Sabrina Di Matteo est adjointe à la direction de la Conférence religieuse canadienne (CRC). Elle a travaillé en aumônerie universitaire et aux services diocésains de Montréal, après des études en théologie. Elle est aussi présidente et chroniqueuse à Présence – information religieuse.
Louis-Joseph Gagnon est candidat à la maitrise en théologie à l’université Concordia. Son parcours universitaire l’a également conduit à l’Institut européen d’études anthropologiques (Philanthropos) et à l’Institut de formation théologique de Montréal. Depuis décembre dernier, il dirige la revue En Son Nom – Vie consacrée aujourd’hui.
Sabrina Di Matteo: Pour commencer, je dirais qu’être chrétienne, pour moi, c’est être humaine et simplement cheminer dans la vie en essayant de m’humaniser, de progresser en tant que personne, mais avec une référence explicite à Jésus Christ et à l’Église. Ce sont deux repères importants de ma foi. Je ne peux pas être chrétienne et adhérer à une autre figure religieuse historique. C’est le Christ qui est le centre de la foi chrétienne, et l’Église, c’est le lien que j’entretiens avec les personnes qui sont chrétiennes comme moi.
Louis-Joseph Gagnon: Pour moi, être chrétien, c’est participer à la nature divine à la manière et à la suite du Christ. Participer à la nature divine, ça ne veut pas dire être Dieu. Effectivement, Dieu est tout autre que nous, mais il s’agit de rentrer dans la suite du Christ, c’est-à-dire de le faire à la manière dont Dieu s’est incarné, d’être pleinement humain à la manière du Christ pour participer de la vie divine. Donc, le Christ est central, et le Christ n’est pas juste central pour moi, le Christ est total.
La divinisation à l’épicerie
S. Di M.: Je suis d’accord avec ce que tu dis, Louis-Joseph. La référence à Jésus en tant que Christ et fils de Dieu, c’est le lien divin. Puis l’Église, la communauté humaine aussi. Pour moi, l’Église a plusieurs réalités: je peux la considérer comme mon Église locale, ma petite communauté de partage, mais aussi l’Église mystique, le peuple de Dieu qui avance, qui se constitue à travers l’histoire. Il y a ce lien transcendant et divin. Et j’ai choisi de faire une référence à Jésus Christ parce que c’est lui qui nous révèle Dieu d’une manière unique dans le christianisme.
Dire Dieu tout seul sans Jésus, je ne suis pas sure que c’est complètement chrétien, parce qu’à ce moment-là, ça peut être n’importe quel Dieu, n’importe quelle compréhension de ce qu’est la divinité.
J’ajouterais: être chrétienne, pour moi, c’est aussi être en recherche. Je crois également que nous participons pleinement à cette humanité. Si le Christ a été pleinement humain, et aussi pleinement divin, notre quête, si nous sommes pleinement humains, c’est être à l’écoute de la volonté de Dieu dans nos vies, et c’est une manière de participer à cette divinité.
L.-J. G.: Du fait que nous sommes humains, je pense que personne n’a une vision globale de l’histoire avec un grand H ni de l’humanité en général; donc, à un certain moment, nous sommes contraints de choisir: nous ne pouvons pas vivre l’ensemble (nous pouvons vivre l’ensemble du mystère en tant qu’il est grâce, mais il va toujours s’incarner et se préciser dans une vie avec des accentuations ou des particularités propres).
Je pense que nous pouvons avoir personnellement une certaine accentuation vers l’humanité ou la divinité, mais l’un n’empêche pas l’autre tant que nous convergeons vers le Christ. Après, c’est toujours la question de savoir ce qu’est concrètement participer de la nature divine…
S. Di M.: Effectivement, comment vit-on de la nature divine quand on achète son steak à l’épicerie? Ha! ha!
L’importance de l’Esprit Saint
L.-J. G.: D’ailleurs, je discutais de cette question avec quelqu’un la semaine dernière: ça veut dire quoi, agir comme chrétien? Comment distingue-t-on un chrétien de quelqu’un d’autre? En quoi diffère-t-il d’un musulman ou d’une personne athée qui achète un steak? En quoi ces actions-là concrètes reflètent-elles la nature divine?
