A tout instant il se passe quelque chose à RSF, hélas pour le pire. Après avoir demander l’interdiction de la diffusion de deux chaînes russes par le satellite européen Intelsat, voilà que nos petits soldats de l’OTAN applaudissent le vote d’une loi ukrainienne qui censure la presse « sur le chemin de la dictature »…..
Le 29 décembre dernier, sous la dictée de Vlodymyr Zelinsky, le Parlement Ukrainien adopte une loi sur le fonctionnement de la presse et des médias. L’objectif avoué est de « mettre la législation du pays en adéquation avec les règles européennes ». Tout cela dans la perspective d’une entrée de l’Ukraine, « candidate à l’adhésion » dans le giron de l’Union. Derechef, à la vitesse d’un Christophe Deloire au galop, RSF son organisation, applaudit. Ah, quelle décision magnifique, qui couronne de lauriers la démocratie ! Je vous laisse lire la prose de l’Organisation « Non » Gouvernementale :
« Nous saluons cette réforme attendue depuis plusieurs années et les améliorations apportées avant son adoption, commente la responsable du bureau Europe de l’Est-Asie centrale de RSF Jeanne Cavelier. Mais nous attendons un effort supplémentaire des autorités pour mener cette réforme jusqu’au bout, afin de garantir l’indépendance totale du régulateur, dès que la contrainte constitutionnelle liée à la guerre actuelle sera levée. »
Bon. Nul n’est parfait pas même Zelensky, mais c’est quand même du bon boulot que cette liberté de presse sculptée main, nous dit RSF.
Puis, patatras, voilà une chute qui vient faire mal aux côtes de l’ONG. En amont, c’est-à-dire avant l’adoption de ce projet de loi voté sans retouches, c’est Tetiana Kotyouchinska, présidente de l’Association Nationale des Médias Ukrainiens qui s’en vient cracher sa bile sur la si jolie loi :
« La moitié du projet vise à modifier et à compléter la régulation du travail journalistique. Quelle en est la substance ? Interdictions et restrictions. A l’heure actuelle, les syndicats de journalistes européens débattent d’un Media Freedom Act, censé restreindre le pouvoir des propriétaires de médias et conférer aux collectifs de journalistes davantage de droits tout en leur garantissant une indépendance rédactionnelle. L’Ukraine doit revenir à l’agenda européen en toute honnêteté et toute transparence, et tourner le dos aux rêves de censure d’inspiration asiatique. »
Cette Tetiana abuse, accuser Zelensky d’être un possible « censeur asiatique » n’est-ce pas là un crime de haute trahison ? A voir.
Sergui Tomilenko, chef du Syndicat National des Journalistes d’Ukraine, ne va mentalement guère mieux. Sur Facebook ce confrère appelle le Parlement à :
« Repousser le débat sur le projet de loi jusqu’à la victoire de l’Ukraine. Il ressort de son analyse qu’il pavera la voie à des instruments de censure et à une restriction considérable de la liberté d’expression en Ukraine. (…) Une série de nouvelles dispositions élargira grandement les compétences de cet organe de l’Etat – le Conseil national de l’audiovisuel – que les auteurs de la loi considèrent comme une autorité régulatrice indépendante. … Ce conseil aura notamment le pouvoir de donner des consignes contraignantes à l’attention des rédactions de tous les médias, d’imposer à tous les médias des sanctions financières et de prononcer une interdiction de diffusion provisoire de 14 jours aux médias en ligne, sans décision de justice. »
Puisque c’est pour défendre la liberté qu’est conduite cette guerre en Ukraine, il est important de connaître quelle tête aura la presse vue par les yeux de Zelinsky. Ainsi, grâce à cette nouvelle loi, le Conseil National peut désormais, sans décision de justice, mettre hors ligne tout site d’information. Une situation que les organisations de journalistes voient comme « une tentative d’introduire la censure ».
En juillet, la Fédération Européenne des Journalistes (branche géographique de la Fédération Internationale des Journalistes) a exhorté l’Ukraine à retirer le projet de loi. Selon la Fédération, ce dernier contient alors “de nombreuses dispositions contraires aux valeurs européennes”. De son côté, pas en reste, le Comité pour la protection des journalistes avait averti que cette loi “menaçait de restreindre la liberté de la presse dans le pays et l’éloignerait des normes de l’Union européenne”. En septembre, c’est l’Union nationale des journalistes d’Ukraine qui avait déclaré : « Cette loi constitue la plus grande menace pour la liberté d’expression dans l’histoire indépendante de l’Ukraine”. Puis cette Union Nationale a fini par nous dire qu’adopter cette loi pourrait projeter “l’ombre d’un dictateur sur Zelensky ». Selon cette nouvelle arme de presse inspirée et approuvée par Zelensky, le Conseil National de l’Audiovisuel, qui a donc maintenant en main une lettre de cachet, sera composé de personnes nommées par Zelensky et le Parlement ukrainien.
Nous l’avons écrit, ce projet en forme de viol, a bien été adopté afin que l’Ukraine se conforme aux normes européennes de la « liberté de la presse » ! Radotons et rappelons que la Fédération européenne des journalistes et le Comité pour la protection des journalistes se sont opposés à cette censure et que le Syndicat National des Journalistes Ukrainiens a qualifié la loi de « plus grande menace pour la liberté de la presse dans l’histoire de l’indépendance » :
La Fédération Européenne des Journalistes a dénoncé la loi en écrivant qu’« elle proposait de donner des pouvoirs réglementaires arbitraires et disproportionnés au régulateur national, le Conseil national de l’audiovisuel, qui aurait pouvoir non seulement sur les médias audiovisuels, mais aussi sur la presse écrite et les médias numériques ».
« La régulation coercitive envisagée par le projet de loi et entre les mains d’un régulateur totalement contrôlé par le gouvernement est digne des pires régimes autoritaires. Il doit être retiré. Un État qui appliquerait de telles dispositions n’a tout simplement pas sa place dans l’Union européenne ».
Enfin, pour mieux mesurer les conséquences de cette nouvelle loi empoisonnée, pondue par les amis de RSF, rapportons les propos de Dominique Pradalié. Avec son indépendance – de multiples fois démontrée –, cette journaliste française préside la FIJ, Fédération Internationale des Journalistes. Et la FIJ, par les mots de Pradalié, s’en vient relever l’honneur du métier :
« Sous couvert de cette nouvelle loi, la liberté des médias et le pluralisme sont en danger en Ukraine. Désormais une menace systémique existe pour la démocratie dans ce pays qui étend son contrôle sur les médias. Même souffrant d’une terrible guerre les Ukrainiens doivent pouvoir recourir à une information crédible… Souvenons nous que la démocratie ne peut exister sans un journalisme indépendant et une presse libre ».
Pour le rapide Deloire le temps est venu d’éprouver la solitude du coureur de fond.
Jacques-Marie BOURGET
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir