Suite Affaire Pellerin (article Mediapart)
FRANCE – ENQUÊTE
Pascale Pascariello et Antton Rouget 26 janvier 2023 à 17h27
Le député Emmanuel Pellerin, visé en septembre dernier par une enquête en lien avec sa consommation de cocaïne, a été prévenu des investigations en cours, pourtant censées rester secrètes. L’élu des Hauts-de-Seine affirme que l’information lui a été transmise par Thierry Solère qui lui aurait dit la tenir du ministère de la justice. Le conseiller politique du président de la République et Éric Dupond-Moretti démentent.
C’est un coup de fil qui risque de faire basculer l’affaire Pellerin dans une nouvelle dimension. Le député des Hauts-de-Seine Emmanuel Pellerin qui s’est retrouvé en septembre dernier au cœur d’une enquête judiciaire portant sur des faits liés à sa consommation de cocaïne, a été prévenu d’investigations judiciaires en cours, pourtant censées rester confidentielles s’agissant d’une enquête pénale couverte par le secret.
En octobre dernier, le député et avocat, qui fut membre de la commission « affaires publiques » du Conseil de l’ordre du barreau de Paris, a même affirmé, dans un courrier consulté par Mediapart, que l’information lui avait été confiée par une « source autorisée de l’exécutif », laquelle aurait été rancardée par la « Chancellerie », c’est-à-dire le ministère de la justice.
Le courrier est d’une précision chirurgicale sur la fuite. Le coup de téléphone lui a été passé le « 13 septembre 2022 », à « 23 h 07 », est-il écrit dans ce document à en-tête de l’Assemblée nationale. La date ne peut qu’interpeller : la veille, le 12 septembre, une des ex-femmes d’Emmanuel Pellerin était justement auditionnée par la brigade territoriale de protection de la famille (BPF) des Hauts-de-Seine dans le cadre d’une enquête, ouverte trois jours plus tôt, en lien avec la consommation de cocaïne du député. Le dossier a été classé avec célérité, le 26 septembre, sans même que l’élu soit auditionné (voir notre précédent article).
Interrogé par Mediapart, Emmanuel Pellerin a d’abord refusé de donner le nom de son informateur. Après plusieurs relances, le parlementaire a fini par livrer l’identité de sa fameuse « source autorisée de l’exécutif » : il s’agit de son ami d’enfance, Thierry Solère, actuel conseiller du président de la République Emmanuel Macron.
C’est 23 heures et c’est la Chancellerie qui vient de l’appeler, ça, j’en suis certain.
Le député Emmanuel Pellerin
Emmanuel Pellerin assure avoir été prévenu sans en avoir fait la demande. Selon son récit, les informations qui lui ont été transmises portaient sur une enquête pour « harcèlement », en réalité inexistante, alors que des investigations, bien réelles celles-ci, venaient d’être ouvertes à Nanterre pour « provocation à l’usage de produits stupéfiants ».
Emmanuel Pellerin est formel sur l’origine de la fuite : « Je me rappelle très bien des mots “la Chancellerie” », déclare-t-il à Mediapart, avant d’insister : « C’est 23 heures et c’est la Chancellerie qui vient de l’appeler [Thierry Solère – ndlr], ça, j’en suis certain. » Des confidences confirmées par un courrier du mois d’octobre qui ne peuvent aujourd’hui que jeter le soupçon sur l’existence de manigances au sommet de l’État, dont le député ne semble même pas mesurer la gravité.
Les liens entre Emmanuel Pellerin et Thierry Solère ne sont pas que personnels. Ils sont également professionnels et politiques. Le premier a un temps été l’avocat du second, poursuivi dans le cadre d’une vaste enquête portant notamment sur des soupçons de détournements de fonds publics. Début 2022, Thierry Solère a ensuite adoubé Emmanuel Pellerin pour qu’il soit investi à sa place par la majorité présidentielle dans sa circonscription des Hauts-de-Seine et prenne ainsi sa succession à l’Assemblée nationale.