S. Di M.: Il y a aussi une dimension dont nous n’avons pas parlé: celle de l’Esprit Saint. L’Esprit est donné à l’Église. Cette dernière ne nous appartient pas humainement, et je pense que c’est pour ça que c’est un peu insaisissable et très paradoxal: je trouve que c’est à notre avantage, à certains égards, d’avoir une structure, parce qu’on a cette universalité, mais le désavantage, c’est la lourdeur de l’institution.
C’est important de se rappeler que l’Église ne nous appartient pas, que l’Esprit travaille à travers l’Église, à travers le monde extérieur à l’Église aussi, et que le monde peut interpeler l’Église pour la faire avancer. Je dirais même que c’est important d’humaniser notre Église comme institution.
C’est important de nous rappeler l’Esprit qui travaille à travers les personnes. Peut-être qu’Il travaille même malgré les décisions qui se prennent. C’est un peu ce qui me permet de garder espoir.
Sabrina Di Matteo
L.-J. G.: La question qui me vient à propos de l’Église sur terre, en pèlerinage, qui est perfectible, c’est: quelle est sa norme de perfection? Quelle est-elle et vers quoi mène-t-elle? Comme tu as remarqué, j’ai commencé notre discussion en parlant de la nature divine et de la participation à la grâce, parce que, pour moi, la perfection de l’Église, ou d’une Église qu’on qualifie de pérégrinante, ou Église en marche, c’est d’être unie à Dieu. C’est sa norme, sa dignité; c’est ce à quoi l’Église est appelée, et même chaque personne.
Chrétien ou catholique ?
De ce point de vue là, pour moi, il n’y a pas de distinction entre chrétiens et catholiques: c’est la même réalité. Parce que le Christ est venu pour tous les hommes, de tous les temps, et c’est ce que le chrétien est appelé à vivre. Du fait d’être uni à Dieu, tu es uni aux saints qui sont morts et qui sont unis avec le Christ présentement, tu es uni à ceux qui vont venir et tu es uni à ceux qui le sont présentement.
Après ça, qu’il y ait des divergences, qu’il y ait des schismes, des apostasies ou des hérésies, c’est le propre de l’Église en marche, l’Église pérégrinante qui, dans le contexte dans lequel elle vit, dans le contexte humain, va vivre des difficultés, des incompréhensions quant à la foi et face à Dieu lui-même.
S. Di M.: Je trouve que c’est une bonne question. C’est une identité en tension entre le fait d’être catholique et chrétien. Je vais prendre une métaphore très humaine, encore une fois, pour en parler: l’image de la famille. Dire qu’il y a une grande famille chrétienne, c’est incontournable, et dans celle-ci, il y a une généalogie, une histoire, il y a des branches différentes, des traditions qui se développent. Il y a effectivement des séparations, des schismes.
Mais pour moi, être catholique, c’est quand même appartenir à une branche particulière de cette famille, c’est avoir un album de photos particulier, une histoire et un héritage précis. Je sais que ça peut être tentant (moi aussi, je lutte contre ça) de dire: «Je suis juste chrétienne.»
Plus récemment, je me disais que je pourrais me définir seulement comme une chrétienne œcuménique. Mais ce serait faux. Oui, je peux aller célébrer dans un autre rite, je peux aller louer dans une église évangélique, mais c’est comme aller dans ta lointaine parenté où le pâté chinois a un gout différent parce que la recette n’est pas celle de ta mère. Tu es comme chez toi, mais pas complètement.
Dérapages possibles
Si je reviens à ce que je disais tantôt par rapport à la structure de l’Église catholique, romaine, universelle, c’est spécial. Oui, c’est lourd, c’est fatigant, nous ne pouvons pas faire bouger telle ou telle doctrine comme nous l’aimerions peut-être, mais en même temps, la structure donne un cadre de référence.
