Par Dmitry Orlov – Le 17 janvier 2023 – Source Club Orlov
La croisade actuelle contre la Russie, dans laquelle l’Occident combiné utilise le cadavre vivant de l’Ukraine comme bélier contre elle, est très étrange : au lieu de perdre des territoires et des populations, comme on pourrait s’y attendre au cours de toute croisade normale, la Russie gagne des terres et des gens par millions ! Il s’agit de terres qu’elle avait perdues à la suite de l’expérience bolchevique ratée. En même temps, la Russie se débarrasse de sa dépendance économique à l’égard des nations hostiles situées à l’ouest. Cette croisade est également étrange parce que, contrairement à toutes les croisades précédentes contre la Russie, Napoléon et Hitler inclus, qui ont été lancées par des nations européennes, celle-ci a pour pièce maîtresse les États-Unis, et les États-Unis se trouvent sur un tout autre continent.
De plus, les États-Unis ne sont pas un pays normal : c’est un pays qui est en guerre permanente avec une grande partie du reste de la planète. Ils ont passé à peine 6% de leurs 250 ans d’histoire en paix ; le reste du temps, ils ont mené une guerre quelconque, la plupart du temps sur le territoire d’un autre pays, presque jamais en état de légitime défense, mais surtout pour garantir leurs droits de rapine et de pillage. Leurs 15 années de temps de paix ont été réparties de manière fragmentaire au cours de leur histoire :
- ils en ont eu deux en 1796-1797,
- trois autres en 1807-1810,
- quatre autres en 1826-1830 ;
- ils ont été en paix en 1897,
- puis pendant cinq années entières de 1935 à 1940.
Le reste du temps, les États-Unis ont été impliqués dans des actions militaires d’un type ou d’un autre – ce que les Américains aiment appeler des actions « cinétiques », et non des guerres économiques, culturelles, informationnelles ou hybrides – et ce genre de choses s’est déroulé sans la moindre interruption.
Alors qu’après chaque échec de la « Drang nach Osten », la Russie pouvait frapper une nation européenne suffisamment fort pour l’empêcher de réessayer pendant une période historiquement significative – parfois pour toujours, comme dans le cas de la Suède, qui a définitivement perdu tout son mojo de croisade en 1721, et parfois pas assez longtemps. Cela semble être le cas de l’Allemagne : 78 ans seulement après avoir été battue et divisée, et 32 ans seulement après avoir été gracieusement autorisée à se réunifier, elle envisage maintenant d’envoyer à nouveau ses chars en territoire russe, avec des équipages ukrainiens nazis. Les dirigeants allemands sont-ils simplement trop stupides pour réaliser ce que cela signifie pour les Russes ? Ce que cela signifie pour les Russes, c’est qu’il est peut-être temps de diviser à nouveau l’Allemagne, cette fois de façon permanente, puisque les Allemands ne semblent pas se souvenir de leurs leçons d’histoire.
Mais il est erroné de ne viser que les dirigeants allemands ; l’Occident tout entier a été victime de la propagande ukrainienne. Ce récit sans faits est répété sans cesse dans les médias occidentaux et il n’y a aucune raison de le répéter ici, sauf pour le résumer brièvement comme suit :
- La Russie a été affaiblie économiquement par les sanctions occidentales.
- La Russie est embourbée dans une guerre de position et subit d’horribles pertes.
- La Russie est essentiellement en train de perdre cette guerre, qui s’est transformée en une guerre d’usure.
- En temps voulu, la Russie perdra la capacité de poursuivre une guerre de haute intensité.
Par conséquent, l’Occident n’a qu’à continuer à fournir des armes à l’Ukraine, et la victoire ukrainienne est assurée.
Le point de vue de la Russie est plutôt différent :
- L’effet économique de la guerre est pratiquement imperceptible pour la population russe. Le chômage est faible, l’inflation a été jugulée, les magasins sont pleins de produits et les restaurants sont pleins de monde.
- Le complexe militaro-industriel russe est passé à la vitesse supérieure, travaillant en trois-huit, et il ne manque de rien, alors que le côté ukrainien est mal approvisionné.
- Les volontaires ne manquent pas pour l’armée, qui bénéficie du soutien total de la population, alors que les Ukrainiens sont démoralisés, font tout pour éviter le service militaire et refusent parfois de se battre.
- Les pertes russes ont été faibles et en diminution, moins importantes que les accidents de la route, alors que les pertes ukrainiennes ont été tout simplement horribles, avec peut-être un demi-million d’hommes déjà retirés du service.
- La Russie détruit méthodiquement les infrastructures dans toute l’Ukraine à l’aide de tirs de missiles, à la fin desquels les villes ukrainiennes seront privées d’électricité, de chauffage et d’eau courante et la population restante se videra dans les campagnes et dans les pays voisins de l’UE, même si beaucoup d’entre eux choisiront de s’installer en Russie et de demander la citoyenneté russe.