Thierry Solère a par ailleurs déjà été mis en cause dans le passé pour avoir été le destinataire, par la Chancellerie, d’informations confidentielles sur une enquête judiciaire en cours. En mai 2017, l’élu avait reçu une note confidentielle, transmise par le ministre de la justice de l’époque, le socialiste Jean-Jacques Urvoas, sur une enquête judiciaire le concernant personnellement. L’ex-ministre a depuis été condamné, en 2019, pour violation du secret professionnel, ce qui lui vaut le statut de premier garde des Sceaux condamné par la Cour de justice de la République (CJR). Thierry Solère, qui a toujours affirmé qu’il n’avait « rien demandé » à Jean-Jacques Urvoas, est, lui, mis en examen pour recel de cette violation.
Thierry Solère et le ministère de la justice contestent toute transmission d’information
Questionné par Mediapart, Thierry Solère a d’abord affirmé n’avoir jamais échangé avec son ami et successeur Emmanuel Pellerin sur sa situation personnelle, qu’il dit avoir ignorée jusqu’à nos révélations. « Je n’ai jamais prévenu Emmanuel Pellerin. La Chancellerie m’aurait prévenu de quoi ? Je ne sais pas qui vous raconte ça, mais c’est absolument faux », assure le conseiller élyséen.
Qui raconte cela ? Emmanuel Pellerin lui-même. « Emmanuel vous raconte ça ?!, s’étrangle Thierry Solère. Pas du tout ! Vous voyez la Chancellerie m’informer, moi, des enquêtes sur des parlementaires ? » Le conseiller élyséen poursuit : « J’étais au courant de problèmes avec son ex-femme, que je connais, je lui en ai parlé, mais je n’ai été destinataire d’aucune information sur une enquête derrière, ni par la Chancellerie ni par quelque autre canal que ce soit. »
Également sollicitée par Mediapart, la Chancellerie se montre tout aussi « formelle » : « Ni le garde des Sceaux ni son cabinet n’ont eu de remontée d’information concernant cette affaire. » La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère, destinataire des informations sur les enquêtes sensibles (dont celles concernant les responsables publics), n’a pas été prévenue par le parquet général de Versailles, qui affirme n’avoir été avisé de l’existence de l’enquête de Nanterre que ce 25 janvier à la faveur des révélations de Mediapart.
La question demeure donc : l’information a-t-elle pu remonter par un autre canal, judiciaire ou policier par exemple ? Le ministère de la justice l’affirme : « Depuis deux ans et demi que le garde des Sceaux est en poste, il ne s’est jamais affranchi du secret de l’enquête. »
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À en croire son courrier d’octobre dernier, Emmanuel Pellerin pense que l’information sur une procédure le visant a pu être donnée par Me Antoine Vey, ancien associé du ministre de la justice Éric Dupond-Moretti. Problème : si Me Vey a bien conseillé une ex-femme du député Pellerin dans le cadre d’un contentieux personnel, celui-ci n’avait pas le moindre lien avec une procédure pénale et encore moins avec l’affaire de la cocaïne.
« Je ne peux pas empêcher les personnes de penser que j’échange sur des dossiers avec mon ancien associé, ce qui n’est pourtant pas le cas », rétorque Me Vey auprès de Mediapart. « Mais, en l’occurrence, je ne vois pas bien de quoi j’aurais parlé puisque aucune procédure n’était en cours », souligne sur le ton de l’évidence l’avocat.
Qu’a fait Emmanuel Pellerin de l’information qui lui a été transmise ? A-t-il tenté de prendre attache avec les autorités judiciaires ? Le député et le procureur de Nanterre, qui entretiennent des relations institutionnelles classiques, affirment tous les deux qu’ils n’ont jamais évoqué le dossier ensemble.
L’élu n’aurait pas non plus tenté de se rapprocher du service d’enquête : « Concernant la police, ça risque de réveiller un dossier qui dort naturellement. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas allé au-delà. »
Réagissant à nos révélations, le parquet de Nanterre a annoncé au Parisien avoir ouvert, jeudi 26 janvier, une nouvelle enquête pour usage de produits stupéfiants à l’encontre du député. Le parti Renaissance doit pour sa part statuer sur le sort d’Emmanuel Pellerin, qui risque l’exclusion, lors du bureau exécutif qui se réunira lundi 30 janvier.
De son côté, le parlementaire a présenté, dans un communiqué de presse, ses excuses « pour l’image dégradante que [son] comportement a renvoyé ». Il a annoncé sa mise en retrait de son groupe politique et a indiqué qu’il se tenait à disposition de la justice.
Source : Mediapart
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