est-ell…
https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/guerre-dukraine-une-nouve…
https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/leurope-lunion-europeenne…
https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-europe/…

»» https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/ukraine-de-la-guerre-en-…

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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