Quand on voit les dérapages qui peuvent se produire dans des Églises qui sont autonomes, où le pasteur est la seule référence, l’enseignement peut déraper et ça peut conduire à des abus. Ça ne veut pas dire que, dans l’Église catholique, il n’y a pas de dérapages – nous sommes tout à fait conscients des genres de scandales qu’il y a –, mais il reste que nous avons une histoire, des siècles et des siècles de corpus de références pour l’enseignement de la tradition; donc, il y a quand même un phare très clair, et il y a des choses pour nous ramener à l’ordre si nous avons complètement dévié du chemin.
L.-J. G.: Comme tu dis, nous parlons d’une question d’identité. Dans l’Église, il n’y a pas seulement les romains, il y a aussi les maronites et toutes ces Églises grecques qui sont revenues dans l’unité catholique. Ce sont toutes des manières différentes de vivre l’être chrétien catholique.
J’ai pu assister à quelques liturgies grecques et, comme tu disais, c’était pour moi comme aller dans ma parenté lointaine; je n’étais pas nécessairement rejoint. Le fait de fréquenter quelques liturgies différentes m’a confirmé dans mon identité catholique. Il y en a d’autres qui sont extrêmement interpelés par ce type de liturgie et c’est correct.
Il y a une question de sensibilité aussi et d’histoires personnelles. Certaines accentuations rejoignent plus de personnes. À un certain moment, nous ne pouvons pas proposer une manière concrète de faire qui rejoint l’ensemble des hommes de toutes époques, de tous lieux, de tous temps. Il y a trop de multiplicité, il y a trop de diversité pour avoir une seule manière de vivre dans tous les aspects concrets.
Question d’identité
S. Di M.: Absolument. Je pense que cette diversité au sein même de nos façons d’être catholique est une réalité importante. J’ai mis du temps à moi-même me réconcilier avec ça. Mais en vieillissant, j’ai appris à être beaucoup plus conciliante.
Je pense vraiment qu’on peut avoir des couleurs et des expressions différentes de sa foi: quelqu’un d’introverti va peut-être préférer une pratique spirituelle plus contemplative, peut-être que cette personne va préférer les petits groupes de partage que d’aller dans une JMJ.
À travers l’histoire de l’Église, on voit qu’il y a toujours eu cette adaptation aux cultures et aux besoins de l’époque. Nous avons un certain cadre pour la liturgie, mais il y a une créativité possible. On va célébrer différemment au Bénin ou au Québec, par exemple, donc il y a des accents culturels qui vont ressortir, et je trouve que c’est la beauté de la ritualité catholique qui peut être malléable.
Dans le passé, j’ai eu des jugements envers des personnes quant à leur façon de vivre leur foi. Je me suis dit: «Ce n’est pas mon esthétique.» Mais une fois qu’on parle aux gens, qu’on comprend d’où ils viennent, ce qui les a façonnés dans leur foi, c’est tellement plus facile de s’entendre, en fait.
Que des gens puissent se retrouver, malgré la diversité, dans un cheminement qui les appelle et dans lequel ils se retrouvent tous ensemble, pour moi, c’est une bonne nouvelle.
Louis-Joseph Gagnon
S. Di M.: C’est mon souhait pour l’Église, spécialement pour celle du Québec et du Canada, qu’elle soit une Église de conciliation, de réconciliation, pour nous-mêmes d’abord. Ma propre foi m’oblige toujours à me resituer, à être conciliante avec mon passé, avec les gens autour de moi.
Il y a toujours cet appel à la réconciliation, c’est un mot qu’on entend beaucoup dans l’Église et dans la société en ce moment au Canada: la réconciliation avec notre passé, avec la société dans son ensemble. Je souhaite que l’Église, à travers l’humilité et une volonté de se purifier, c’est-à-dire d’aller à l’essentiel, de refuser les jeux de pouvoir, puisse être vraiment le signe et le sacrement de la réconciliation humaine.
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