- Les systèmes d’armes fournis par l’Occident ont mal remplacé les armes soviétiques héritées du passé, qui ont déjà été détruites pour la plupart, et n’ont pas réussi à faire la différence.
- Oui, c’est actuellement une guerre d’usure, mais l’usure est entièrement du côté ukrainien.
Vous pouvez considérer cela comme un « récit de propagande russe » si vous le souhaitez. Il est inutile d’argumenter à ce sujet ; il suffit d’attendre un peu et de voir comment cela se passe. La victoire ukrainienne, supposée inévitable, peut donner lieu à un grand nombre de scénarios, tous acceptables :
- Dans le meilleur des cas, la Russie subit une défaite militaire et est obligée de se retirer du territoire ukrainien (ou, plutôt, du territoire de l’ancienne République socialiste soviétique d’Ukraine, qui comprenait tellement de terres russes qu’un bon nom pour elle aurait été « la folie de Lénine »). Cette retraite provoque beaucoup de détresse et de mécontentement au sein de la population russe, obligeant à un changement de gouvernement au profit d’un gouvernement soumis à l’Occident, qui divisera ensuite la Russie en une multitude de petits fiefs impuissants, tous immédiatement reconnus et soutenus par l’Occident. Ceux-ci céderont ensuite leurs ressources naturelles aux entreprises occidentales pour qu’elles les exploitent.
- Dans le pire des cas, il n’y a pas de changement de régime, mais la Russie s’épuise économiquement et militairement, ses pertes de guerre deviennent inacceptables et elle est obligée de demander la paix. À l’issue de négociations menées sous l’égide de l’Occident, l’Ukraine perd un peu de territoire mais est préservée en tant qu’entité distincte sur la carte politique. Elle peut alors à nouveau être gavée d’armes et de mercenaires et être utilisée pour menacer et harceler continuellement la Russie, afin de la maintenir faible.
- Le seul scénario réaliste – à savoir que l’Ukraine cesse d’exister, que son territoire est reformaté et redistribué et que son identité nationale toxique est excisée chirurgicalement et remplacée par autre chose qu’une haine bouillonnante et irrationnelle de tout ce qui est russe – n’est même pas envisagé par l’Occident. Mais c’est le seul scénario qui soit aujourd’hui acceptable pour la Russie, car tout vestige de l’Ukraine nazifiée actuelle, s’il n’est pas complètement déraciné, fera pousser en temps voulu de nouvelles pousses toxiques qui constitueront à nouveau une menace pour la Russie. La victoire russe nécessiterait une Ukraine entièrement démilitarisée, entièrement dénazifiée, culturellement désintoxiquée, territorialement reconfigurée, hors du contrôle de l’UE, de l’OTAN ou des États-Unis, politiquement neutre, non alignée et liée par traité pour le rester à jamais.
- Mais ce scénario réaliste n’est pas tout à fait aussi réaliste que la Russie le souhaiterait ; ou, plutôt, il lui manque un élément important. Voyez-vous, tant que les États-Unis resteront l’entité belliqueuse, belliciste, psychopathe et rapace qu’ils ont été pendant les deux derniers siècles et demi (en fait, pendant toute leur existence), ils conserveront toujours une liste de pays à essayer de détruire. La Russie restera forcément sur cette liste tant qu’elle existera en tant que nation souveraine, et les États-Unis trouveront toujours une autre Ukraine pour lui laver le cerveau, l’armer, l’équiper et l’entraîner et en faire un autre bélier contre la Russie.
Il peut sembler que Poutine a eu les yeux plus gros que le ventre. D’une part, dans un peu plus d’un an – le 17 mars 2024, pour être exact – il devra soit se représenter aux élections, soit choisir un successeur et s’effacer, et ce qu’il a promis de livrer, c’est la victoire. Quel que soit le résultat de cette élection, s’il ne parvient pas à remporter la victoire, cela ne manquera pas de ternir gravement l’héritage exceptionnel qu’il a laissé au cours du dernier quart de siècle, pendant lequel il a guidé le pays de la quasi-dissolution vers une grandeur renouvelée. Mais Poutine n’est pas un joueur ; c’est un homme prudent et calculateur, soutenu par de nombreux hommes tout aussi prudents et calculateurs.
La victoire de la Russie, pour être complète, doit inclure l’élimination des États-Unis en tant qu’entité belliciste sur la scène internationale. Mais la Russie peut-elle obtenir un tel résultat en si peu de temps ? Peut-être pas ; mais pour préfigurer ce que j’ai l’intention d’esquisser ensuite, je vous laisserai pour l’instant méditer sur la phrase lapidaire suivante : « omnia in suo« .
Dmitry Orlov
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Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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